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Des compagnies indiennes “accaparent”-elles des terres en Afrique ?

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Asie du Sud, Ethiopie, Inde, Développement, Economie et entreprises, Médias citoyens

[Les liens renvoient vers des pages en anglais] Le débat n'est pas clos [1] [fr] sur l'achat ou la location de terres par des sociétés ou Etats étrangers dans les pays d'Afrique : facteur de développement ou accaparement de terres [2] [fr] pur et simple, qui déplace les populations locales et menace la sécurité alimentaire ?

Aman Sethi [3] (@Amannama [4]), le correspondant à Addis-Abeba de The Hindu [5], a écrit récemment sur l'engagement de groupes indiens en Ethiopie [6] et au Mali [7], et il a pris part le 19 mai à une session de questions-réponses [8]sur le sujet de ce qu'on a appelé des accaparements de terres par l'Inde dans les pays d'Afrique.

La question [9] de Susanna Myrtle Lazarus était :

Quel est le but des accaparements de terre en Afrique ? Est-ce pour leur valeur immobilière ou seulement pour les ressources comme l'eau ou autres ?

Aman Sethi a noté que l'expression “accaparement de terres” est contestée [10] :

Intéressante question : la question d'ensemble de “l'accaparement des terres” n'est toujours pas tranchée. L'ONU, par exemple, a produit un code de bonnes conduites [11] sur l'investissement foncier. Les pays hôtes préfèrent louer les terres plutôt que de les vendre, il ne s'agit donc habituellement pas de valeur immobilière puisque la société locataire ne peut pas vendre la terre. Les investissements se font donc alors invariablement pour les ressources, qu'elles soient minières, forestières, ou pour le sol et l'eau en agriculture. La grande question est évidemment, est-ce que les pays hôtes reçoivent suffisamment en retour pour la location de la terre, et (souvent) le déplacement de la population ?

Sai Ramakrishna Karuturi, Managing Director of Karuturi Global Ltd., Gambella, Ethiopia. Photo by Flickr user Planète à vendre (CC BY-NC-ND 2.0). [12]

Sai Ramakrishna Karuturi, Directeur exécutif de Karuturi Global Ltd., Gambella, Ethiopie. Photo sur Flickr de Planète à vendre (CC BY-NC-ND 2.0).

Jayakarthik Sabarathnam a demandé [13] :

Ne pensez-vous pas que les problèmes de terres de l'Afrique résultent de la confusion sur la possession de la terre, qu'elle soit individuelle ou publique, puisque les individus sont demeurés sur des terres publiques en présumant qu'ils en sont les possesseurs, alors que l'Etat considère que la terre lui appartient ?

Sethi répond [14]:

Je pense que ceci est le point central et crucial : dans au moins deux pays sur lesquels j'ai écrit, l'Ethiopie et le Mali, il y a une confusion importante sur les titres de propriété. En Ethiopie par exemple, toutes les terres sont propriété de l'Etat et sont louées aux particuliers et aux entreprises privées. Dans des endroits comme Gambella [15] [fr], ainsi que je l'indique dans la deuxième partie de l'article [6], les communautés ont souvent des revendications collectives préexistantes sur la terre, qui ne sont pas reconnues par l'Etat. Ce qui crée un problème grave. Le gouvernement éthiopien est convaincu que le programme de Développement Communal, [16] ou villagisation, va rationaliser l'utilisation de la terre en donnant des titres fonciers aux populations réinstallées dans ce cadre. Mais ceci induira, à l'évidence, une mutation radicale dans la façon dont la communauté conçoit la terre.

Roybath Mylaks a voulu savoir si l'investissement indien contribuait réellement à accroître les compétences [17] locales :

Les sociétés indiennes contribuent-elles au renforcement des capacités des habitants ici ? Embauchent-elles localement ou font-elles venir des ouvriers de l'Inde ?

Réponse [18] d'Aman Sethi :

Sur la main d'oeuvre : le gouvernement éthiopien dit très clairement vouloir que les compagnies forment la main d'oeuvre locale. L'année dernière, j'ai raconté dans un article [19] comment les alcools Baron Ponty Chadha avaient présenté un plan d'installation d'agriculteurs du Pendjab en Ethiopie, qui a été retoqué par le gouvernement. La plupart des Etats autorisent les sociétés à importer des techniciens et cadres hautement qualifiés, mais veulent amener les compagnies à former des opérateurs de machines, etc.

La question de Samiksha Srivastava relevait du même ordre [20]:

Ne pensez-vous pas que les sociétés à capitaux indiens accroît le développement ici ?

Sethi ne pensait pas qu'il y ait à cela de réponse simple, et a cité la très controversée compagnie indienne Karuturi Global [21], qui a encouru des critiques virulentes [22] pour ses opérations en Ethiopie [23] :

Je crois qu'un grand nombre de pays en développement en sont toujours à réfléchir à ce qu'est vraiment le développement pour eux – quelle voie suivre, quelles ressources allouer, quel devrait être le rôle respectif de l'Etat et du marché ? Vu ainsi, je pense que les sociétés indiennes sont devenues parties à ce débat en participant à ces économies en développement. Beaucoup sont mécontents en Ethiopie qu'une compagnie étrangère ait acquis de si grandes quantités de terres, tandis que d'autres croient que des entreprises comme Karuturi vont aider au commerce extérieur du pays. Le débat est donc largement ouvert en ce moment même.

Pranay Sinha a demandé [24] :

Pensez-vous que l'Etat doit mettre en place des normes minimales pour les entreprises opérant à l'étranger de sorte que les locaux ne soient pas maltraités dans le cours de ces investissements, ou cela doit-il plutôt être un code de conduite auto-limitatif des entreprises ?

Avec là aussi l'exemple de Karuturi Global, Aman Sethi a répondu [25] :

A mon avis, la plupart des Etats ont des cadres juridiques pour protéger les droits des communautés affectées par les projets, mais beaucoup (largement comme cela se passe en Inde) ne peuvent pas contrôler efficacement ces compagnies. Dans le cas de Karuturi par exemple, aucune loi n'a été enfreinte, mais il semble y avoir un problème structurel dans la manière dont le projet a été conçu. Je pense donc qu'il faut probablement réfléchir au-delà d'un régime juridique et commencer peut-être à nous efforcer de comprendre le mieux possibles ces processus. Il est facile de clore la discussion en parlant d’ “accaparement néo-colonial de terres”, mais loin d'aider à notre compréhension du monde, cela restreint l'engagement parce que cela termine effectivement tout examen.