La France et les Roms : les droits humains enfermés dans une définition communautariste

Le 13 mai dernier, un violent incendie a détruit à Lyon une usine désaffectée squattée par des familles de la communauté rom. Deux femmes et un enfant de 12 ans ont péri dans les flammes. Au lendemain de la tragédie, les rescapés, relogés dans un gymnase ouvert en soirée seulement, étaient contraints de passer la journée dehors, sous la pluie.

Quelques voix se sont indignées à travers les médias sociaux du traitement fait aux Roms. L’article de Médiapart «Les Roms sont comme nous, ils ont besoin de lumière», plusieurs fois repris, peut se lire sur le blog le changement c'est pour quand. Le titre est justifié par l'idée que l'incendie aurait été déclenché par les bougies avec lesquels les victimes avaient dû s'éclairer, faute de courant électrique, coupé peu de temps auparavant par la municipalité lyonnaise.

Phillipe Alain décrit sur son blog de Médiapart, sous le titre “La France construit sa politique anti-roms sur des cadavres” :

Pendant plusieurs heures, les familles sont totalement abandonnées à leur sort. Une femme perd connaissance plusieurs fois. La police municipale, à quelques mètres reste les bras croisés. Il n’y a aucun médecin, aucun psychologue, aucun soutien.

Avant de conclure, virulent :

Mardi soir, la préfecture du Rhône fait savoir que les expulsions vont s’accélérer dans les jours à venir. La chasse aux Roms est ouverte. La campagne des municipales également. Valls prétend que les roms n’ont pas vocation à s’intégrer en France. En les obligeant à vivre comme des chiens errants à la rue ou à brûler vifs dans des squats il est certain d’avoir raison.

Dans son commentaire “Vertige” en appelle à la responsabilité de chacun :

Oui, la maltraitance se fait dans le secret des cachots, des lieux de rétention, de détention quels qu'ils soient. Mais elles sont toujours, pour un temps au moins, comptabilisées, écrites, détaillées. Et nous finissons par savoir au moment même où elles sont infligées. Lorsque nous voulons le savoir. Ici, nous savons.

Roms Choisy l Roi

Roms en attente de solution d'hébergement après l'expulsion, à Choisy-le-Roi, août 2010 Photo Alain Bachellier sur Flickr cc-by-nc-sa 2.0

Des désignations qui stigmatisent

Publié en 2010 lors de la campagne d'expulsion de Roms de la présidence Sarkozy, l'article très fouillé de Grégoire Fleurot dans Slate démontre comment l'administration française flirte avec les limites du droit en voulant définir des populations en tant que communautés sans être taxée de discriminations par rapport à des personnes :

La confusion entre les «gens du voyage» et les Tsiganes vient en partie de cette spécificité française qui interdit à l’administration de qualifier une partie de la population sur des critères ethniques. Au début du XXe siècle, le gouvernement français veut surveiller les Tsiganes qui sont alors victimes des pires préjugés, (…) L’appellation «nomades» est alors officiellement utilisée, et la loi du 16 juillet 1912 leur impose un carnet anthropométrique obligatoire qui contient des informations telles que l'envergure, la longueur et la largeur de la tête, la longueur de l'oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaires gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux ou encore la forme du nez.(…) Après (la) persécution (de Vichy), le mot «nomades» est devenu inutilisable, et remplacé par le néologisme «Gens du voyage» avec la loi du 3 janvier 1969, qui remplace également le carnet anthropomorphique par un livret de circulation.

C'est pourtant en voulant définir les droits des individus selon leur appartenance communautaire que l'on court le risque de nier à ces individus leurs droits en tant que tels, comme déjà prouvé par le régime de Vichy.

Journée internationale Roms manifestation Paris

Journée Internationale des Roms : Manifestation contre les expulsions forcées de Roms, Paris 6 avril 2013, par dirtykoala sur flickr cc-by-nc 2,0

Intégration ou expulsion ?

Le fait qu'une partie des Roms ne s'adaptent pas, malgré le temps, à un modèle social dominant en France est au coeur du débat. L'essor, journal indépendant de la gendarmerie française, cite à ce propos :

Dans la droite ligne des propos du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, qui avait déclaré mi-mars que “les occupants des campements ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays”, le préfet du Rhône a estimé: “les Roms qui veulent être intégrés, il y a des choses à faire; ceux qui ne veulent pas être intégrés, il n'y a rien à faire”. “Ceux qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire français, ceux qui ont une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), on ne fera pas d'effort majeur pour les reloger”, a-t-il ajouté.

Valentine commente sur le site de Al Kanz :

On est en droit de s’interroger sur les raisons qui poussent l’Europe à réclamer des millions – 2 milliards en tout – aux français en particulier et aux citoyens européens en général, censés aider la Bulgarie et la Roumanie à aménager dignement la vie de ces roms, et ensuite à réclamer à la France, comme si ça ne suffisait pas, d’accueillir ces populations – travail, logement.. les français chômeurs de longue durée survivant dans des caravanes apprécieront…

La réponse de Al Kanz est limpide :

Les Roms n’ont pas à être méprisés et considérés comme des sous-hommes, tout comme ils n’ont pas à être privilégiés. S’agissant de la Bulgarie et de la Roumanie, je ne suis ni roumain ni bulgare. Je suis français, je dénonce ce qui se passe en France et que je considère indigne. Mon indignation n’est pas facile, elle est humaine.

« JR » commente, sous un billet du blog Actualités du droit :

Pour revenir plus précisément sur les roms, à vous lire, l'on croirait presque que ce ne sont que des victimes. (…) Je ne développerai pas sur les enfants auxquels on apprend seulement à mendier, sur les vols (ce sont là des vérités incontestables), et même si vous pourrez me rétorquer, sans avoir totalement tort, que ces pratiques résultent en partie des conditions de vie qui leur sont imposées, je répondrai encore une fois qu'il leur incombe aussi de se prendre en main autrement que par la délinquance.

 

“Romaphobie” contre solidarité

La politique de stigmatisation semble déjà si bien installée dans les consciences qu'elle a à présent une dénomination pour elle toute seule, la « romaphobie ». Grégoire Cousin écrivait sur Urbarom en janvier 2013 :

Malgré des rappels à l’ordre très fermes de l’ONU, malgré les nombreuses protestations d’ONG françaises et internationales, tout indique que la politique menée par l’état français à l’égard des Roms est raciste et discriminatoire. Il suffit d’observer le nombre élevé de personnes évacuées de force par les autorités (9 404) par rapport au nombre estimé de Roms étrangers présents sur le territoire français (de 15 à 20 000). De fait, selon le Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits des migrants, François Crépeau, « l’objectif ultime semble être l’expulsion de France des communautés migrantes Rom ».

Peut-on imaginer que des victimes d'incendie d'un autre « groupe » social pourraient être traitées en France avec autant de légèreté sans déclencher un tollé dans l'opinion publique ? Il semble que le fait que l'on définisse les Roms en tant que « groupe » dans le paysage social plutôt qu'en tant que personnes à part entières justifie ce manque de solidarité. N'est-ce pas justement aux démocraties européennes de prouver qu'elles sont capables de prendre en compte les droits de tout individu, quelle que soit la communauté à laquelle on le rattache ?

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