Après plusieurs jours de manifestation organisées par des journalistes, les autorités ukrainiennes ont sanctionné 15 officiers de police visibles sur des photos et des vidéos, coupables de ne pas être intervenus, alors qu’un groupe d’hommes attaquait des journalistes lors d’un rassemblement organisé à Kiev, la capitale, le 18 mai, photos et vidéos à l’appui. Un des hommes supposément impliqués dans les attaques a été arrêté et est accusé de hooliganisme, mais a été rapidement libéré sous caution.
L’indifférence manifeste dont a fait preuve la police vis-à-vis de la sécurité des journalistes, conjuguée à la réticence initiale du gouvernement à enquêter sur ces violences ont mis en lumière la dure réalité à laquelle sont de plus en plus souvent confrontés les journalistes ukrainiens.
Les journalistes – la reporter TV Olha Snitsarchuk [ukrainien,uk] et son mari, le photographe Vlad Sodel [uk] – ont ainsi été attaqués après des manifestations politiques, organisées respectivement en faveur du parti au pouvoir et de son opposition, alors qu’ils filmaient un combat entre des partisans du parti d’extrême-droite VO Svoboda et un groupe de jeunes gens en survêtement. Une autre journaliste, basée à Odessa, Valeriya Ivashkina [ru], a filmé la scène et a été également attaquée ; Cc-dessous, une de ses vidéos montrant le début de l’altercation :
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a brièvement rendu compte [en] des événements dans un communiqué publié le 20 mai :
Plusieurs agresseurs ont attaqué deux reporters qui suivaient une manifestation de l’opposition devant le bureau du Ministre de l’Intérieur ukrainien, à Kiev, samedi, au vu de policiers, qui ne sont pas intervenu d’après des rapports de presse locaux [ru] internationaux [en]. […]
[…]
Les agresseurs ont poussé et jeté des coups de pied à Vladislav Sodel, photographe pour le quotidien moscovite Kommersant, et sa femme, Olga Snitsarchuk, reporter pour la chaîne de télévision Channel Five, basée à Kiev. Sodel a rapporté avoir appelé à l’aide les forces de polices présentes sur place à plusieurs reprises, sans que celles-ci ne réagissent, selon [ru] Ukrainska Pravda. […]
Les agresseurs ont affronté les manifestants de l’opposition avant d’attaquer Snitsarchuk et Sodel, rapporte [ru] le site d’actualité indépendant Ukrainska Pravda. Des photos et des vidéos prises sur place montrent que plus d’une demi-dizaine de policiers étaient présents. […]
Sodel a réussi à prendre quelques photos alors qu’il se faisait agresser:
Le 18 mai était un jour chargé à Kiev. Des milliers de personnes s’étaient retrouvées dans le cadre de la manifestation « Debout l’Ukraine! (photos), organisée par l’opposition, et pour le défilé du Parti des régions au pouvoir contre le soi-disant « fascisme » – alors qu’il s’agit plutôt en réalité d’un événement visant à contrer l’opposition (photo, vidéo; ru, uk). On célébrait également la Journée de l'Europe ; un flashmob pour les droits des LGBT ( photos – ici and ici); et également la neuvième marche annuelle pour la liberté, dont les participants réclamaient une réforme de la politique en matière de drogues. (vidéo; uk).
Quelques heures seulement après les attaques dont ont été victimes les journalistes, des cybercitoyens ukrainiens dénichaient déjà des photos de profil VKontakte des agresseurs les plus reconnaissables –le jeune homme en survêtement Adidas noir, qui apparaît au premier plan dans les photos de Sodel et dans cette vidéo d’Ivashkina :
Des cybercitoyens ont identifié l’homme comme étant Vadym Tisuhko, surnommé « Rumyn » (littéralement, « un Roumain »), habitant de Bila Tsekva, dans la banlieue de Kiev, âgé de 20 ans. Un temps jeune athlète prometteur spécialisé dans divers arts martiaux, Titushko utilise désormais ses talents de combattant pour gagner sa vie en tant qu’agent de sécurité lors de manifestations politiques. Comme l’a écrit [uk] Tetyana Danylenko sur Facebook, de tels exemples de travail au noir semblent devenir monnaie courante chez les jeunes gens sportifs issus des petites villes d’Ukraine
Dans les clubs de sports de combat de Bila Tservka, ce que des gens comme [Titushko] font est simplement considéré comme du business. Pour des gamins qui s’entraînent là-bas, ce « business » n’est pas seulement perçu comme une fatalité, mais plutôt, dans une certaine mesure, comme un rêve. […]
Dans une déclaration postée [russe] sur Youtube le 20 mai, c’est-à-dire deux jours après son élévation au rang de célébrité douteuse, il affirmait que ses amis et lui avaient été engagés pour protéger la manifestation de l’opposition du 18 mai :
Iurii Panin et d’autres journalistes ont toutefois rassemblé et publié des photos et des vidéos suggérant que Titushko et ses amis travaillaient à l’événement du Parti des régions ce jour-là :
La police a tout d’abord refusé de rechercher Titushkko, ce qui a poussé des dizaines de journalistes (tout comme certaines personnalités politiques) à manifester le 20 mai devant le Ministère de l’Intérieur à Kiev (photos), pour protester contre l’inaction de la police.
Titushko a été emprisonné et mis en examen pour hooliganisme le 21 mai (photos), avant d’être libéré le 22 grâce au paiement d’une caution de 2,800 $ [soit 22,940 hryvnias; uk]. Lors de son témoignage devant le tribunal, il a a affirmé [ru] n’avoir attaqué personne avec ses amis, mais avoir agi en état de légitime défense, les journalistes les ayant provoqués avec des « mots déplacés ».
Bien qu’il semble que l’enquête policière soit finalement en cours, les journalistes poursuivent leurs manifestations.
Le 22 mai, au cours d’une réunion gouvernementale au Cabinet des Ministres, des journalistes ont tourné le dos au Premier Ministre Mykola Azarov pour lui montrer les posters attachés sur leurs chemises : « Aujourd’hui la journaliste ! Demain, votre femme, votre sœur, votre fille ! Faites quelque chose ! » Azarov a réagi en demandant le retrait de leur accréditation. Le 23 mai cependant, un autre groupe de journalistes a organisé une action devant le Cabinet des Ministres pour soutenir ses collègues – ce qui a dû inciter Azarov à revenir sur sa décision.
Le 27 mai, un groupe de journalistes, accompagné d’activistes du mouvement Stop Censorship! [uk](Stop à la censure !) a augmenté la pression sur les épaules des autorités en plantant une tente devant le Ministère de l’Intérieur, malgré la résistance [uk] opposée par les forces de police. Ils ont qualifié cette tente de « centre d’information temporaire » et ont passé trois jours et deux nuits, montant la garde à tour de rôle. Le 29 mai, ils ont résumé les résultats [uk] résumé les résultats de l’enquête en cours en l’agression de Snitsarchuk et de Sodel dix jours plus tôt, et ont volontairement démonté la tente.
Le 30 mai, une représentante du Ministère de l’Intérieur a annnoncé [uk] qu’une action disciplinaire était en cours contre 15 officiers de police, coupables de « ne pas avoir agi de façon résolue » lors des confrontations du 18 mai.
La question de la sécurité des journalistes a toujours été importante en Ukraine. Sur Facebook, Kostiantyn Stogniy a signalé [ru] que, bien que plus de six mois se soient écoulés depuis l’agression de la journaliste TV Anna Petrenko début septembre 2012, les coupables n’ont toujours pas été jugés. Et le 25 mai, alors que l’indignation publique suite aux agressions du 18 mai était à son paroxysme, deux journalistes ont été agressés à leur tour : l’un, Andriy Kachor, à Brovary [uk], près de Kiev et l’autre, Vyacheslav Konovalov, à Kiev [ru]. Ces cas, cependant, n’ont pas reçu autant d’attention que les agressions de Snitsarchuk et de Sodel.
Le blogueur LEvko de Foreign Notes a traduit l’explication [ru] avancée par le journaliste ukrainien Mustapha Nayyem concernant les agressions contre les journalistes et le combat des journalistes contre la violence dans une perspective plus large :
[…] Le sentiment d’impuissance et d’humiliation que ressentent mes collègues (journalistes) chaque jour, chaque minute, est également ressenti par des millions d’Ukrainiens. Non pas parce qu’ils sont agressés et insultés. Mais parce la malveillance, la grossièreté et l’animalité gagnent chaque jour en importance, avec l’assentiment des autorités actuelles. Tout ceci ne se passe pas seulement publiquement, mais avec ostentation, toujours avec un sourire masqué, par l’action d’un parti qui cultive la permissivité basée sur le droit du plus fort.
Si cela ne change pas, il y aura une guerre. Mais pas entre des slogans, des partis ou des langues. Mais pour le droit fondamental des hommes à la dignité. […]