La Turquie est depuis longtemps une destination de tourisme et d'affaires populaire pour des dizaines de milliers d'Ukrainiens, mais peu de ces visiteurs peuvent prétendre connaitre la vie politique turque. Maintenant, alors que les manifestations contre le gouvernement et les brutalités de la police en Turquie font les gros titres dans le monde entier, les Ukrainiens ont commencé à suivre la situation avec beaucoup d’intérêt. Ils expriment leur soutien aux manifestants, en remarquant les traits communs avec leur révolution orange de 2004 et d'autres événements plus récents en Ukraine. Ils souhaiteraient le réveil politique des leurs, les Ukrainiens.
Sur Facebook, l'une des premières et principales sources d'informations, de photos et d'analyses depuis Istanbul a été Osman Pashayev [russe, ukrainien, tatar], un journaliste ukrainien originaire de Crimée et Tatar, chef du bureau d’Istanbul de la chaîne ATR TV. La journaliste Kristina Berdinskikh a écrit [russe],
La meilleure couverture de presse, ces derniers jours, est celle d’Osman Pashayev.
Sur Facebook, Iryna Panchenko a écrit [ukrainien]:
C'est bien que Osman Pashayev soit à Istanbul -nous avons accès à des informations importantes sur les événements là bas, sans avoir à attendre que les médias internationaux se réveillent, et que les [médias ukrainiens] les copient – et, c'est possible, déforment [les articles de leurs confrères étrangers].
Voici des extraits de ses posts [russe, ukrainien, tatar] publiés lors des premiers jours des manifestations, du jeudi au dimanche.
31 mai 2013 – 18h50 (heure d'Istanbul):
J'ai vu la répression des [militants de gauche] lors du sommet 2009 du FMI à Istanbul, j'ai vu des rassemblements de l'opposition à Tbilissi [capitale de la Géorgie], une campagne de répression contre les manifestants arabes de Jérusalem, une opération anti terroriste dans le nord de l'Irak, mais je n'ai jamais vu un tel traitement sauvage de manifestants pacifiques avant. Je ne peux pas arriver à la [Place Taksim] – à 100 mètres, le gaz irrite les yeux. J'ai acheté deux citrons et versé le jus sur moi-même et une jeune fille turque. Les yeux brûlent à cause du citron, mais au moins on respire mieux au bout de quelques minutes. Beaucoup ici ont entre 18 et 25 ans. Les policiers mènent une guerre contre les citoyens.
19h24 :
Notre pays l'Ukraine – même sous le régime du président Victor Yanukovych – est presque une démocratie exemplaire. Aujourd'hui, la Turquie ressemble beaucoup plus à la Russie, mais pas encore à la Biélorussie […].
1 juin 2013 – 12h07 :
Ne plaignez pas la Turquie. C'est merveilleux. Et le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan est un virus innoculé en quantité suffisante pour que le système immunitaire commence finalement à réagir. […]
2h28:
J'enseigne aux Turcs certaines des règles de la Révolution Orange – à scander “la police avec le peuple” [un des slogans populaires en Ukraine en 2004]. Un peu plus de démissions des policiers et les généraux vont arrêter de donner des ordres inhumains.
4h02:
Premiers secours aux blessés sur l'avenue Istiklal. Les hôtels laissent rentrer les manifestants à l'intérieur, les propriétaires de magasins donnent de l'eau gratuitement et administrent les premiers secours. Les chauffeurs de taxi transportent gratuitement les blessés. ça ressemble à l'unité à Kiev [durant la Révolution orange de 2004].
Un tweet émouvant [traduction rapide de Pachayev en russe, l'original en langue turque, par Aykut Gürlemez / @ aykutgurlemez, est ici]. “Monsieur le Premier ministre, vous n'avez aucune idée de combien je vous suis reconnaissant aujourd'hui. Vous n'avez aucune idée de la bonne action que vous avez faite pour le pays aujourd'hui. Aujourd'hui, pour la première fois, j'ai vu un fan du club de foot de Fenerbahçe aider un fan de l'équipe rivale Galatasaray à se relever du sol après que l'ordre de la police de « tuer » soit arrivé. Aujourd'hui, les Turcs et les Kurdes ont partagé de l'eau et du pain. Aujourd'hui, les femmes que vous appelez prostituées sont sorties de les bordels pour laver les plaies des blessés dans leurs chambres d'hôtel bon marché dans Tarlabaşı. Les avocats et les médecins distribuaient leurs numéros de téléphone, offrant de l'aide. Aujourd'hui, [les magasins et les cafés situés sur la rue] ont mis le wifi à disposition sans mot de passe, les propriétaires des hôtels ont laissé les gens fatigués et ceux qui ont été battus se reposer. Aujourd'hui, nos yeux se sont remplis de larmes, pas à cause de votre gaz au poivre, mais à cause de notre fierté pour notre Turquie.
En Turquie, 7,5 millions d'internautes suivent le hashtag #TürkiyemDireniyor (“ma Turquie résiste”). Erdoğan aura-t-il le cran de les arrêter tous ? )))
[Les fans du club de foot Beşiktaş], Fenerbahçe, Galatasaray. Traduit en ukrainien, ceci signifierait : “Est et ouest unis” [autre slogan populaire dans les manifestations de 2004 en Ukraine, faisant référence aux fossés politique et culturel séparant l'est et l'ouest de l'Ukraine].
C'est avec grand plaisir que j'ai bloqué tous ceux sur Facebook qui font de l'ironie sur les violences en Turquie. […] Un tas de plaisanteries qui soulignent que je viens d'arriver ici et je ne comprends pas grand chose))). Peut-être que je ne comprends rien du tout, mais je comprends que la violence contre des gens pacifiques, c'est mal. Et je l'ai vue de mes propres yeux. J'ai travaillé [en tant que journaliste de télévision] des dizaines de fois en Turquie depuis 2002, et pour la première fois, j'ai vu des policiers baisser le regard de honte. Si les flics se sentent honteux, cela signifie qu'ils sont en effet en train de faire quelque chose qui n'est pas très bien.
Les photos les plus amusantes sont celles de Fenerbahçe et Galatasaray se tenant la main. Difficile à comprendre pour nous [ukrainiens], mais c'est presque comme si [Oleh Tyahnybok, le leader du parti d'extrême-droite ukrainien VO Svoboda] se présentait à un défilé de la gay pride avec [une kippa juive].
dimanche 2 juin 2013 – 4h21:
Il ne reste plus que 2 000 personne à Taksim. Tout le monde se dirige vers le quartier Beşiktaş, où les affrontements avec la police continuent. L'opposition turque n'a pas de dents, et n'est pas intéressante. Les jeunes et les groupes apolitiques sont beaucoup plus intelligents.[photos]
Si Erdogan et d'autres hommes politiques sont sincères, s'ils disent au monde que les manifestants font partie d'une junte, qu'ils sont fans de l'armée et autre racaille marginale, alors pourquoi les caméras Web de la ville sont éteintes seulement à Taksim, tandis que les autres fonctionnent ? Que les Turcs et le monde voient par eux-mêmes les visages des manifestants, leur nombre et leurs yeux. Les vraies photos en disent plus que mille mots))))
Pachayev a poursuivi ses mises à jour sur Facebook et à faire des reportages sur les manifestations en Turquie pour les chaînes de télévision ukrainiennes. Un autre journaliste ukrainien, Mustafa Nayyem [russe], l'a maintenant rejoint en Istanbul et poste aussi articles et des photos sur sa page Facebook.
Roman Shrike, le fondateur d'un site Web populaire ukrainien, durdom.in.ua, a écrit ceci [ru] sur son blog Pravda Ukrainska, en donnant un lien vers un des messages de Pashyiev et en publiant quelques-unes des photos de la manifestation d'Istanboul :
Une bonne révolution commence toujours brutalement.
A Istanbul, la police a violemment réprimé les défenseurs d'un parc. Ce n'est pas grand chose, pensez-vous…Mais la dernière goutte qui fait déborder les choses n'est rien qu'une toute petite goutte. […]
Le politicien ukrainien et ancien journaliste Volodymyr Arieva reposté la photo de milliers d'habitants d'Istanboul qui traversaient le pont du Bosphore samedi matin pour se rendre sur la place Taksim, et écrit [ukrainien]:
C'est comme ça que les gens devraient défendre leurs droits et leurs libertés contre les abus de dirigeants autoritaires qui ne font que passer. Bravo la Turquie !
Un activiste ukrainien, Oleksandr Danylyuk, a écrit [ukrainien] :
Que nous enseignent les événements d'Istanboul ? Qu'il suffirait que les habitants de Kiev lèvent leurs fesses de leur canapé pendant seulement quelques jours et Yanukovych & Co viendraient les supplier à genoux, avec un acte de capitulation signé de leur morve. Mais la majorité des Ukrainiens ne fait que pleurer et avale les cactus qu'ils continuent à manger.