La période des commémorations officielles des victimes du génocide au Rwanda en 1994 continue à travers le monde. Mais rares sont ceux qui se souviennent encore du Capitaine Mbaye Diagne. Pourtant ce jeune officier de l'armée sénégalaise a fait preuve de bravoure au moment où le reste du monde faisait preuve de couardise. Depuis des années, Enrico Muratore se bat pour que le nom de ce héros ne tombe dans pas l'oubli.
Global Voices a posé quelques questions à Enrico Muratore sur l'objectif de son action à travers l'association du Capitaine Mbaye Diagne – Nekkinu Jàmm:
Enrico, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, je suis un ancien officier des droits de l’homme des Nations Unies ayant servi entre autres les missions de maintien de la paix et ayant aussi travaillé au Rwanda, pays auquel je me suis beaucoup intéressé depuis le génocide de 1994. Je suis Italien mais je vis en Afrique depuis 15 ans et au Sénégal depuis quatre ans.
Ce 31 mai, vous avez organisé une cérémonie pour la commémoration d’un soldat sénégalais mort au cours du génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de cette cérémonie ?
Nous célébrions la mémoire du Capitaine Mbaye Diagne, qui était un observateur militaire de la MINUAR (Mission des Nations Unies d’Assistance au Rwanda). Quand le génocide commença le 7 avril 1994, il commença tout de suite des missions de sauvetage individuelles et désarmées, pour sauver tous ceux qui pouvaient l’être. Il commença par les enfants de la première ministre rwandaise Agathe Uwilingyimana, qui venait d’être tuée, après le massacre de son escorte, composée de dix paras belges. Quand les Nations Unies décidèrent de retirer les neuf dixièmes de leur présence militaire qui était déjà sur place (et qui aurait pu s’opposer au génocide), 270 militaires restèrent, et parmi eux le Capitaine, qui poursuivit ses missions périlleuses pour sauver les autres, jusqu’à ce qu’il fut tué le 31 mai 1994, après avoir sauvé, dit-on, près de 600 personnes. Ainsi nous célébrons sa mémoire d’homme juste et altruiste qui a donné sa vie pour sauver celle des autres en ce jour.
Quels sont les objectifs de l’Association dont vous êtes à l’origine ? Qui sont les membres ? Est-elle ouverte à d’autres membres ?
L’Association vise à promouvoir la mémoire du capitaine Mbaye Diagne et à soutenir le développement de sa famille, car il n’est pas juste que l’on abandonne les familles de ceux qui se sont donnés pour les autres. Leur sacrifice ne veut pas dire qu’ils n’aimaient pas leurs propres familles bien entendu ! Donc il faut faire quelque chose pour eux. La Présidente de l’Association est Madame Yacine Diagne, veuve du Capitaine ; le vice-président c’est le Colonel Faye qui était ami du Capitaine et était au Rwanda dans la MINUAR avec lui ; je suis personnellement le Secrétaire général (SG) et les enfants du Capitaine, Coumba et Cheick, sont les assistants SG ; il y a ensuite Ras Makha Diop, un philosophe, jardinier et artiste sénégalais, comme trésorier, en substitution du feu et très regretté homme bon et juste Docteur Adotevi. Nous comptons ensuite des membres fondateurs comme Pierantonio Costa, ancien consul honoraire au Rwanda qui sauva 2000 personnes de la mort pendant le génocide, Mark Doyle qui est correspondant principal de la BBC et ancien ami du Capitaine, le haut fonctionnaire Bacre Ndiaye du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, qui est l’auteur d’un rapport prémoniteur sur le Rwanda lorsqu’il était le Rapporteur Spécial sur les exécution extrajudiciaires, en 1993, et d’autres personnalités sénégalaises et étrangères, dont certaines qui ont participé à l'une des deux ou à toutes les deux missions des Nations-Unies au Rwanda, qu'ils l'aient connu ou seulement apprécié son sacrifice pour sauver des innocents. Nous acceptons toujours de nouveaux membres, dans la mesure où nous constatons qu’ils admirent sincèrement la figure du Capitaine et ont l’intention de soutenir les buts de notre Association.
Il s’agit bien d’un héros, donc ! Que savait-on de lui jusque là ?
Il y a de nombreux matériels disponibles sur internet, mais il est vrai que l'opinion publique mondiale ne connait pas le Capitaine. Pourtant son sacrifice a été officiellement reconnu par le gouvernement rwandais, par le Secrétaire d’Etat Américain Hillary Clinton, et par le Jardin des Justes de Padoue en Italie, entre autres.
Quelles sont les réalisations jusqu’à présent ?
Constituer l’Association a été en soi une réalisation car ce ne fut pas simple. Nous avons une page Facebook dénommée Association du Capitaine Mbaye Diagne – Nekkinu Jàmm et nous sommes entrain de mettre au point un site web multilingue; nous organisons des activités avec la presse. Par exemple, par exemple, dans cette interview du 31 mai dernier, sa femme décrit comment elle a été informée de son décès et évoque ses souvenirs.. Il Fatto Quotidiano en Italie, et dans le passé avec la Radio Ouest Africaine pour la Démocratie ou les médias sénégalais ; des activités comme le tournoi de football junior organisé avec la Fédération Sénégalaise de Football ; ou encore, tous les matins du 31 mai, la veille de prière dans la maison de la famille du Capitaine.
Etait-il marié et avait-il des enfants ? Que sont-ils devenus ?
La famille a été tout simplement oubliée pendant tout ce temps, maintenant on espère que l’association que nous avons constituée les aidera à se faire mieux entendre et trouver leur place en promouvant notamment la mémoire de leur mari et père, car c’est un exemple qui pourra être très utile dans l’éducation de la jeunesse et de la population dans son ensemble, par ces temps troublés et violents.
Le capitaine Mbaye est tombé en mission, non ? Qu’ont fait les autorités nationales et l’ONU ?
Il faut demander à son épouse et Présidente de l’Association Madame Yacine Diagne, mais pour ce que j’en sais les Nations Unies n’ont rien fait à part l’assurance-vie que le Capitaine avait souscrit à leur service et qui a payé la prime à la famille il y a 19 ans et depuis plus rien. La maison de famille est en train de s’écrouler, ils ont dû chercher le soutien d’une sœur de Yacine ; les enfants ont perdu des années d’école, Coumba l'ainée a eu de nombreux problèmes de santé, la maman du Capitaine est âgée et malade. Seule la famille proche, et quelques amis notamment issus de l’Armée ont fait quelque chose ; maintenant c’est l’Association qui fait ce qu’elle peut.
Pour les morts il n’y a que Dieu qui s’en occupe, et les quelques personnes qui ont encore un peu de conscience. Nous avons contacté en tant qu’Association le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest, ça fait déjà un petit moment, mais ils n’ont toujours pas répondu. Nous espérons qu’ils le fassent.
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