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Le racket des prostituées de Hong Kong passe par les “bonnes critiques” en ligne

Catégories: Asie de l'Est, Hong Kong (Chine), Droit, Femmes et genre, Liberté d'expression, Médias citoyens

Beaucoup sont d'avis que Internet a permis aux individus et aux minorités de se faire entendre. Pour les prostitué(e)s, c'est une autre histoire. La loi à Hong Kong sanctionne “la publication de publicité pour des services sexuels” et la “conspiration pour vivre des gains de la prostitution d'autrui”. Les prostituées ne peuvent donc ouvrir leur propre site et sont exploitées par ceux qui peuvent gérer de tels sites depuis l'étranger. 

Mavis Siu, qui travaille pour inmediahk.net à Hong Kong, a enquêté sur le racket des prostituées par le site sex141.com, le portail le plus important, qui propose des services sexuels à Hong Kong. L'article est d'abord paru [1] sur le site inmediahk.net le 24 juillet 2013 en chinois. Une version en anglais plus courte a été traduite par Alpha Au pour être publiée sur Global Voices, dans le cadre d'un partenariat d'échanges d'articles.

JJJ association set up counter to help local sex workers at TST district. Photo taken from inmediahk.net (CC: AT-NC) [1]

L'association JJJ  a ouvert un stand pour rencontrer les travailleurs du sexe dans le quartier  TST. Photo parue sur le site  inmediahk.net (CC: AT-NC)

Certains journaux ont déjà relevé que le site sex141.com profite du “Money-Drop Review”, des commentaires laissés par les clients, pour racketter les prostituées. Celles-ci sont mal notées en ligne par des internautes anonymes ou des personnes payées pour cela, à moins de payer, ce qui leur permet alors d'avoir de bonnes “critiques” rédigées par des rédacteurs que le site recommande. JJJ Association [2] [chinois], une association qui défend les droits des travailleurs du sexe, a alerté les journalistes sur cette situation.

Pourtant, beaucoup s'interrogent encore : pourquoi des travailleuses du sexe exploitées s'inscrivent-elles toujours et mettent-elles leur profil sur sex141?

Le Monopoly du sexe en ligne 

L'arnaque dont sont victimes les prostituées vient du monopole de la pornographie en ligne à Hong Kong.

On dénombre trois grands sites porno à Hong Kong, et sex141 est le plus actif, avec son répertoire de “bordels à une seule femme” [3], l'expression en vigueur pour les prostituées qui travaille en appartement, en général des studios en ville. sex141 a été ouvert en  2002 par un diplômé d'une université locale [4] [chinois]. Le site permet aux travailleuses du sexe de faire de la publicité et propose aussi un forum. A l'origine, le site était domicilié à Hong Kong, mais quand son propriétaire a été condamné [5] pour “conspiration pour vivre des gains de la prostitution d'autrui” en 2006, le serveur du site a été délocalisé aux Etats Unis, où il est géré par une société appelée Black Lotus Communications. Ces dernières année, la société à ouvert des sites similaires en Asie, en  Chine, à Taiwan et à Macao.

Le site qui cible le marché de Hong Kong a “une base de données VIP de filles”, qui classe les prostituées par  lieu de travail, pour que les recherches des clients soient plus aisées. Une personne chargée des campagnes de l'association JJJ dit que ce site porno est très professionnel. Ils emploient par exemple une équipe de juristes pour éviter tout ennui découlant de leur activité.

Leur classement sur les moteurs de recherche et leur popularité sont très bons, et c'est ainsi qu'ils ont institué un monopole de fait à Hong Kong. Selon le site de classement des sites alexa.com, sex141 était classé 126ème [6] site en termes de trafic à Hong Kong, alors que deux autres sites porno similaires “Miss 148″ [7] et “161 Sex” sont classés [8] 1 088 et 1 638ème respectivement.

Miss Ho, une prostituée inscrite sur sex141 depuis plus d'un an, croit que les bons résultats de sex141 sont dus à ses techniques de marketing. Outre le site principal, sex141 gère aussi un forum [9] [zh].  Le contenu du forum ressemble à celui de beaucoup d'autres forums, mais il présente beaucoup de publicités de sex141 pour des escort girls et d'autres services et produits de nature sexuelle. Le forum est classé 148ème [10] sur Alexa.

Comme d'autres sites porno, sex141 propose un abonnement de “membre payant” sous le nom de “Programme sponsorisé”. Les abonnés qui payent 300, 1 000 ou 8 800 dollars HK ont différents privilèges, comme voir ou prendre des photos des prostituées, lire les critiques, visionner des vidéos, faire des recherches et d'autres fonctionnalités. Les abonnés peuvent aussi gagner des points de crédit sur le forum pour accéder à plus de droits.

Miss Ho souligne que les prostituées constituent la plus importante source de revenus pour le site sex141. “Nous payons 1 300 dollars de Hong Kong  [environ 180 US dollars] chaque mois pour des publicités” dit-elle. Actuellement, plus de 3000 travailleuses du sexe sont sur le site. Les revenus mensuels peuvent donc s'estimer en millions de dollars de Hong Kong.

Le coût des mauvaises critiques

Miss Ho reconnait que sex141 est un support très efficace pour faire de la publicité. Cela l'aide dans ses affaires. “Je ne parviens pas à comprendre pourquoi les clients sont si dépendants du site, mais de toute façon, ça nous aide à trouver plus de clients” dit-elle.

Mais sex141 veut extraire encore plus d'argent de ses clientes que leur cotisation mensuelle. Miss Ho explique que sex141 a “de nombreuses façons d'exploiter les prostituées”. Par exemple, la “Star du jour – Boite à fleurs” sur la page d'accueil. Un bouton permet aux clients d'acheter des fleurs virtuelles pour les filles. Dans la plupart des cas, ce sont elles qui paient 300 dollars HK (environ 40 US dollars) pour s'offrir à elles mêmes des fleurs, ce qui fait monter leur cote.

“Ces choses-là sont compliquées, mais rien n'est pire que la “Money-Drop Review”, dit-elle.

“Money-Drop Review” est une nouvelle fonctionnalité. Elle encourage les abonnés à écrire des critiques, comme ‘la prestation était nulle’, ou même que la prostituée avait une maladie vénérienne. Les auteurs ne sont pas responsables de leurs écrits et on ne leur demande pas non plus de présenter des preuves. Les critiques se contentent donc de diffamer les fille, qui pour avoir de bonnes critiques doivent payer.

“ça coûte 200 dollars de faire supprimer une mauvaise critique. Si la fille qui est mal notée n'est pas une abonnée payante de sex141, elle doit payer 1 300 dollars HK [180 US dollars] pour devenir membre, et encore 1 000 dollars HK [environ 130 US dollars] pour FeiLung [un rédacteur recommandé par le site], pour qu'il rédige trois bonnes critiques, pour avoir une bonne image et que les affaires continuent”, Miss Ho ajoute.

L'arnaque du “Money-Drop Review” n'oblige pas uniquement les filles à payer plus, mais les oblige aussi à s'abonner au site.

“141 pourrait augmenter le prix des pubs, à, disons, de  3 000 à 4 000 dollars UK [environ 400 à 520 US dollars], les prostituées pourraient alors choisir de continuer à l'utiliser ou non” s'indigne Miss Ho. Le système actuel de la “mauvaise critique” a perturbé les prostituées tant psychologiquement que financièrement.

Miss Ho a entendu dire qu'une fille aurait dépensé 10 000 dollars HK (environ 1 300 US dollars) par mois en rédaction de bonnes critiques, et certaines tombent dans la dépression ou sont proches du suicide après de mauvaises critiques. Quand l'une est accusée d'avoir une maladie vénérienne, son chiffre d'affaires s'effondre immédiatement.

Etant donné la nature de leur travail, les prostituées ne peuvent pas empêcher ces mauvaises critiques de paraitre, ou se défendre de fausses accusations. Si elles veulent avoir des mots flatteurs, elles doivent en passer par le rédacteur payant. Miss Ho se demande pourquoi sex 141 ne protège pas les abonnées prostituées : “Après tout, nous sommes celles qui payent pour les pubs ! Pourquoi la Money-Drop Review ne cible que nous ? Les autres pubs sur le site, comme celles pour des services financiers, des accessoires de sex-shop et des numéros de tchat sexy n'ont pas ce genre de critiques.”

Le site défend sa rubrique critiques en invoquant la liberté d'expression. Mais les “mauvaises critiques’ ne peuvent pas être vérifiées, et les auteurs ne sont pas responsables pour leurs fausses informations”. La “liberté” a indubitablement fait du mal aux prostitués.Miss Ho demande : “‘Quand les informations comprennent l'adresse, les noms et numéros de téléphone, leur influence ne peut pas ne pas avoir d'impact dans le monde réel”.

Les administrateurs du forum de sex141 ont duggéré que “les rédacteurs recommandés “FeiLung” et “GwatZingKoeng” sont des rédacteurs agrées et ne sont pas des employés du site…Personne n'est autorisé à les faire payer au nom de sex141.”

Mais Miss Ho demande : “S'il n'y a pas d'intérêts cachés, pourquoi le service de la publicité de 141 nous recommande-t-il les deux rédacteurs ?” Un contributeur de Inmediahk.net a essayé de contacter le personnel de sex141, mais s'est vu répondre : “Vous connaissez la nature de notre site. Nous ne donnons pas d'interviews aux médias. Aucun commentaire.”

Un membre de l'association JJJ  dit qu'ils ont présenté les filles à d'autres sites du même genre, mais que ceux-ci ne marchent pas bien, et que leur nombre de visites ne leur permet pas de trouver des clients. L'association a même envisagé de lancer un nouveau site, mais ils se sont retrouvés confrontés à des risques juridiques, et à des problèmes techniques. Ils ont du abandonner cette idée. Il semble que les prostituées n'aient d'autre alternative que de continuer à ‘payer pour leur propre malheur’ si cette situation de monopole se prolonge.