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Maroc : Le “Daniel Gate” crée une mobilisation nationale sans précédent

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Espagne, Maroc, Cyber-activisme, Droit, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

A l'occasion de la Fête du Trône au Maroc, le roi Mohammed VI a gracié 1.000 prisonniers le 31 juillet. La grâce royale marque les grands événements selon une tradition bien établie dans le royaume. Mais cette fois, le pédophile espagnol Daniel Galván Viña, aussi nommé Daniel Fino Galván dans certains organes de média, condamné à 30 ans de prison en 2011 pour les viols de 11 enfants à Kénitra était du nombre. Le scandale s'est allumé comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux lorsque le portail indépendant d'information marocain Lakome [1] a révélé l'affaire.

Mobilisation populaire

Les cyberactivistes ont aussitôt commencé à organiser la protestation. Une page Facebook intitulée “Tous contre la libération de Daniel Fino Galván” [6] a rassemblé des photos de gens à travers le monde posant avec des messages qui demandent l'arrestation du pédophile espagnol [7].

Le 2 août, les Marocains sont descendus dans la rue en une série sans précédent de manifestations à travers le pays, pour mettre le roi personnellement au défi de répondre à cette unique question : comment cela a-t-il pu se faire ? Récits et images de violente répression ont suivi depuis Rabat, où s'est tenue l'une des plus grosses manifestations.

Quelle image ! Notre moment Flower Power [19]

Images de la manifestation de ce soir à Rabat contre la grâce royale au pédophile espagnol

Le cabinet royal a publié un communiqué de presse le lendemain, qui déchargeait le roi de toute responsabilité.

Pourquoi on appelle ça une “grâce royale” si le roi n'y a aucune part ?

Qu'on imagine le dossier du pédophile remonter la chaîne. Pas le moindre individu – même un seul – pour dire “Ça ne va pas” ou “Non”.

Le mot-clic sur Twitter #Mafrasich [je ne savais pas, en arabe marocain] est immédiatement devenu viral, blâmant le roi pour une esquive aussi facile.

Quelqu'un fait asseoir le roi pour l'informer sur le pays qu'il dirige apparemment.

Qui est Daniel Galván Vina?

Plus encore que le motif initial de sa grâce, c'est le fait que Daniel Galván ait quitté le territoire marocain sitôt remis en liberté, avec un passeport expiré, qui a soulevé les interrogations. Son passé d'espion irakien qui a collaboré avec les services secrets espagnols au renversement de feu l'ex-président irakien Saddam Hussein a refait surface.

Daniel Galván est donc un espion kurde d'Irak qui a aidé à la chute de Saddam Hussein… Il reste un pédophile.

Information initialement démentie par les cabinets royaux tant espagnol que marocain, il s'est avéré qu'une liste nominative, puis deux, d'Espagnols ont été remises au cabinet royal marocain par le roi d'Espagne lors de sa dernière visite : l'une pour la grâce royale, et l'autre pour l'extradition. Le cabinet royal aurait relâché tous les 48 y figurant, Daniel Galván était sur la deuxième.

Il est curieux de voir les arguments des dirigeants du Maroc et de l'Espagne. Tous s'excusent qu'ils ne savaient rien

En résumé : le roi a le pouvoir absolu, mais n'est absolument pas responsable de ce qui s'est passé.

Un second communiqué de presse a annoncé l'annulation de la grâce le 4 août. Hafid Benhachem, le directeur général de l'administration pénitentiaire, a été renvoyé suite à l'enquête promise par le roi dans son premier communiqué. Pour les militants en ligne, c'était trop peu, trop tard :

Le roi du Maroc annule la grâce du pédophile espagnol Daniel Galván Viña. Le problème est que le type a quitté le pays il y a 3 jours #oups

 

Daniel Galván a finalement été arrêté en Espagne [49] après l'émission par Interpol d'un mandat d'arrêt international, mais sans réponse claire sur le lieu et la date d'un nouveau procès.

Silence des média

Les médias publics marocains ont passé sous silence le Daniel Gate et la violente répression contre les manifestants jusqu'au 5 août, quand la télévision 2M a organisé un débat sur le scandale Daniel Galván. El Mostafa Ramid, le ministre de la Justice, a justifié l'usage de la violence contre les manifestants, en prétendant qu'ils étaient armés.

Ramid, le ministre de la justice, justifie la répression de vendredi dernier

Ramid a aussi commenté l'arrestation de Daniel Galván le même jour, et les possibilités de son retour en prison :

Dans un billet de blog, Saad El Adraoui ridiculise la discussion [54] en l'illustrant d'un dessin sarcastique. Ahmed Benshemsi résume sur Twitter l'intervention du ministre de la Justice :

Vu d'Espagne

Le PSOE, le principal parti d'opposition en Espagne, a évoqué la responsabilité du gouvernement dans cette affaire :

Le gouvernement doit se charger de résoudre la situation et de ce que Galván finisse en prison.

Dans l'actuel état de tension sociale, économique et politique en Espagne, des twittos ont critiqué l'instrumentalisation de l'affaire par l'opposition.

Le PSOE (principal d'opposition en Espagne) critique le gouvernement pour sa “gestion désastreuse” du pédophile gracié au Maroc. Tout est bon pour attaquer (le président) Mariano.

Puisque Galván n'était pas le seul prisonnier à être gracié, certains se sont demandé qui étaient les autres.

OK, Daniel Galván était un pédophile. Mais qui sont les 30 autres Espagnols graciés par erreur ?

Et maintenant ?

Pour la première fois depuis le mouvement du 20 février qui avait amené les gens dans les rues il y a deux ans et appelé à des réformes, les Marocains se sont unis pour dénoncer d'une même voix ce qu'ils ont ressenti comme une nouvelle atteinte à leur dignité. Dans un pays où contester le jugement du roi peut conduire en prison, les événements de ces derniers jours sont une première historique.

Beaucoup se sont félicités des résultats [60]:

Félicitations au peuple du Maroc. Un extraordinaire rétro-pédalage royal.

D'autres, plus circonspects, veulent plutôt y voir un commencement. Le blogueur marocain blogger Larbi écrit [66] :

Il s’est passé quelque chose durant les derniers jours, qui constitue un tournant. Cette regrettable grâce royale a apporté d’elle-même la démonstration pédagogique et parfaite de ce que beaucoup essayaient en vain d’expliquer : il ne point y avoir de pouvoir sans responsabilité et sans comptes à rendre. C’est l’heure de choix : le palais doit arrêter son hégémonie, se séparer de sa boite noire et abandonner le rôle de monarchie exécutive ou alors il sera fatalement confronté directement à la rue qui demandera des comptes à l’occasion d’autres affaires. A chacun de faire son évolution et en l’occurrence seule l’opinion publique a pour l'instant fait la sienne.