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La couverture de la presse britannique des attaques à l'acide de Zanzibar risque d'attiser les tensions religieuses

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Tanzanie, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Religion

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais]

La couverture faite par la presse britannique de l’attaque à l’acide dont ont été victimes deux adolescentes anglaises, Kirstie Trup et Katie Gee, toutes deux âgées de 18 ans, est trompeuse et risque d’attiser les tensions religieuses en Tanzanie, ainsi que l'explique [1] Ben Taylor sur son blog consacré au développement, à la politique, aux médias et à la Tanzanie.

Zanzibar est actuellement le foyer de tensions politiques et religieuses latentes. Plus tôt dans l'année, un prêtre catholique avait été abattu et une église incendiée [2] au cours du festival « Sauti Za Busara » [Sons de la sagesse] qui œuvre à la promotion de la tolérance religieuse. Les tensions politiques de l'île ont pour principal objet les questions relatives à l'union [3] du Tanganyika (Tanzanie continentale) et de Zanzibar. Certains voudraient voir cette union dissoute.

Les deux adolescentes ont été attaquées [4] à Zanzibar le 7 août 2013, alors qu'elles étaient venues y travailler en tant que bénévoles pendant leurs vacances. Il reste encore à établir si l'attaque a un lien avec les tensions politiques et religieuses de l'île.

Les critiques émises par Ben Taylor envers la presse britannique se concentrent sur les articles relatifs au dignitaire musulman radical Cheikh Issa Ponda après qu'il a été la cible de tirs et arrêté [5]. Cheikh Ponda, le secrétaire du Council of Islamic Organisations [conseil des organisations islamiques], a été blessé par une bombe lacrymogène tandis qu'il tentait d'échapper à la police. Il se trouve actuellement à Muhimbili, l'hôpital principal de Tanzanie situé à Dar Es Salaam.

Presque tous les plus grands organes de presse britanniques, dont le Sun [6], le Mirror [7]le Times [8]Sky News [9], et le Telegraph [10], ont établi un lien entre l'arrestation et l'agression des deux adolescentes.

Toutefois, selon un communiqué de presse [11] [swahili] de la police tanzanienne, Cheikh Ponda a été arrêté pour avoir incité à la violence dans ses discours enflammés.

Dans son billet, Taylor commence [1] par critiquer la presse britannique et fait l'éloge de la presse tanzanienne :

A screen shot of Mail Online on Ben Taylor's post.

Une capture d'écran de Mail Online  dans le billet de Ben Taylor.

 

Sans surprise, les médias britanniques suivent de près l'histoire de deux adolescentes qui ont été victimes d'une terrible attaque à Stone Town, à Zanzibar. Mais dans leur hâte de publier une histoire intéressante, et dans une situation où peu de faits sont connus, ils commettent de graves erreurs.

Hier, si l'on en croit ce que rapportent les médias tanzaniens, Cheikh Ponda, un dignitaire religieux radical de Zanzibar, a été touché par des tirs et blessé dans la ville de Morogoro. Certains disent que ces tirs venaient de la police, d'autres racontent que la police a plusieurs fois essayé de l'arrêter, sans succès. D'autres sources médiatiques contestent ces « faits », soutenant qu'il est maintenant à l'hôpital. Dans l'ensemble, et c'est tout à son honneur, la presse tanzanienne semble réagir avec précaution face à cette incertitude, en jouant clairement la transparence face des faits qui ne sont pas établis avec certitude.

En outre, aucun de ces médias (à ma connaissance) n'a fait de lien entre Cheikh ou ces prétendus tirs/tentative d'arrestation et l'attaque à l'acide de Zanzibar.

Mais voyez comment les médias britanniques ont couvert cette même histoire.

Il poursuit  [1] en identifiant des erreurs graves dans la couverture qu'en a fait la presse britannique et conclut que :

Si j'ai raison, c'est franchement honteux de la part de la presse britannique. Tout d'abord, cela trompe les familles de ces deux filles en leur laissant penser que l'on progresse dans la traque de leurs agresseurs. Ensuite, et c'est peut-être ce qu'il est le plus inquiétant, cela risque d'attiser davantage les tensions religieuses en Tanzanie, sur la base de preuves des plus ténues.

Il n’y a à ma connaissance rien qui prouve que les motifs de cette attaque étaient religieux ou politiques, et qu'elle a à voir avec Cheikh Ponda [un dignitaire religieux extrémiste]. Il est possible que cela soit le cas, tout comme il est possible qu'elle ait été motivée par de tout autres raisons. Une grande partie de la presse britannique semble déjà s’être fait sa propre opinion. Les faits (ou l'absence de faits) ne semblent pas les entraver dans leur quête de la bonne histoire, quels que soient les dégâts que cela pourrait engendrer.

Il souligne que le procureur général [Director of Public Prosecution – DPP] tanzanien  a demandé l'arrestation de Cheikh Ponda [12] pour des raisons qui sont apparemment sans lien avec les attaques à l'acide. Le DPP a déclaré que Ponda avait désobéi à une ordonnance du tribunal.

A market stall in Stone Town, Zanzibar, which is one of the most popular sites for tourists. Photo released under Creative Commons (CC BY-SA 3.0) by Wikipedia user Esculapio.

Un étal à Stone Town, à Zanzibar, qui est l'un des sites les plus touristiques. Photo publiée sous licence Creative Commons (CC BY-SA 3.0) par l'utilisateur Wikipedia Esculapio.

Le jour suivant, le 12 août 2013, Taylor a publié [1] une mise à jour dans le même billet.

Le Mirror et le Mail ont tous deux considérablement modifié leurs articles, que l'on peut trouver à la même adresse URL que ceux que j'ai mis en lien hier. En d'autres termes, les anciens articles ne sont plus disponibles.

Dans une mise à jour, il remarque que le Mirror a supprimé tout ce qui pouvait suggérer que Cheikh Ponda était recherché dans le cadre de l'attaque à l'acide, tandis que le Mail, qui a eu la même démarche, est allé jusqu'à suggérer qu'il pourrait y avoir un autre mobile à l'attaque.

Il écrit [1] :

Le Times et le Telegraph ont posté (à deux reprises) de nouveaux articles qui reprennent la thèse selon laquelle Ponda est recherché dans le cadre de l'attaque.

Et finalement, le Guardian s'est intéressé à l'histoire. Leur chroniqueur des médias phare, Roy Greenslade, se demande si les médias britanniques ne se sont pas trompés et cite cet article de blog.

Mike Pflanz (@MikePflanz [13]) un correspondant basé au Kenya couvrant l'Afrique de l'Est, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale pour le Daily Telegraph et l'Afrique de l'Est pour le Christian Science Monitor, s'est entretenu avec Cheikh Ponda à l'hôpital. Il a réfuté les allégations selon lesquelles il aurait été l'instigateur de l'agression :

 

Cheikh Issa Ponda, recherché pour être interrogé re #Zanzibar [14] #acidattack [15] me dit depuis son lit d'hôpital qu'il n'a pas été l'instigateur de l'attaque. Article à venir

— Mike Pflanz (@MikePflanz) 12 août 2013 [16]

Une des deux adolescentes blessées dans l'attaque, Kirstie Trup, a été autorisée à quitter l'hôpital [17]. Toutes deux auront besoin de greffes de la peau [18] pour soigner leurs blessures.

Le New York Times a cité [19] Jaf Shah, le président d’Acid Survivors Trust International [association combattant les attaques à l'acide], qui déclare que l'attaque à l'acide semble être la première agression de ce type envers des touristes occidentaux ou des travailleurs humanitaires à Zanzibar.

Selon [20] Acid Survivors Trust International, on enregistre 1500 cas par an dans le monde, bien que les chiffres exacts soient peut-être plus élevés. Les victimes sont des femmes et des filles dans 75 à 80 % des cas. Sur l'ensemble des victimes de sexe féminin, environ 30 % ont moins de 18 ans.