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Un journaliste marocain arrêté pour avoir fait allusion à une vidéo terroriste

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Maroc, Droit, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Advox
View on the medina of Casablanca in Morocco. Photo by Pawel Ryszawa via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0) [1]

La Médina de Casablanca, au Maroc. Photo de Pawel Ryszawa via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0)

La version originale de ce billet a été mise en ligne sur le blog [2] [en anglais] de la Fondation Electronic Frontier.

Ces dernières années, le Maroc a fait d'énormes progrès en termes d'accès à Internet en faveur de ses 32,5 millions d'habitants. Entre 2008 et 2013, le nombre d'internautes est passé de 10,2 à 17,8 millions, ce qui a participé à la croissance du secteur [3] des technologies de l'information du pays. Le gouvernement marocain a débloqué d'importants fonds afin de développer l'accès à Internet dans les écoles et d'élargir ses plateformes numériques administratives. Durant l'été 2013, les Marocains ont vivement réagi à la grâce accordée par le roi à un pédophile espagnol ; la campagne en ligne menée en réaction a rencontré un tel succès [4] [en anglais], et ce pour la première fois dans le pays, que la grâce a été annulée et l'homme arrêté de nouveau (en Espagne).

Malheureusement, et malgré des informations faisant état d'un allègement de la surveillance de la Toile par les autorités, le gouvernement marocain a également mis des moyens dans le “ciblage” des journalistes et des dissidents. L'année dernière a ainsi vu une augmentation du nombre d’arrestations d'utilisateurs de médias sociaux [5] [en anglais] tandis que, plus récemment, un journaliste a été inculpé pour diffamation criminelle [6] [en anglais] suite à un article relatif à la corruption gouvernementale qui aurait embarrassé un ministre haut placé.

Le 17 septembre dernier, un autre journaliste a été arrêté suite à un article dans lequel il évoquait l'action de forces se montrant critiques envers le gouvernement marocain. Ali Anouzla, rédacteur en chef de l'édition arabe du site d'information Lakome – dont il est aussi un des co-fondateurs –, a été emprisonné sans aucune charge mais suite à un article publié le 13 juillet qui évoquait une vidéo mise en ligne, a priori par Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique), sur YouTube. Si l'article de Lakome ne contenait pas de lien vers la vidéo, il faisait néanmoins référence à une publication d’El País, qui, elle, contenait un lien direct vers le film en question.

La vidéo, qui a apparemment été retirée de la plateforme YouTube à la demande des autorités marocaines [7] [en arabe], critiquait le roi du Maroc et appelait les jeunes à rejoindre le Djihad. Selon le Comité pour la protection des journalistes [8] [en anglais], le procureur général du Maroc a déclaré que le fait de relayer par voie de presse des menaces émanant d'Al-Qaida était criminel et que les victimes d'attaques terroristes perpétrées dans le pays avaient demandé d'enquêter à ce sujet sur plusieurs publications partageant le lien vers la vidéo, voire la diffusant.

Plusieurs sources marocaines ont indiqué qu'Ali Anouzla était emprisonné à Casablanca et avait été empêché, tout d'abord, de rencontrer tout avocat. Selon Amnesty International [9] [en anglais], ses avocats ont reçu l'autorisation de lui rendre visite le vendredi 20 septembre. Dans le cadre d'affaires liée au terrorisme, le Code pénal marocain permet aux autorités de retenir un suspect en garde à vue jusqu'à douze jours et d'empêcher tout contact avec un avocat pendant six jours.

Le 18 septembre, plus de 200 personnes ont manifesté devant la brigade de la police judiciaire pour prôner la liberté d'expression et demander la libération d'Ali Anouzla.

Une bonne excuse

L'histoire récente marocaine est emplie de ce genre d'affaires, dans lesquelles les autorités visent un journaliste ou un organe de presse pour des infractions mineures dans le but de les faire taire. En 2007, le nouveau magazine avant-gardiste Nichane fut interdit de parution deux mois durant pour avoir publié un florilège de blagues populaires marocaines, dont certaines avaient été jugées par les autorités insultantes à l'égard de la monarchie. En 2009, le site d'information Akhbar Al-Youm fut quant à lui interdit [10] [en anglais] après avoir mis en ligne un dessin considéré comme une injure faite au drapeau national ; ses responsables avaient été accusés d'avoir “sali le drapeau national” et “manqué de respect au prince”. Mais sans doute le cas le plus connu est-il celui d'Ahmed Benchemsi, fondateur de Nichane et ancien rédacteur en chef de TelQuel, qui choisit de s'exiler [11] à la suite de la fermeture définitive de Nichane, en 2010.

Bien que le gouvernement soit parvenu à faire disparaître un bon nombre de publications papier au fil des ans, il lui est plus difficile de réduire au silence les médias en ligne. Alors qu'il interviewe, en juillet 2012, le co-fondateur de Lakome et journaliste de renom Aboubakr Jamaï, Hasna Ankal aborde la question sans détour [12] [en anglais] en l'interrogeant sur le rôle tenu par la presse en ligne au Maroc. Aboubakr Jamaï lui fait cette réponse :

Je pense que la presse en ligne fait du très bon travail. Ce sont ses représentants qui ont été à Taza lors des affrontements entre police et manifestants. Ils ont interrogé les gens, les ont filmés et ont diffusé leurs témoignages sur leurs sites ou sur YouTube. Cela a énormément aidé à comprendre ce qui s'était passé à Taza. Je ne pense pas que la population aurait pris conscience de la réalité des choses si Lakome et ses confrères en ligne n'existaient pas.

Lakome, dont le site est hébergé par un serveur canadien, s'est associé au mouvement du 20 février [13] [en anglais] prônant la démocratie, la liberté d'expression et d'autres valeurs progressistes, et constitue de ce fait une cible facile pour le gouvernement marocain. L'“excellent” article d'Ali Anouzla sur le #DanielGate [14] et la récente campagne qui a vu le roi revenir sur la grâce accordée au pédophile espagnol Daniel Galvan a par ailleurs plusieurs fois été cité comme une raison vraisemblable à ce qu'il soit dans le collimateur.

Tout comme nos collègues de l'Electronic Frontier Foundation (EFF), Global Voices Advocacy voit dans l'arrestation d'Ali Anouzla une nouvelle tentative du gouvernement marocain de réduire au silence les voix critiques et indépendantes s'exprimant en ligne. Nous demandons instamment aux autorités de respecter les engagements pris en termes de droits de l'homme, de permettre à Anouzla de rencontrer immédiatement ses avocats et de renoncer à retenir une quelconque charge contre lui.