[Billet d'origine publié en anglais le 20 septembre]
Au Tadjikistan, le mot “élections” faisait bailler d'ennui ; mais cela pourrait bien changer avec la prochaine course à la présidentielle. Pour la première fois dans l'histoire du pays, une femme brigue [anglais] la magistrature suprême. Oynihol Bobonazarova, une éminente juriste et militante des droits de l'homme, est entrée dans la course présidentielle le 9 septembre 2013, après qu'une coalition de partis d'opposition et d'ONG tadjiks l'a désignée sa candidate.
‘Ce qui pouvait arriver de mieux’
L'option présidentielle de Mme Bobonazarova – plus le fait qu'elle a le soutien du Parti du Renouveau Islamique du Tadjikistan [anglais] – a galvanisé l'opinion publique dans un pays ou le patriarcat est profondément enraciné. Si peu de gens croient à ses chances de remporter l'élection, de nombreux blogueurs et usagers des médias sociaux se félicitent du simple fait de sa présence dans la course.
Tomiris écrit [russe] sur son blog :
…[Я] думаю, что выдвижение Ойнихол Бобоназаровой единым кандидатом от оппозиции для участия в президентских выборах это лучшее из всего, что могло произойти на этих выборах.
Я не настолько наивна, чтобы думать, что у ОБ есть хоть малейший шанс победить на этих выборах или хотя бы набрать четверть голосов. Нет, за неё мало кто проголосует. Но её выдвижение все равно лечшее из всего, что могло произойти.
Je pense que Ia désignation par l'opposition de Oynihol Bobonazarova comme candidate unique pour l'élection présidentielle est ce qu'il pouvait arriver de mieux dans ces élections.
Je ne suis pas assez naïve pour croire que OB [Bobonazarova] a la moindre chance de gagner ces élections ou d'obtenir le quart des voix. Non, peu voteront pour elle. Mais sa désignation est tout de même ce qu'il pouvait arriver de mieux.
Tomiris explique [russe] ensuite pourquoi l'entrée d'une femme dans la course à la présidence l'enthousiasme autant :
[Бобоназарова] хотя и проиграет, но покажет своим примером что женщина может претендовать на самые высокие политические должности в стране. Это будет иметь огромные, положительные и долго-срочные последствия для всех девушек и женщин в Таджикистане. У нас появится идеал к которому будут стремиться. А мучжчины возможно поймут, что к девушкам нужно относиться серьёзнее и что место женщины может быть не только на кухне, но и в президентском кресле.
Même en perdant, Bobonazarova montrera par l'exemple qu'une femme peut prétendre aux charges politiques les plus élevées du pays. Cela aura des conséquences immenses, positives et durables pour toutes les jeunes filles et femmes au Tadjikistan. Nous aurons un idéal vers lequel tendre. Et les hommes pourront comprendre qu'il faut prendre les filles plus au sérieux, et que la place des femmes n'est pas seulement à la cuisine, mais aussi dans le fauteuil présidentiel.
‘Seulement quand tous les hommes seront morts’
Si de nombreux usagers des médias sociaux dans le pays ont exprimé leur soutien à Mme Bobonazarova, un rapide coup d'oeil aux commentaires sur les forums d'actualités montre que bien plus nombreux au Tadjikistan sont ceux qui ne sont pas près à voter pour une femme.
Sous un article sur la nomination présidentielle de Bobonazarova paru sur ozodi.org, Sham écrit [tadjik, russe] :
Давлатро зан рохбари кунад? Наход дар байни онхо як мард пайдо нашуд, ки занро пешниход карданд? Это уже слишком!!!
Une femme pour diriger le pays ? Ils [les chefs de l'opposition] n'auraient pas pu trouver au moins un homme parmi eux au lieu de désigner une femme ? Trop c'est trop !!!
Dans la même veine, Mahmadullo affirme [tadjik] :
мардуми мо барои он ки зан сардори давлат шавад таер нест . Мумкин худи он кас таер бошанд аммо фахмиши мо менталитети мо дигар аст барои мо дар айни хол сарвари мард даркор …Хубаст ки занро пешбари мекунанд аммо холо барвакт аст.
Nos gens ne sont pas prêts pour une femme chef d'Etat. Peut être qu'elle [Bobonazarova] y est prête, mais notre mode de pensée et notre mentalité sont autres. Il nous faut un homme pour nous diriger en ce moment. C'est bien qu'ils aient désigné une femme [candidate à la présidence], mais c'est trop tôt maintenant.
Sur news.tj, Tokhir Muzhik [‘l'homme’] demande [russe] ironiquement :
Женщина президент??? Разве уже первое апреля???
Une femme président ??? C'est déjà le premier avril ???
Et sous le billet de blog de Tomiris, Gafur affirme [russe] :
Лично я думаю что женщина сможет стать президентом только когда все мужчины вымрут в Таджикистане. Да и тогда навряд ли.
Personnellement je pense qu'une femme ne pourra devenir présidente que lorsque tous les hommes seront morts au Tadjikistan. Et même alors, c'est peu probable.
‘La Margaret Thatcher tadjique’
Il se trouve pourtant des internautes au Tadjikistan pour croire que Mme Bobonazarova pourrait gagner les élections et faire un bon dirigeant.
Réagissant à un commentaire selon lequel un homme devrait diriger le pays plutôt qu'une femme, Ramziya écrit [tadjik] sur ozodi.org :
мо дидем ки мардхо дар давоми хукумронишон ба кучо халку миллатро ватанро бурда расондаанд.
On voit ce que les hommes ont fait à notre pays et à notre peuple pendant leur période au pouvoir.
Benom [‘Anonyme’] ajoute [tadjik] :
танҳо зан моро аз ин торики метавонад раҳо кунад.
Seule une femme peut nous sortir de ces temps noirs.
Tandis que Rustam prédit [tadjik] :
[Бобоназарова] Бехтарин номзад. Мо уро аз дилу чон табрик мекунем ва ба у овоз хохем дод. У Маргарита Течер ва Ангела Маркели точикон хохад буд.
[Bobonazarova] est la meilleure candidate. Je Iui adresse mes félicitations et je voterai pour elle. Elle deviendra la Margaret Thatcher et Angela Merkel tadjique.
Victoire improbable
Les attitudes patriarcales ne seront pas seules à empêcher Mme Bobonazarova de devenir présidente. Sur son blog, Mustafo évoque [russe] d'autres facteurs politiques et internationaux de poids qui rendent son succès aux élections hautement irréaliste :
Победить на ноябрьских выборах Бобоназаровой конечно не удастся. Этому есть целый ряд причин. Ну, во-первых, вопрос, который я сам себе недавно задавал: кто она вообще такая? Большинство людей, которые будут голосовать, не знают ее и поэтому не имеют ни малейшего представления о том, что она из себя представляет. Во-вторых, она женщина, а за женщину у нас не многие будут голосовать. Такое уж у нас общество, патриархальное. А в третьих, она довольно немолодой человек. Нашей республикой должен управлять кто-то помоложе, у кого будет достаточно сил ломать и перестраивать. У Бобоназаровой особой энергии не наблюдается.
Есть еще и четвертая причина. Бобоназарова долгое время возглавляла Фонд Сороса, то есть американскую неправительственную организацию, и сейчас возглавляет другую неправительственную организацию, которая занимается правами человека. Не думаю, что Россия позволит такому проамериканскому кандидату прийти к власти в Таджикистане. Да и наши чиновники и силовики не захотят видеть во главе государства человека, обеспокоенного правами человека.
Bobonazarova ne pourra évidemment pas gagner les élections de novembre. Il y a à cela toute une série de raisons. En premier, il y a la question que j'ai moi-même posée récemment : qui est elle d'abord ? La majorité des gens qui iront voter ne la connaissent pas et n'ont donc pas la moindre idée d'à quoi elle ressemble. Deuxièmement, c'est une femme, et peu chez nous voteront pour une femme. La société que nous avons est patriarcale. Et troisièmement, elle n'est pas assez jeune. Pour gouverner notre république, il faut quelqu'un de plus jeune, qui ait assez de force pour casser et reconstruire. Chez Bobonazarova cette énergie particulière n'apparaît pas.
Il y a aussi une quatrième raison. Bobonazarova a longtemps dirigé la Fondation Soros [anglais], une organisation non gouvernementale américaine, et à présent elle dirige une autre organisation non gouvernementale qui s'occupe de droits de l'homme. Je ne pense pas que la Russie permettra à une candidate aussi pro-américaine d'accéder au pouvoir au Tadjikistan. Et nos fonctionnaires et agents des services de sécurité ne voudront pas voir à la tête de l'Etat une personne qui se préoccupe des droits de l'homme.