Je me souviens avoir interviewé une blogueuse cubaine qui parlait d'internet comme d'un endroit où ses compatriotes (du moins ceux d'entre eux connectés au web) pouvaient avoir accès à une forme de citoyenneté qui leur était inaccessible dans leur vie à Cuba. ils pouvaient y vivre une expérience démocratique active et participative. Selon ses propres mots, “nous apprenons à être citoyens dans le cyberespace”. Même si elle faisait référence t aux restrictions à la liberté d'expression et de débat très spécifiques à Cuba, j'ai compris son message de façon plus large, et j'ai pensé à mes compagnons d’ activisme qui se définissent souvent comme des ‘citoyens d'internet”, ou résidents d'Internet.
Alors que les mouvements militants sur la Toile ne cessent d'élargir leurs horizons et leur portée, beaucoup d'entre nous ont développé une approche participative et autodidacte de la citoyenneté, où le global l'emporte sur un lien légal avec une nation en particulier. Nous nous sommes non seulement battus avec énergie pour défendre certaines lois et en faire tomber d'autres, mais nous avons également commencé à développer des principes internationaux sur l'application des droits de l’Homme en matière de surveillance des communications. Les notions de pays, frontière et nationalité restent prédominantes sur nombre d'aspects, mais elles ne semblent plus aussi clairement définies ou aussi contraignantes qu'auparavant.
Ces deux paradigmes, à savoir le monde traditionnel des nations et le nouveau monde des internautes aux frontières fluides, se sont heurtés violemment en juin dernier lorsqu'une fuite des documents de la NSA a révélé que le gouvernement américain espionnait une partie non négligeable de la population mondiale. On peut penser que cela se serait produit dans tous les cas, mais cette surveillance en marge de tout cadre légal et de tout contrôle est en lien direct avec la question des frontières et de la web-citoyenneté.
Nous savons à présent que les méthodes d'espionnage de la NSA reposent sur la notion arbitraire d'”étranger”. Partant du présupposé erroné selon lequel un terroriste est généralement étranger, les autorités américaines ont décidé de surveiller les communications des étrangers au sens large du terme, plutôt que de limiter leurs investigations aux personnes ayant un lien prouvé avec des organisations terroristes.
S'il pouvait être prouvé par des analystes qu'un individu était étranger ou “avait 51% de chances d'être étranger”, par un calcul basé sur la régularité des contacts entre cette personne et des individus situés hors du territoire, la NSA pouvait alors espionner quiconque il lui plaisait.
Aux États-Unis, de nombreux militants se sont mobilisés pour défendre les droits des citoyens américains face à cette pratique.En effet, selon ces critères, plus de la moitié de la population a été jugée “étrangère”. Mais les méthodes farfelues de la NSA pour mesurer le degré de contact avec l'étranger de chaque individu montrent bien qu'en ligne, il est absolument impossible de privilégier les droits d'un groupe (ici, les “Américains”) plutôt que d'un autre.
Cette politique illustre aussi la perméabilité de nos frontières. La plupart d'entre nous sont ressortissant d'au moins un État,mais nous communiquons tous les jours avec des personnes d'autres pays, et cela via internet. Nos frontières sont fluides.
Hors ligne, nous admettons que les lois et les droits de chacun varient d'un pays à l'autre. Mais sur la Toile, où les normes sociales et les réalités de la technologie ont engendré une réalité plus fluide, il est difficile d'accepter un tel postulat. Si nous continuons à protéger uniquement les droits de certaines personnes en nous basant sur la nationalité, ou tout autre critère aléatoire, nous y perdrons forcément. Nous nous devons de voir l'absence de frontières que nous a offert la technologie, non seulement comme un magnifique concept, mais aussi comme une réalité pragmatique. Internet est un endroit où nous pourrions enfin tenter de protéger les droits de chacun, de manière égalitaire.
Face à tous ces défis, les défenseurs des droits de l'homme à travers le monde militent pour l'affirmation et le respect des droits universels, un concept dont les dirigeants américains (qui n'avaient visiblement pas prévu les événements à venir) furent les initiateurs. Nous avons à notre disposition un moyen de communication qui n'est pas complètement universel, mais qui s'en approche le plus par rapport à tout ce que nous avons eu. Internet ne nous permet pas seulement d'envisager l'universalité de façon concrète- il nous donne aussi le pouvoir d'agir dans ce sens.
Ellery Roberts Biddle est éditrice de Global Voices Advocacy et fait partie de la communauté Global Voices depuis ses débuts. Elle habite à San Francisco, où elle passe la plus grande partie de son temps à analyser et rédiger des articles sur la liberté d'expression et la protection de la vie privée en ligne, ainsi que sur l'utilisation d'internet à Cuba. Elle publie également sur son blog, half-wired. Suivez-la sur Twitter : ellerybiddle.
1 commentaire
Superbe, la photo. Néanmoins, je souhaiterais rappeler que l’usage — la Nétiquette, en fait — est de mettre une PETITE image en ligne avec un lien vers la GROSSE photo. J’ai du pôt, Internet marchait bien, aujourd’hui. Parce que quand j’ai vu cette photo exploser mon lecteur de flux — Slick RSS sous Chrome —, je l’ai enregistrée par curiosité, pour m’apercevoir ensuite que cette photo pèse 5,15 Mio (en mégas informatiques, pas en kilos de patates) et mesure 2987 x 1936 pixels.
J’ai moi-même des lecteurs au Bénin et ailleurs, où la bande passante est souvent très faible, pour ne pas dire dérisoire : je pense à eux en respectant les règles. Et vous, pensez-vous à vos lecteurs ?