C'est une série de procès qui a salué le coup d'envoi de la troisième saison d'Al Bernameg [Le Programme] du satiriste égyptien Bassem Youssef, l'événement médiatique et social le plus attendu du pays et probablement du Moyen-Orient.
L'année dernière, quelque 30 millions de téléspectateurs dans le monde arabe ont suivi l'émission satirique de l'ancien chirurgien cardiologue. Sur ce plan, rien n'a changé, du moins en Egypte, remarque Ramez Youssef :
مصر كلها قاعدة نفس القعدة بظبط دلوقتي !!
L'Egypte entière est assise en ce moment dans une position identique [et regarde l'émission] !!
Les spectateurs étaient sur des charbons ardents, avec une pause publicitaire de 18 minutes avant le spectacle, ce qui a allumé leur colère et leurs sarcasmes :
Am returning to Egypt in 2 weeks so should arrive just in time for the second half of tonight's el Bornameg.
— أبو كار (@Sarahcarr) October 25, 2013
Je retourne en Egypte dans 2 semaines, je devrais arriver juste à temps pour la deuxième moitié d'el Bornameg de ce soir.
I think the new @DrBassemYoussef show (if it ever starts) will be the most obsessively live-tweeted program since the Breaking Bad finale
— ashraf khalil (@ashrafkhalil) October 25, 2013
Je pense que le nouveau spectacle du @DrBassemYoussef (s'il commence un jour) sera l'émission la plus compulsivement live-tweetée depuis le final de Breaking Bad
Les spectateurs se demandaient si le programme garderait son tranchant sarcastique après les récents événements politiques et le basculement du pouvoir qui a secoué l'Egypte. Youssef allait-il contre-balancer les médias actuels, tous de façon écrasante militaristes et nationalistes ? Du point de vue de la forme, rien n'a changé dans le spectacle, avec sa recette classique de clips vidéos de la télévision égyptienne, de réflexions sarcastiques souvent alimentées de sous-entendus grivois, et de chansons scénarisées à la Broadway. Beaucoup s'interrogeaient si Al Bernameg s'en prendrait au nouvel homme fort de l'Egypte, le Commandant en Chef de l'armée égyptienne et Ministre de la Défense, le général Abdelfattah Al Sissi, comme il le faisait avec l'ex-président Mohammed Morsi lors de la saison précédente.
Après la fin des 70 minutes de l'émission, les réactions ont été très mêlées, témoignant du clivage de la scène politique. Saif AbdelFattah a souligné que rire des plaies des Egyptiens n'était pas la chose à faire :
أن تجهز علي جريح ..وتسخر من معتقل .. وتسف في حق شهيد ..وتكرر أكاذيب أمنية..وتشوه رمز للحرية (رابعة) بطريقة مقززة .. هذه ليست أخلاق #الرجال
— Dr.Saif AbdelFattah (@drSaifAbdelFatt) October 25, 2013
Rire d'un blessé, se moquer d'un détenu, mépriser un martyr, reproduire les mensonges du pouvoir, et diffamer un symbole de liberté (Rabaa) de façon dégoûtante… ce ne sont pas des manières d'honnête homme
Nadia Al Magd dit à peu près la même chose en notant que le sarcasme se trompait de cible :
@DrBassemYoussef السخرية من الضحية وليس من القتلة بعد مجازر قتل فيها آلاف ودس السم في العسل ليس مروءة ولا جدعنة وأشياء أخري يا دوك
— Nadia el-Magd ناديا (@Nadiaglory) October 26, 2013
Le sarcasme contre les victimes (par milliers) au lieu des coupables, entre autres, ça n'est pas très élégant
Certains remarquent, avec grand regret, que le ton du programme était plus âpre sous Morsi :
Bassem Youssef was always harsher with Morsi but he even gradually tested some waters then. Today isn’t the day we’ll see how far he’ll go.
— Basil الضبع (@basildabh) October 25, 2013
Bassem a toujours été plus mordant avec Morsi et il a même alors un peu tâté le terrain. Ce n'est pas aujourd'hui que nous verrons jusqu'où il ira.
Comme l'a relevé Mohamed El Dahshan :
طيب #باسم بيتريق على معجبي السيسي، مش على السيسي نفسه، و ده ذكاء منه. بس الحقيقي للأسف: هي ان “البرنامج” كان فيه حرية و جرأة أكثر أيام مرسي.
— Mohamed El Dahshan (@eldahshan) October 25, 2013
Bassem se moque des partisans de Sissi et non de Sissi directement, ce qui est malin. Mais à dire vrai, malheureusement, l'émission a perdu en liberté et en mordant
D'autres semblaient très satisfaits de ce premier épisode et ont voulu mettre les choses en contexte :
I thought Basem Yousef could never directly mention Sisi. I was wrong. The ending was a direct message to Sisi himself.
— The Big Pharaoh (@TheBigPharaoh) October 25, 2013
J'ai pensé que Bassem Youssef ne pourrait jamais mentionner directement Sissi. Je me trompais. La chute était un message direct à Sissi.
“Bassem Yousuf didn't go far enough”. Let's see if you'd have gone this far had you been in his position. No? Alright then. #Egypt
— Iyad El-Baghdadi (@iyad_elbaghdadi) October 25, 2013
“Bassem Yousuf n'est pas allé assez loin”. Voyons si vous seriez allé aussi loin à sa place. Non ? Alors ça va.
La dernière catégorie de commentateurs, de loin la plus nombreuse, est celle des internautes pro-armée et pro-Sissi, apparemment très hérissés par les sous-entendus grivois et le manque de respect que Youssef aurait montré envers l'armée égyptienne et son commandement. Plusieurs entités ont décidé d'attaquer la tentative de l'animateur de “diffamer et insulter le ministre de la défense Abdel Fatah El Sissi.”

Cette page Facebook se promet de faire cesser le programme de Youssef, aux mots de : “Nous ne vous permettrons pas de franchir la ligne avec les symboles nationaux de l'Egypte.”
Un groupe Facebook pro-Sissi a fait voeu de réduire Youssef au silence. Son affiche ci-dessus professe :
Nous ne permettrons jamais à ce clown manqué et vulgaire de ridiculiser les symboles de la nation égyptienne, espèce de fils de p…
Le conseiller juridique de la branche jeunesse des Frères Musulmans a décidé d'aller en justice :
تقدم المستشار القانوني للمجلس الأعلي لجمعيات الشبان المسلمين العالمية ببلاغ للنائب العام المستشار هشام بركات, ضد باسم يوسف الله عليكم :)
— Ghada Shahbender (@ghadasha) October 26, 2013
Le conseiller juridique de la branche jeunesse de la Confrérie fait un procès à Bassem Youssef
Et les procès de s'accumuler :
Can't keep track of how many people/groups are taking Bassem Youssef to court for his first episode of El Bernameg. #Weird
— Mohamed Fadel Fahmy (@Repent11) October 26, 2013
Impossible de compter combien de personnes/groupes traînent Bassem Youssef devant les tribunaux pour son premier épisode de Bernameg. #Etrange
Mohamed Fathy souligne que des copies de ces assignations sont arrivées dans les rédactions des télévisions égyptiennes dix minutes à peine après la fin de l'émission :
معلومة: أول بلاغ قدم ضد باسم يوسف وصلت نسخة منه لعدد من وسائل الإعلام بعد مرور 10 دقائق فقط من انتهاء الحلقة..يعني متجهز أصلاً :)
— محمد فتحي (@mfathypress) October 26, 2013
Pour votre information, la copie du premier procès contre Bassem Youssef est parvenue dans plusieurs organes de médias 10 minutes après la fin de l'épisode. Ça veut dire qu'elles étaient préparées d'avance
Face à ce tumulte, CBC, la chaîne qui accueille l'émission de Bassem Youssef, a décidé de réagir et émis ce communiqué :
“CBS a suivi la réaction publique à l'épisode de hier de Al Bernameg présenté par le Dr Bassem Youssef. La plupart de ceux qui ont réagi étaient offensés par ce qu'ils ont vus dans cet épisode. CBS affirme sa volonté de défendre la fierté et les sentiments nationaux et s'assurera qu'aucuns sketches ou expressions offensantes susceptibles de heurter les sentiments du peuple égyptien ou les symboles de l'Etat égyptien ne seront diffusés. La chaîne confirme aussi son attachement à une totale liberté d'expression et d'information et son entier soutien à la révolution égyptienne et à ses buts”
Apparemment, comme Youssef l'a lui-même twitté à la fin de l'épisode :
ماكنتش حلقة في برنامج يا جدعان.
— Dr Bassem Youssef (@DrBassemYoussef) October 25, 2013
Ce n'était pas un épisode dans un programme
Avant d'ajouter dans un autre tweet :
“البلد مش مستحملة سخرية في الوقت ده” قيلت امبارح و من سنة و من سنتين. الى جانب الشتائم و التخوين
— Dr Bassem Youssef (@DrBassemYoussef) October 26, 2013
Le pays ne peut accepter le sarcasme en ce moment. On l'a dit hier soir, et il y a un an, et il y a deux ans, en plus de toutes les insultes et accusations de trahison
Nul doute que Youssef veut continuer à servir sa satire hebdomadaire aux Egyptiens et au monde arabe. L'Egypte est-elle prête pour cette nouvelle tranche ?