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Prise d'otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou, onze ans déjà

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Droit, Gouvernance, Guerre/Conflit, Histoire, Médias citoyens, RuNet Echo
The Nord-Ost play banner outside the Dubrovka Theater, during the October 23-26, 2002, hostage crisis. YouTube screenshot. [1]

L’ affiche de la comédie musicale “Nord-Ost” sur la façade du théatre Doubrovka pendant la crise des otages du 23 au 26 octobre 2002. Capture d'écran YouTube 

Les Russes ne sont pas épargnés par le terrorisme, mais il y a toujours une atmosphère étrange lors de la commémoration de chaque anniversaire de la pire attaque terroriste subie par ce pays. A la fin du mois dernier, les Moscovites se souvenaient de la tristement célèbre prise d'otage de Nord-Ost [2] au théâtre de la Doubrovka à Moscou, qui ne s'est terminée qu'au bout de trois jours avec l'utilisation par les forces de l'ordre d'un gaz secret pour neutraliser les assaillants. Résultat tragique et pour beaucoup impardonnable, le gaz a aussi causé la mort de 130 spectateurs. [Note du traducteur: il y avait dans cette salle le 23 octobre 2002, plus de 800 spectateurs dont une majorité d'enfants pour assister à une comédie musicale destinée à la jeunesse.]

Le journaliste Sergei Parkhomenko a republié [3] [russe ] sur le blog d'Ekho Moskvy un article de 2007, où il s'exprimait pour le cinquième anniversaire de ce drame, en regrettant qu'aucune enquête n'ait été menée sur la mauvaise gestion de cette crise par le gouvernement qui aurait pu aboutir à des sanctions pour les éventuels responsables. D'une façon particulièrement poignante, Parkhomenko rappelle comment les Russes étaient massés derrière leurs écrans de télévision pendant le siège, espérant désespérément de bonnes nouvelles.

Сидим мы, сидим, ждем, ждем… Восемь утра уже… По телевидению пошли эти съемки, которые потом весь день крутили.

Nous étions assis, assis, nous attendions, nous attentions…. il était déjà huit heures du matin…. sur l'écran on voyait défiler les mêmes clips qui revenaient sans cesse toute la journée.

Onze ans après, il y a encore beaucoup de confusion et d'inconnu sur ce qui s'est passé au théâtre Doubrovka. Certains y voient la preuve d'un échec massif de la politique du gouvernement russe en Tchétchénie, alors que d'autres adoptent la théorie de la conspiration mise en avant par les autorités pour expliquer ce drame et discréditer la résistance tchétchène. D'autres encore y voient la preuve du peu de prix accordé à la vie humaine dans la gestion de prises d'otage et de situations de crise.

Le réseau Internet russe a été saturé d'émotions différentes lors de l'anniversaire de cette attaque, mais la plupart des blogueurs étaient plus à la recherche de réponses que tournés vers un consensus étayé.

Garry Kasparov a publié [4] [en russe ] sur LiveJournal une réflexion mordante à l'occasion de cet anniversaire sous le titre : « Pour qui sonne le glas »: 

Гибель собственных граждан никогда не считалась в нашем Отечестве серьезным преступлением, за которое стоило бы наказывать провинившихся начальников. Но, тайно наградив организаторов штурма на Дубровке, путинский режим пошел еще дальше, выдав бессрочную индульгенцию на выполнение любых преступных приказов. За прошедшие 10 лет в отсутствие организованного отпора общества режим мягкого авторитаризма постепенно обретал зловещие черты фашистской диктатуры. Сейчас у мало-мальски думающих людей уже не остается сомнений в том, что только энергичными солидарными действиями мы можем не допустить развития самого мрачного сценария, несущего смертельную угрозу как для всей страны, так и для каждого из нас. Поэтому не спрашивай, по ком звонит колокол…

La mort de ses citoyens n'a jamais été considéré par notre mère patrie comme un crime grave exigeant la punition des supérieurs coupables. Mais, ayant récompensé secrètement les organisateurs de cet assaut policier, le régime de Poutine est allé plus loin, pardonnant avec une indulgence illimitée tous ceux qui exécutent n'importe quel ordre criminel. Ces 10 dernières années, en l'absence d'une résistance organisée au sein de la société, l'autoritarisme “soft” a pris progressivement les traits sinistres d'une dictature fasciste. Ceux qui pendent un tant soit peu ne doutent plus que seules des actions énergiques et coordonnées pourront prévenir le développement du scénario le plus sombre qui fait planer un danger mortel sur l'ensemble du pays comme sur chacun d'entre nous. Alors ne demandez pas pour qui sonne le glas… 

Un autre opposant politique Mikhaïl Kassianov, tweete: 

Nord Ost – Doubrovka, l'assaut, les pertes humaines. Je désespère. Le risque de la révélation de la formule du gaz secret est plus important aux yeux de Poutine que la vie de 130 des citoyens de la Fédération de Russie.

Avocate et militante des droits de l'homme, Karinna Moskalenko a écrit [6] sur Ekho Moskvy au sujet des implications plus larges, juridiques et concernant les droits de l'homme dans la tragédie du théâtre de la Doubrovka. Elle a ajouté que selon elle, cet événement devrait faire l'objet d'un débat devant la Cour européenne des droits de l'homme (ECHR) :

Это нарушение должно быть незамедлительно восполнено, – власти должны быть призваны к немедленному возбуждению уголовного дела и проведению расследования, что прямо вытекает из решения Европейского Суда.

Cette violation doit être compensée sans délai, et une enquête criminelle engagée immédiatement contre les autorités, découlant directement d'une décision de la Cour Européenne.

Natalia Pelevina, auteure dramatique anglo-russe, militante politique et blogueuse, a publié [7] [en russe] sur LiveJournal une réflexion  suggérée par cet anniversaire.

То есть могло быть так, что информация о готовящемся теракте поступила и была использована в своих целях?… Зрители и артисты не шли на мюзикл ” Норд Ост” умирать…

Une information concernant l'attaque terroriste aurait-elle pu être interceptée par les autorités russes et utilisée pour leurs propres desseins ? L'assistance et les artistes n'allaient pas à la comédie musicale “Nord-Ost” pour mourir… 

Pelevina ironise [8] également sur Twitter :

Nord-Ost nous a montré que dans ce pays nous ne donnons pas naissance à des enfants, mais seulement à de la petite monnaie. #NordOst