Ukraine : la contestation s'emballe, le mot-dièse #Euromaidan se perd dans une mer d'informations

Protesters gathered under flags in Kyiv to demand the Ukrainian government to reverse its policy decision and sign a landmark agreement with the EU; photo by Sergii Kharchenko, courtesy of Demotix, used with permission.

Manifestation avec drapeau géant à Kiev pour exiger que le gouvernement ukrainien revienne sur sa décision et signe un accord historique avec l'UE. Photo Sergii Kharchenko. Copyright Demotix.

Les manifestations en Ukraine, qui ont débuté le 21 novembre 2013, quand le président Victor Ianoukovitch et son gouvernment ont renié leurs promesses de signer un accord d'association avec l'Union Européenne, sont les plus massives depuis la Révolution Orange de 2004. Les nouveaux médias et les réseaux sociaux ont été à l'avant-garde tant dans le lancement que la poursuite du mouvement contestataire d'Euromaïdan, le nom qu'il s'est donné.

Mais l'escalade de la contestation l'a rendue plus difficile à suivre seulement sur l'Internet.

Euromaïdan, disent les observateurs, a été possible en grande partie grâce aux médias sociaux [anglais, comme les liens suivants sauf mention contraire]. Facebook et Twitter en particulier ont émergé comme des plate-formes essentielles pour coordonner les activités de protestation et faire circuler informations, photos et vidéos sur l'ampleur des manifestations, leurs localisations et des sujets comme les violences policières et les provocations de toutes origines.

Les mots-dièses utilisés au départ (ukrainien #євромайдан, russe #евромайдан, et anglais #euromaidan) sont apprus dès le premier soir des manifestations et ont été extrêmement utiles comme instrument de coordination préliminaire et pour informer les internautes en Ukraine et dans les autres pays. Ils ont donné l'échelle des événements  [ukrainien] – dans la première phase des manifestations, quelque 3.200 tweets étaient publiés par heure le 25 novembre, et jusqu'à 4.800 par heure le 30  [ukrainien], jour de la première attaque brutale des manifestants par la police.

Mais quand la contestation s'est amplifiée, avec la violente dispersion par les forces de l'ordre des protestataires campant sur la place principale de la capitale ukrainienne Kiev au petit matin du 30 novembre, et le blocus et l'occupation en masse de principaux bâtiments du gouvernement le lendemain, déclenchant à certains moments des confrontations brutales avec la police anti-émeutes, les mots-dièses se sont mis à disparaître de nombreux tweets sur le mouvement Euromaïdan, devenu de ce fait plus difficile à suivre à distance.

Un grand nombre de tweets sur l'agitation continuent à utiliser les mots-dièses, mais beaucoup d'utilisateurs ont abandonné ce qui avait été un outil pour unifier les contestataires et répandre l'information :

C'est sûr, les mots-dièses sont utiles au départ, mais les gens ont tendance à les lâcher comme une patate chaude une fois l'affaire en route. Pas bon pour l'analyse, comme l'a noté la sociologue Zeynep Tufekci pendant un échange sur Twitter

La sociologue Zeynep Tufekci précitée a observé, quand elle suivait les manifestations de Gezi en Turquie [français] que lors du déroulement des événements d'#occupygezi, les mots-dièses communément en usage pour coordonner les gens et déterminer les mots d'ordre de la protestation donnaient lieu à des discussions entre personnes se voyant pour la plupart comme faisant partie d'un réseau déjà établi de citoyens d'avis semblables. Débat et action en et hors ligne restaient très animés et tout aussi importants pour le résultat des manifestations, mais se poursuivaient en absence du mot-dièse. Et de préciser sur Twitter :

Par exemple, dans le cas turc, une fois “Gezi” devenu totalement dominant dans les échanges, les gens ont laissé tomber le mot-dièse. Tout le contraire.

Non, la conversation est complètement restée sur Twitter. Elle était absolument dominante sur Twitter. Mais sans mot-dièse.

Les sources d'information fréquentées sur le mouvement Euromaïdan, telle la toute jeune télévision publique en ligne Hromadske TV, qui a fourni l'une des rares retransmissions en temps réel des manifestations, et le site d'actualités essentiel Ukrainska Pravda [ukrainien], supposent simplement que ceux qui veulent s'informer sur le mouvement le feront de toute manière, ou vont retweeter les mises à jour vers leurs propres réseaux ; et ne s'embarrassent donc pas de mots-dièses qui consommeraient des caractères pouvant être généralement mieux utilisés pour une information additionnelle.

Le même raisonnement s'applique aux actions militantes déjà consolidées pour diffuser l'information sur les manifestations, tels les comptes Twitter @euromaidan, @EuroMaydan et leur homologue en anglais @EuroMaydan_eng. Avec la progression des événements, leurs administrateurs ont cesser de joindre les mots-dièses correspondants à chaque tweet, et se bornent à un usage occasionnel.

Hromadske TV a présenté une preuve [ukrainien] de passage à tabac d'un de ses journalistes :

Le journaliste de Hromadske Dmytro Gnap, battu dans le parc Mariinsky DÉTAILS ICI : http://t.co/hbNpcHwZ41 pic.twitter.com/9ON1lqKq5y

L’Ukrainska Pravda [ukrainien] a publié des renseignements utiles pour les manifestants blessés :

Les manifestants blessés seront accueillis par l'Hôpital N° 17 de Kiev, l'Hôpital des Soins médicaux d'urgence et l'Hôpital Oleksandrivska.

— Українська правда (@ukrpravda_news) December 1, 2013

Le compte Euromaidan en anglais a relayé le dernier état de la circulation :

Le carrefour de Mikhalivskaya est rempli d'automobilistes manifestant leur solidarité

Pendant ce temps, des internautes ont compilé des listes de sources fiables [ukrainien] d'information et de suivis en temps réel des événements à l'attention de ceux parmi le public qui ne sont pas des praticiens du web ou ont besoin qu'on leur explique les événements et enchaînements du mouvement Euromaïdan.

Les correspondants étrangers couvrant l'Ukraine, comme Christopher Miller, le rédacteur en chef de l'anglophone Kiev Post, ou le directeur exécutif de Mashable Jim Roberts, de même que d'autres journalistes locaux ou étrangers, ajoutent rarement le mot-dièse #Euromaidan. La plupart du temps, ils font seulement usage de mots-dièse généraux comme #Ukraine ou #Kiev dans leurs tweets pour localiser les faits qu'ils décrivent :

Très inquiétant. Dix manifestants envoyés en prison, des dizaines disparus alors que les manifestatons de rue entrent dans leur troisième semaine

Entre temps, explosions à #Kiev. Incroyable live stream des manifestations en #Ukraine

Nataliya Gumenyuk, journaliste à Hromadske TV, a traduit en anglais son tweet en ukrainien pour diffuser l'information aux médias étrangers :

près de l'administration présidentielle l'opposition essaie de calmer les gens MAIS beaucoup n'écoutent pas #ukraine

Christopher Miller du Kiev Post a combiné le populaire mot-dièse #Euromaidan avec d'autres plus généraux de localisation :

Le rôle des médias sociaux dans le mouvement #Euromaidan est essentiel #Kiev #Ukraine

Il apparaît tout récemment qu'à Kiev manifestants et personnes sur le terrain ne peuvent réserver du temps et de l'espace à l'inclusion d'un mot-dièse. Les choses vont trop vite, se suivent de façon imprévisible, et ce qui prime, c'est l'espace et le temps pour informer le public. Mais cette tendance à l'égard des mots-dièse signifie que les chercheurs qui aggrègent les données sur les mouvements de protestation en se servant fondamentalement de mots-dièse pour retracer les faits, manquent beaucoup de contenus importants. La collecte de données effectuée de cette manière va fausser l'ampleur des manifestations, leur ton et message, avec pour conséquence possible des omissions criantes de voix essentielles présentes dans l'activité citoyenne et politique autour du mouvement de contestation.

Les médias traditionnels continuent pour la plupart à voir le mouvement Euromaïdan comme pro-Union Européenne et anti-russe, et se focalisent avec continuité sur la politique de la contestation, sans apparemment se rendre compte que la sensibilité des Ukrainiens aujourd'hui, en particulier depuis les violences policières qui ont commencé au huitième jour de la contestation, s'oriente vers une bataille pour l'égalité sociale, le changement dans le gouvernement et, comme de nombreux protestataires l'ont souligné, un moyen de “se réapproprier” leur pays. Comme l'utilisateur James Bray l'a tweeté, en utilisant un mot-dièse tout différent et sans rapport :

Iatseniouk aussi dit que les manifestations en Ukraine sont un “combat pour rester une nation souveraine”. #newsnight [NdT: une émission d'analyse politique de la BBC].

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