Le “Bon Tsar” Poutine gracie Khodorkovski

Journalists jockey for Putin's attention during a 4 hour press conference. Photo Kremlin.ru.

Des journalistes cherchent à attirer l'attention de Poutine pendant une conférence de presse de quatre heures. Kremlin.ru.

Au cours des années, les conférences de presse du Président Poutine ont acquis auprès des drogués russes de la politique une réputation détestable d'extrême longueur. Sa dernière en date, celle de fin d'année du 19 décembre 2013 a totalisé la durée respectable de quatre heures et cinq minutes. Poutine a répondu à des questions sur Edward Snowden (qu'il a appelé un “homme étrange”), les relations internationales (il a qualifié l'Iran de “partenaire prioritaire”) et le rapport que devraient avoir les Russes avec leur passé (Staline, a-t-il expliqué, n'était pas pire comme “dictateur sanguinaire” qu'Oliver Cromwell, qui a beaucoup de statues au Royaume Uni). Comme il est aussi d'usage à ce genre de rencontre, Poutine a prêté l'oreille à une litanie interminable de requêtes et de plaintes de  journalistes de la presse régionale sur l'infrastructure, la corruption et le chômage, qu'il a selon l'usage promis d'améliorer. 

A un moment, Poutine a été interrogé par Diana Khatchatrian de Novaïa Gazeta [russe] sur la réalité d'une rumeur de “troisième procès Ioukos.” Une nouvelle affaire judiciaire impliquant les dirigeants de la défunte compagnie pétrolière était dite dans les tuyaux, moyen de maintenir derrière les barreaux l'ancien patron Mikhaïl Khodorkovski, naguère homme le plus riche de Russie et rival politique de Vladimir Poutine. Khodorkovski, dont la condamnation a déjà été prolongée une fois, est en prison depuis 2003 et sa libération est prévue en 2014. Poutine s'est montré évasif, remarquant [russe] que si personnellement il ne croyait pas à un tel procès, la décision relevait en fin de compte du bureau du procureur.

Mikhail Khodorkovsky - Russia's most famous prisoner. Photo CC2.0 Wikicommons

Mikhaîl Khodorkovski, le prisonnier le plus célèbre de Russie. Photo CC2.0 Wikimedia Commons.

Bizarrement, Poutine n'a pas saisi cette occasion d'annoncer ce qui serait le plus gros scoop de la journée : son affirmation que Khodorkovski lui avait écrit personnellement pour demander sa grâce et que Poutine allait la signer. Au lieu de quoi, Poutine a attendu la fin de la conférence de presse et en a parlé incidemment à un groupe de journalistes. La nouvelle que Khodorkovski aurait admis sa culpabilité (il a toujours soutenu qu'il était innocent et que sa détention était à motivation politique) et serait aussitôt relâché a plongé l'internet russe dans des abîmes de spéculations.

Poutine explique aux journalistes que Khodorkovski a signé une lettre de demande de grâce et qu'il se dipose à la lui accorder.

Plus étrange encore peut-être que le style cavalier de l'annonce, les avocats de Khodorkovski eux-mêmes ont été pris de court. La journaliste russo-américaine Julia Ioffe a tweeté qu'elle était assise à côté de l'avocat de Khodorkovski Vadim Kliouvgant, au moment de l'annonce :

J'étais à côté de Kliouvgant quand il a reçu cette nouvelle sur son client. Sa surprise était aussi grande que la mienne.

Mais après les déclarations publiques des avocats indiquant qu'ils n'avaient eu connaissance d'aucune demande de grâce, le communiqué suivant [russe] est apparu sur la page Fzcebook officielle de Khodorkovski :

До встречи Михаила Ходорковского с его адвокатами все ранее данные ими комментарии, касающиеся прошения о помиловании, недействительны.

Jusqu'à la rencontre de Mikhaïl Khodorkovski avec ses avocats, toutes leurs déclarations antérieures concernant son recours en grâce sont nulles et non avenues.

L'oligarque russe et ex-candidat à la présidentielle Mikhaïl Prokhorov, qui a fait du lobbying pendant quelque temps pour la remise en liberté de Khodorkovski, s'est naturellement réjoui [russe] :

La principale nouvelle, c'est la grâce de Khodorkovski. Est arrivé ce qui aurait dû arriver depuis des années. Je me réjouis pour Mikhaïl et sa famille.

Sergueï Jelezniak [russe], un député à la Douma du parti au pouvoir Russie Unie, a aussitôt vanté la clémence de Poutine, en annonçant dans un billet d'autosatisfact(ion sur Facebook [russe] :

Готовность Президента удовлетворить прошение о помиловании, также, как и широкая амнистия к 20-летию Конституции России, […] подтверждение того, что Россия все больше становится цивилизованным, правовым и социальным государством.

La disposition du Président à satisfaire le recours en grâce, de même que la large amnistie pour le 20ème anniversaire de la Constitution, […] est la confirmation que la Russie devient de plus en plus un Etat civilisé, respectant le droit et social.

Pour sa part, Vadim Soukhodolski [russe], membre du parti d'opposition PARNAS, a vu [russe] dans la mesure, comme dans beaucoup d'autres amnisties, un pur geste de communication :

La grâce de Khodorkovski, comme les amnisties pour les militants de Greenpeace et quelques prisonniers de Bolotnaïa n'est rien d'autre qu'une simulation de Poutine pour l'Occident avant les Jeux Olympiques de Sotchi.

L'écrivain et philosophe Sergueï Korolev [russe], qui vit à Moscou, partage ce cynisme [russe] sur les motivations de Poutine :

La grâce de Khodorkovski est peut-être liée à la compréhension que sa mère pourrait décéder pendant que son fils est en prison. Ce qui serait désastreux pour l'image de Poutine.

D'autres se sont plus intéressés aux motifs de Khodorkovski pour demander sa grâce qu'à ceux de Poutine pour l'accorder. Le journaliste et musicien de Touva Valeri Otstavnikh a tweeté [russe] :

Question complètement stupide. Si MBKh [Khodorkovski] a vraiment demandé la grâce de VVP [Poutine], pourquoi a-t-il attendu 10 ans ?

La libération de Khodorkovski n'a pas fait plaisir à tout le monde. Même si le soutien de l'opinion à sa remise en liberté a augmenté [russe] pendant sa longue incarcération, certains voient toujours en lui un membre de la classe honnie des oligarches qui a plongé le pays dans le chaos pendant les années 1990. Un utilisateur, qui tweete sous le nom de Human Zoo [russe], n'a à l'évidence pas été emballé [russe] par la nouvelle de sa libération imminente :

Je pense que Khodorkovski et ses semblables devraient pourrir dans les mines d'uranium en compagnie de Poutine.

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