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Les internautes ukrainiens mènent l'enquête pour dénoncer les brutalités lors des manifestations Euromaïdan

Catégories: Ukraine, Cyber-activisme, Dernière Heure, Droits humains, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens

 [sauf mention contraire, les liens renvoient vers des contenus en ukrainien]

En Ukraine, le mouvement Euromaïdan [1] amorce son second mois de protestation. Plusieurs centaines de milliers de manifestants se rassemblent quotidiennement à Kiev et dans d'autres villes. Le mouvement a débuté comme une manifestation pro-Union Européenne [Global Voices FR] [2] menée principalement par les jeunes en réaction à la suspension de l'accord entre l'U.E. et l'Ukraine qui aurait  considérablement rapproché l'Ukraine de l'Europe. Après la répression brutale [3] [Global Voices EN] d'étudiants et d'autres manifestants, au petit matin du 30 novembre 2013, par la section de police anti-émeute connue sous le nom de “Berkut”, les rassemblements quotidiens se sont progressivement étendus à tout le pays sous la forme de manifestations contre le gouvernement ukrainien.

Cette vidéo [4][sur le site de Reuters, en anglais] recense plusieurs cas de violences lors de la grande manifestation à Kiev du 1er décembre 2013. De nombreux opposants ont été frappés par la “Berkut”, dont au moins une quarantaine de journalistes [5] [en anglais].

Cela a conduit à plusieurs arrestations et détentions. Lors de ce rassemblement, neuf manifestants, sans doute arrêtés au hasard, ont été placés en garde à vue, sévèrement battus par la police pour être ensuite accusés d'avoir fomenté et organisé les émeutes [6][en anglais], et ce malgré l'absence complète de preuves sérieuses confirmant ces accusations. Peu après, trois personnes ont aussi été arrêtés pour les mêmes motifs : deux journalistes militants du “Dorozhnyi Control” [Le “Contrôle de la route” [7](lien Global Voices), qui incite les automobilistes à installer des caméras dans leurs voitures afin de filmer leurs échanges avec la police lors des contrôles routiers] et un photographe de la ville de Lviv en Ukraine, qui a photographié les brutalités de la police lors des incidents du 30 novembre 2013.

Soutien aux prisonniers de Bankova et aux autres victimes de la répression

Ces 9 détenus se sont fait connaître sous le nom des “prisonniers de Bankova”, nommés ainsi d'après le nom de la rue Bankova située en face de l'immeuble du cabinet présidentiel, où ont eu lieu les affrontements avec la police le 1er décembre 2013. Leur cas a été largement relayé par des journalistes ukrainiens et étrangers, des députés et des diplomates, et des rassemblements de soutien pour ces derniers ont été organisés. Trois d'entre-eux ont été jugés coupables et condamnés [8], cinq autres relâchés en attente de jugement, et trois ont vu leur détention prolongée de deux mois afin de poursuivre l'enquête.

La vidéo suivante [9] [en ukrainien] montre un “lie-in” [rassemblement immobile comme le sit-in, mais les manifestants sont allongés] organisé par l‘Alliance Démocratique [10] ukrainienne à l'entrée du bureau du procureur. Les activistes s'allongent sur les marches de l'immeuble, obligeant les employés à les piétiner littéralement de la même façon qu'ils ont “piétiné la loi”. Les manifestants crient “Honte à vous ! Honte à vous !” [en ukrainien].

Les cyberactivistes ukrainiens ont lancé une page Facebook [11] et un site [12][en ukrainien et en anglais] destiné à apporter de l'aide aux prisonniers de Bankova.

Capture d'écran de la page Facebook dédiée aux prisonniers de Bankova. La légende indique : " Euromaïnad : Sutenez ceux qui sont accusés [à tort] des émeutes de Bankova". [11]

Capture d'écran de la page Facebook dédiée aux prisonniers de Bankova. Légende : ” Euromaïnad : soutenez ceux qui sont accusés [à tort] des émeutes de Bankova”.

Un groupe de militants a lancé une autre page Facebook intitulée “Euromaïdan – SOS [13]” afin de fournir une assistance juridique gratuite à tous ceux qui sont confrontés à des menaces liées à leur participation à ce mouvement.

Le rôle de telles initiatives demeurent extrêmement important, dans la mesure où la pression et le nombre d'agressions violentes commises sur les membres du mouvement Euromaïdan a augmenté de façon exponentielle. Ainsi, quelques jours après l'agression au couteau sur Dmytro Pypypets, l'organisateur de l'Euromaïdan dans la ville de Kharkiv,  on apprenait [14] que Pavlo Mazurenko, organisateur du mouvement à Kiev, avait été battu à mort et que la journaliste et militante Tetyana Chornovil avait été violemment frappée. Malheureusement, les journalistes demeurent les premières cibles de tels incidents et les autorités semblent incapables ou peu désireuses de mettre un terme à de tels actes. Face à ces événements, les internautes sur les réseaux sociaux ont lancé des appels pour organiser leur défense [15], en suggérant notamment de fournir une protection physique aux porte-paroles et aux militants.

Un collage anonyme circulant sur internet. La plus part des personnes photographiées sont des journalistes frappés par la police ou par des auteurs "non-identifiés".

Un collage anonyme circulant sur internet. La plupart des personnes photographiées sont des journalistes frappés par la police ou par des agresseurs “non-identifiés”.

Identifier et exiger la poursuite des responsables 

Presqu'un mois après l'agression violence de manifestants pacifiques dans les rues de Kiev, le 30 novembre et le 1er décembre 2013, le gouvernement n'a ni identifié ni engagé de poursuites à l'encontre les agents de police impliqués, et n'a fait qu'écarter deux agents de second rang [16], dans une tentative  d'apaiser les troubles, qui a échoué.

Comme les autorités ne parviennent pas à identifier les membres en cause de la section de police anti-émeute, la Berkut, ni d'autres membres de la force publique responsables des agressions, plusieurs initiatives en ligne, visant à faire ce travail d'identification; ont vu le jour. “Ne zabudemo”  [“Nous n'oublierons pas”] se décrit comme “un mouvement visant à restaurer la justice”. En recueillant des preuves photographiques et des vidéos prises par les manifestants ainsi que des témoignages sur leur site internet [17] ou sur leurs comptes sur les réseaux sociaux, ils cherchent à découvrir et révéler l'identité des membres de la Berkut comme celle d'autres policiers, et celle des procureurs, enquêteurs, juges et de tous ceux impliqués dans les actes de brutalité et les tentatives pour les étouffer.

Capture d'écran du site "Ne zabudemo", visant à identifier les responsables des agressions des manifestants pacifiques de l'Euromaïdan. L'encart rouge sur la photo indique le nom d'un policier déjà identifié. [17]

Capture d'écran du site “Ne zabudemo”, visant à identifier les responsables des agressions des manifestants pacifiques de l'Euromaïdan. L'encart rouge sur la photo indique le nom d'un policier déjà identifié.

Un autre blog, intitulé Les visages de la Berkut [18] [en ukrainien et en anglais], se propose de suivre une démarche similaire,  mais ne cherche à identifier que les policiers de la Berkut ayant participé aux agressions et aux arrestations violentes.

 “Lustration”, dentification, dénonciation

[la lustration vise notamment à exclure de l'administration les agents publics liés à la police politique]

L‘Alliance Démocratique [10], parti politique ayant activement participé à l'Euromaïdan, a lancé un site “Ne buty skotom” [“Ne faîtes pas la bête”] recueillant via le crowdsourcing les noms et les photos des policiers impliqués dans les agressions, des juges et procureurs interdisant les rassemblements pacifiques ou engageant des poursuite contres les militants, ainsi que des voyous commettant des actes de violence contre les manifestants de l'Euromaïdan et les journalistes.

Capture d'écran du site de "Ne buty skotom" de L'Alliance Démocratique, visant à identifier et lister les membres de la force publique empêchant les actions de l'Euromaïdan, enfreignant la loi et contraignant les droits et libertés des citoyens. Jusqu'à présent, 94 personnes coupables de tels actes auraient été identifiées. [19]

Capture d'écran du site de “Ne buty skotom” de L'Alliance Démocratique, qui veut identifier et lister les membres de la force publique s'opposant aux actions de l'Euromaïdan, enfreignant la loi et  réduisant les droits et libertés des citoyens. Jusqu'à présent, 94 personnes coupables de tels actes auraient été identifiées.

L’UDAR [20], autre parti d'opposition lui aussi actif dans le mouvement Euromaïdan, mené par l'ancien champion de boxe Vitaliy Klychko, dresse ses propres listes de personnalités ou agents publics susceptibles d'être visés par la lustration [21][en français] lors du changement de gouvernement. La liste de lustration [22] de l'UDAR issue de l'Euromaïdan comprend plus de soixante noms.

Dans la mesure où l'avenir des rassemblements Euromaïdan demeure incertain, de telles initiatives se proposent d'échanger des informations et d'aider les activistes à exercer une pression continue sur les autorités.