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Une vente aux enchères agricole organisée par des ruralistes dans l'Etat de Mato Grosso do Sul le 7 décembre 2013 a levé un million de reals brésiliens (environ 425.000 dollars américains) pour financer ce qu'ils appellent la “résistance” aux actions des peuples autochtones occupant leurs terres et réclamant leurs droits dans le pays.
La vente a été suspendue par les tribunaux début décembre mais la pression du lobby rural – qui s'est arrangé pour faire relever de ses fonctions la juge qui a rendu cette décision en remettant juridiquement en cause son impartialité et son indépendance – a tôt fait de convaincre l'autre juge nommé en remplacement de révoquer la suspension. A peine trois heures se sont écoulées entre la suspension du premier juge et la nomination du juge remplaçant qui a rendu sa décision le soir même La manoeuvre a été considérée illégale par les avocats travaillant à la défense des droits indigènes, qui ont mis en évidence que les tribunal aurait dû maintenir la suspension de la vente jusqu'à ce que la requête en suspicion du premier juge soit auditionnée et jugée au tribunal.
La décision du premier juge énonçait que “le comportement de la partie [des propriétaires de ranchs] ne peut être considéré comme étant légal, puisqu'il apparaît qu'ils envisagent de remplacer l'Etat pour résoudre un conflit existant entre la classe ruraliste et les tribus indiennes” et que “ils ont le pouvoir d'inciter à la violence (…) et cela se heurte aux droits constitutionnels à la vie, à la sécurité et à l'intégrité physique.”
La vente aux enchères s'est déroulée en présence de divers politiciens, parmi lesquels des maires, représentants de l'Etat et représentants fédéraux. Kátia Abreu, sénatrice, dirigeante d'un groupe rural et présidente de la Confédération nationale de l'agriculture (CNA), disait que l'objectif de la vente n'était pas de financer une milice pour attaquer et tuer les Indiens, contrairement à ce que les défenseurs des droits des Indigènes prétendaient. La sénatrice, cependant, n'a pas expliqué quel était le but de cet événement.
Certains commentaires de politiciens participant à l'événement, avec leur expression empreinte d'euphémisme, donnent une idée des objectifs des ruralistes, à l'instar de ce qu'a dit la représentante des Démocrates (DEM, parti de droite) Zé Teixeira :
Há anos os produtores gastam com as invasões. Se o banco tem um segurança na porta, por que a fazenda não pode ter? Esse leilão é um alerta para mostrar que o setor produtivo não vai esperar pelo poder publico e precisa de segurança.
Cela fait des années que les producteurs sont affaiblis par les intrusions. Si la banque est en sécurité devant sa porte, pourquoi une ferme ne pourrait pas l'être aussi ? Cette vente est avertissement pour montrer que le secteur productif ne va pas attendre quoi que ce soit des pouvoirs publics et qu'il a besoin de sécurité.
La situation des peuples indigènes [fr] au Mato Grosso do Sul est alarmante, un problème qui s'éternise depuis des années, sans que le gouvernement brésilien n'offre une solution qui garantisse les droits des tribus indigènes à occuper leurs propres terres, un droit inaliénable. Dans cet Etat, les attaques continues contre les Indiens, d'appartenance ethnique essentiellement Guarani Kaiowá, avec l'assassinat de divers dirigeants et l'imposition de terribles conditions de vie pour la tribu, ont entraîné des vagues de contestation au Brésil et dans le monde [fr]. L'un des ces assassinats s'est produit récemment et a suscité l'attention avec la couverture [anglais] de l'organisation Survival International.
L'utilisation des médias sociaux pour diffuser l'information au sujet de la cause indienne et la situation inquiétante dans laquelle de nombreux groupes indigènes vivent se fait jour non seulement par les ONG mais aussi de plus en plus de la part des indigènes eux-mêmes, comme l'a observé Raquel Recuero dans l'article Social Media: Brazil's Indigenous Tribes Go Online in their Struggle To Be Heard [‘Médias sociaux : Les tribus indigènes vont en ligne pour se faire entendre’, en anglais].
Le manque d'intérêt politique des groupes d'intérêt qui dominent le gouvernement semble être l'une des principales raisons pour lesquelles le problème à Mato Grosso do Sul et dans d'autres régions du Brésil n'a pas été résolu, comme l'a souligné le chercheur Imazon Paulo Barreto :
O argumento de falta de terras é uma falácia, pois existem 58,6 milhões de hectares de pastos degradados em fazendas que poderiam ser utilizados para reassentamento e para aumentar a produção fora de TIs. O governo teria dinheiro disponível caso priorizasse a solução dos conflitos. Por exemplo, bastaria eliminar ou reduzir os 22 bilhões de reais que concede de subsídios anuais a grandes empresas e eliminar os cerca de 70 bilhões de reais perdidos anualmente para a corrupção. A demora das decisões judiciais atrasa o processo, mas mesmo quando obtida uma decisão final favorável aos índios, não há garantias quanto ao tempo de sua execução. Por exemplo, os índios da TI Alto Rio Guamá aguardam o fim da desintrusão desde 2010.
L'argument concernant le manque de terres est fallacieux car il y a 58,6 millions d'hectares de pâturages dégradés dans les exploitations, qui auraient pu être utilisées pour le rétablissement et l'amélioration de la production en-dehors de terres indigènes. Le gouvernement aurait de l'argent disponible si une solution à ces conflits était considérée comme une priorité. Par exemple, il serait suffisant de supprimer ou de réduire les 22 milliards de reais brésiliens [environ 9,35 milliards de dollars américains] qui sont donnés dans des subventions annuelles à de grandes entreprises et d'éliminer les quelques 70 milliards de reais brésiliens [environ 29,7 milliards de dollars américains] perdus dans la corruption chaque année. Le retard dans les décisions judiciaires ralentit la procédure, mais même en rendant un règlement final favorable aux Indiens, il n'y a aucune garantie quant au moment de son exécution. Par exemple, les Indiens de Alto Rio Guamá attendent toujours la délimitation de leurs terres depuis 2010.
Le pouvoir judiciaire brésilien a même appelé guerrillas le peuple indien qui se bat pour ses droits .
La blogueuse Camila Pavanelli attirait l'attention sur la moralité hésitante de certains politiciens visible lors de la vente dans un billet intitulé Quebrar vidraça é vandalismo, atirar em índio não (Casser une vitre est du vandalisme mais pas tirer sur des Indiens) :
Para a Senadora Kátia Abreu, por exemplo, foram autoritárias e antidemocráticas as manifestações populares contra o Código Florestal e contra a presença da Polícia Militar na USP
(…) o leilão foi organizado para “arrecadar recursos contra ocupações indígenas”.
Em bom português, o dinheiro arrecadado será usado para comprar armas – que, por sua vez, serão usadas para atirar em índios.
A mensagem de Kátia Abreu e seus amigos é bem clara:
Quebrar vidraça – não pode, é vandalismo.
Criticar o governo sem quebrar vidraça – também não pode, é autoritarismo.
Atirar em índio – ah bom, aí pode sim.
Pour la sénatrice Kátia Abreu, par exemple, étaient autoritaires et anti-démocratiques les manifestations populaires contre le Code forestier, et contre la présence de la police militaire à l'université de São Paulo.
(…) la vente a été organisée pour “lever des fonds pour des moyens contre les occupations indigènes.”
Autrement dit, l'argent récolté sera utilisé pour acheter des armes – qui, en situation, seront utilisées pour tirer sur les Indiens.
Le message porté par Kátia Abreu et ses amis est clair :
Briser une vitre – vous ne pouvez pas, c'est du vandalisme.
Critiquer le gouvernement sans briser de vitre – vous ne pouvez pas faire cela non plus, c'est de l'autoritarisme.
Tirer sur un Indien – d'accord, cela vous pouvez le faire.
Les représentants Indiens et les syndicalistes opposés à la vente ont reçu des menaces après la décision du premier juge d'y mettre fin.
Bien que la Cour régionale fédérale ait finalement autorisé la tenue de la vente, elle a imposé des conditions pour l'événement. L'argent récolté devra être déposé sur un compte judiciaire contrôlé par la Cour, et les moyens récoltés ne pourront être utilisés qu'après que la Cour aura entendu le Ministère public fédéral et les organisations indigènes de la région.
La déléguée Erika Kokay (PT-DF) déclarait que la vente représente un nouveau génocide du peuple indigène brésilien :
Estamos observando um etnocídio, querem reeditar o genocídio do povo indígena. Isso (Leilão da resistência) é uma ousadia daqueles que se acham acima do Estado, da Constituição e da vida. É o patrimonialismo clássico. Eles pisoteiam na Constituição e na democracia.
Nous observons un cas d'ethnocide. Ils veulent rééditer le génocide du peuple indigène. Cela (la vente de résistance) est l'audace de ceux qui se pensent eux-mêmes au-dessus de l'Etat, de la Constitution et de la vie même. C'est un ‘patrimonialisme’ classique. Ils piétinent la Constitution et la démocratie.