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#ShamelesslyHaitian : “Effrontément haïtien”, un mot-clé pour la fête de l'indépendance

Catégories: Haïti, Arts et Culture, Cyber-activisme, Education, Ethnicité et racisme, Histoire, Idées, Langues, Médias citoyens, Migrations & immigrés

Le 1er janvier n'est pas seulement le Jour de l'An pour les Haïtiens, c'est aussi à cette date que Haïti a déclaré son indépendance [1]. Pour fêter les 210 ans d'indépendance de Haïti, Bertin Louis [2] (@MySoulIsInHaiti) a lancé le mot-clé #ShamelesslyHaitian [3] [‘effrontément haïtien] pour que les Haïtiens disent leur fierté et propagent leur histoire et leur culture. Global Voices s'est entretenu avec lui pour en savoir plus sur ce mot-clé et son travail de chercheur.

Global Voices (GV) : Parlez-nous de votre parcours.

486882_10151399159407592_721448874_nBertin Louis (BL) : Je m'appelle Bertin M. Louis, Jr. et je suis titulaire d'un doctorat et professeur assistant d'Anthropologie et Etudes Africaines à l'Université du Tennessee. Je suis aussi le fils de Haïtiens qui ont émigré aux Etats-Unis au milieu des années 60. Grandi à Staten Island, New York, je ne m'identifiais pas réellement à mon patrimoine haïtien avant d'aller à l'Université de Syracuse pour mes études de premier cycle. En troisième année de licence, je me suis inscrit à un cours intitulé “Société caribéenne depuis l'indépendance” donné par le Dr. Horace Campbell, un politologue d'ascendance jamaïcane et un panafricaniste. Le premier livre que nous avons lu était “Les Jacobins noirs : Toussaint Louverture et la révolution de Saint Domingue” par l'historien trinidadien du travail C.L.R. James. Ce livre a eu un profond effet sur moi. Quand quelque chose vous fait beaucoup d'effet, nous disons en créole haïtien “Li frape m fò (littéralement “ça m'a frappé fort”). Savoir que seule révolte d'esclaves réussie de l'histoire humaine faisait partie de mon patrimoine m'a donné confiance en qui j'étais, à l'époque, et j'ai voulu étudier de plus près l'histoire et la culture haïtiennes. Cela m'a vraiment mis sur la voie où je suis aujourd'hui, la recherche et l'étude de la diaspora haïtienne et de Haïti.

Parce que la révolution haïtienne a été le commencement du mouvement moderne des droits de l'homme #EffrontémentHaïtien

Parce que je mange ceci à chaque 1er janvier (Fête nationale de Haïti)

GV:  Êtes-vous né en Haïti ou faites-vous partie de la diaspora ? Quelle différence cela fait-il à votre avis ?

BL: Je fais partie de la diaspora qui est née aux Etats-Unis. Cela fait une grande différence parce que je vis dans le Colosse de l'Hémisphère Occidental, ce qui a des avantages et des inconvénients. Par exemple, j'étudie en ce moment la religion (le protestantisme évangélique) et l'apatridie dans la diaspora haïtienne des Bahamas. J'ai interviewé de nombreus migrants haïtiens ainsi que leurs enfants, qui essayaient de trouver un moyen pour vivre aux Etats-Unis, où ils avaient de la famille, de meilleures perspectives d'emploi et de meilleures opportunités de mener des vies dans la dignité. Ma citoyenneté américaine est un privilège qu'ils n'ont pas. Etant dans une position privilégiée, comme professeur d'université et citoyen américain, je considère de la plus haute importance d'utiliser ma voix, d'utiliser mon privilège pour parler au nom de ceux dont les voix sont réduites au silence, comme les migrants haïtiens et leurs enfants apatrides aux Bahamas, afin d'attirer l'attention sur leur situation difficile. L'endroit où je suis né fait une grande différence, car si j'étais né en République Dominicaine, je serais apatride et dans l'impossibilité de bénéficier des opportunités qui sont actuellement les miennes en tant que citoyen américain.

 

Je suis effrontément Haïtien parce que je fais mes Epis avec un pilon. Pas un mixer. Je prends le temps de le faire comme il faut. 

Je suis Effrontément Haïtien à cause du temps où les Haïtiens mentaient et disaient qu'ils n'étaient pas haïtiens pour ne pas se faire rosser ! J'ai TOUJOURS déclaré en être

GV: Pouvez-vous nous parler de votre/vos centre(s) d'intérêts d'universitaire ?

BL: Mes centres d'intérêt d'enseignement et de recherche couvrent la diaspora africaine et j'interroge le concept de diaspora dans mon étude transnationale du mouvement protestant évangélique chez les Haïtiens de la Caraïbe (Haïti et les Bahamas) et des Etats-Unis. En particulier, je combine la recherche ethnographique multi-sites (Etats-Unis, Haïti et Bahamas) avec un cadre transnational pour analyser la pratique et le développement du protestantisme évangélique dans la diaspora haïtienne des Bahamas. Cette recherche a donné mon premier livre, “Mon âme est à Haïti : Migration et protestantisme dans la diaspora haïtienne des Bahamas,” qui sera publié par New York University Press en 2014.

Mon prochain projet de recherche est sur les Bahamiens apatrides d'ascendance haïtienne, qu'on appelle parfois “Haïtiens-Bahamiens.” On appelle apatride un individu qui n'est considéré comme un national par aucun Etat, on estime qu'il y en a 12 millions dans le monde. Les apatrides n'ont pas de pays qu'ils peuvent appeler le leur, aucun accès aux droits politiques et sociaux de base, comme de voter, de se marier, de posséder des biens, et se voient aussi refuser l'accès à l'emploi, à l'enseignement et aux services médicaux. Ma recherche produira un livre et des articles qui devraient faire progresser la théorie sur la citoyenneté, la diaspora, les droits humains et les études sur l'apatridie, et contribuer aux débats actuels des politiques publiques aux Bahamas.

L'infâme tasse métallique en argent. Chaque maison haïtienne en a une

La cérémonie à Bois Kayiman a été présidée par une femme qui a allumé l'étincelle pour nous

GV: Qu'est-ce qui vous a particulièrement inspiré la création de ce mot-clé #ShamelesslyHaitian ?

BL: Le 21 décembre, j'ai participé à un mot-dièse appelé #ShamelesslyCaribbean [14] et les gens ont tweeté des phrases intéressantes et drôles sur le fait partagé d'être Caribéen ou d'ascendance caribéenne. A l'approche de la fête nationale de Haïti (le 1er janvier, fête de l'indépendance), j'ai pensé faire #ShamelesslyHaitian pour attirer l'attention sur Haïti, qui n'est pas respecté par les autres pays, et sur les gens d'ascendance haïtienne, qui ne sont pas traités comme des êtres humains dans les autres pays, comme le montre le récent jugement d'un tribunal de République Dominicaine.

Une grande partie des faits que nous apprenons sur Haïti et les Haïtiens est totalement négative. Nous apprenons aux informations que Haïti est le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental, sans explication de pourquoi à l'origine il l'est devenu. Les Haïtiens sont dénigrés, exclus, et, dans certains cas, criminalisés aux Bahamas, au Canada, en République Dominicaine et aux Etats-Unis (rappelez-vous la crise du SIDA dans ses premières années aux USA et que les Haïtiens étaient l'un des quatre groupes identifiés comme porteur du VIH par le CDC ?). Et j'ai pensé qu'il y avait un potentiel dans la création et la diffusion d'un mot-clé donnant aux gens d'ascendance haïtienne et leurs alliés l'opportunité de présenter un récit différent et informatif sur Haïti et les Haïtiens, qui ne serait pas fixé sur les catastrophes naturelles, les coups d’Etat, l'instabilité gouvernementale, la misère, le SIDA, etc. ; un récit célébrant les réussites haïtiennes, récupérant pour l'humanité l'importance de la Révolution Haïtienne, et aussi un moyen d'enseigner les gens sur un endroit et une diaspora qui ont été grotesquement déformés, diabolisés dans certains cas, dans l'histoire et les médias de l'Occident.

Alors j'ai lancé l'idée de contacter des personnes d'ascendance haïtienne à des amis sur Twitter, en leur demandant s'ils participeraient, et j'ai choisi le 210ème anniversaire de l'indépendance pour lancer #ShamelesslyHaitian à 12 heures EST.

GV: Quel est l'impact des médias sociaux sur les questions qui vous préoccupent le plus ?

BL: Je trouve que les sites de réseautage sociaux comme Facebook et Twitter offrent des occasions de s'informer sur les sujets qui sont importants pour moi. C'est aussi un moyen de faire partie d'une communauté plus large, même si virtuelle, reposant sur des intérêts et idées plus vastes, comme le démontrent ces mots-clés de Twitter.

Explorez #ShamelesslyHaitian. Des quantités de pépites. Il est temps que nous racontions nos propres histoires qui ne commencent et finissent pas en nous disant le pays le plus pauvre

Parce que sans l'aide de Haïti il n'y aurait pas eu d'achat de la Louisiane

GV: Comment réagissez-vous au succès de ce mot-clé ? Avez-vous été surpris de son essor ?

BL: J'espérais une participation avec le mot-clé et je suis content qu'il ait pris de cette manière. J'ai été légèrement surpris mais pas abasourdi par son succès. D'après ma recherche et mon travail dans la diaspora haïtienne, il y a une similitude de vécu chez les personnes d'ascendance haïtienne qui les oblige à puiser dans leur patrimoine face à la discrimination et au préjugé. Beaucoup de tweets concernaient la fierté d'être Haïtien malgré la discrimination et les moqueries que connaissent les gamins haïtiens de la diaspora en grandissant.

Je pense que la popularité du mot-clé démontre que, tant aux Bahamas qu'en République Dominicaine, aux Etats-Unis, au Canada, en Haïti, ou n'importe où on trouve des Haïtiens, 210 ans après l'indépendance haïtienne, après la Révolution Haïtienne, les Haïtiens essaient toujours de vivre dans la dignité et luttent pour ce faire.

 Photo aimablement fournie par Bertin Louis.