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Scepticisme et attente avant la décision de La Haye sur la frontière maritime entre Chili et Pérou

Catégories: Amérique latine, Chili, Pérou, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.

El 27 de febrero de 2014 la Corte Internacional de Justicia (CIJ) de La Haya dará a conocer un fallo sobre la controversia de delimitación marítima entre Chile y el Perú. Foto de United Nations Photo en Flickr, bajo licencia Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0) [1]

Le 27 janvier 2014, la Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye se prononcera sur le différend qui oppose Chili et Pérou à propos de leur frontière maritime. Photo de United Nations Photo sur Flickr, sous licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)

À quelques jours de la décision de La Haye sur le litige de frontière maritime opposant le Chili et le Pérou [2], il semblerait que l'opinion publique soit envahie d'un certain scepticisme, tout du moins dans les opinions partagées sur Internet, alors qu’il y a quelques semaines [3] l'ambiance était davantage à l'optimisme.

Le désaccord entre le Chili et le Pérou quant à savoir si la sentence est, ou non, d'application immédiate, a sans doute contribué au sentiment que, même dans le cas d'un résultat favorable au Pérou, rien ne va réellement changer.

Selon la position du Chili, telle que l'a présentée [4] son Ministre des Relations extérieures Alfredo Moreno, “l'application de la décision de la Cour Internationale de La Haye saisie par le Pérou sur la question territoriale maritime ne sera pas immédiate car il faudra d'abord étudier les modifications, avant de les mettre en œuvre.” Pour le Pérou, elle devrait faire l'objet d'une application immédiate [5], mais le Président, Ollanta Humala, a récemment déclaré [6] que le “jugement [serait] mis en œuvre progressivement et d'un commun accord avec le Chili.”

Les médias péruviens se sont également fait l'écho de la situation d'un groupe de pêcheurs qui se trouvent retenus [7] sur le territoire chilien pour leurs activités halieutiques dans l'espace maritime faisant l'objet du litige. Ces pêcheurs doivent s'acquitter d'une amende de près de 70 000 soles (environ 18 500 euros) auprès de la Capitainerie du Port d'Arica pour pouvoir récupérer leurs embarcations et retourner sur le territoire péruvien. Ils vivent [8] actuellement de la solidarité des pêcheurs chiliens et grâce aux démarches effectuées par le consul péruvien à Arica. 

Mais à La Haye, le thème de la pêche ne se limite pas à cette question. Alors que certains médias estiment [9] que la pêche augmenterait de 250 000 tonnes si La Haye favorisait le Pérou, d'autres soulignent [10] que la réglementation péruvienne ne permettrait pas de profiter à 100 % de la zone disputée si le Pérou l'emportait à La Haye.

 À cela s'ajoutent les revendications [11] des représentants du secteur de la pêche industrielle (pêche à l'anchois), qui réclament plus de moyens pour la pêche dans les territoires limitrophes du Chili en alléguant que “le gouvernement péruvien ne leur laisse pas suffisamment de liberté pour travailler sur [son] territoire, contrairement aux embarcations chiliennes [dans leur propre pays]”, en conséquence de quoi “des milliards de dollars de la pêche à l'anchois passent de la mer [péruvienne] à la chilienne, et enrichissent et consolident l'industrie halieutique [de la seconde].” Cependant, le Président Humala a déclaré [12] que la déprédation des ressources en anchois est l'œuvre “des grands pêcheurs (la pêche industrielle) qui, passant outre le bien-être national, enfreignent la réglementation du secteur et détruisent ainsi une grande partie de la biomasse de notre littoral.”

C'est d'ailleurs ce thème de la pêche qu'a choisi de traiter Soledad Arriagada Barrera, Chilienne domiciliée au Pérou, sur le blog Feministas. [13] Elle y affirme que la décision de La Haye “ne changera rien pour la majorité des Chiliens, sauf pour quelques familles.” Ensuite, après avoir expliqué qu'au Chili, la mer appartient à sept familles, et qu'une d'entre elles, les Angelini, sera la plus affectée par un jugement défavorable au Chili, elle conclut :

Je sais que le 27 sera un jour de fête pour beaucoup de monde si l'on gagne quelque chose contre le Chili, car il s'agira d'une victoire symbolique, qui répare et améliore certaines choses… et je l'expliquerai du mieux que je pourrai à ma fille [péruvienne et chilienne, NdE], pour qu'elle puisse elle aussi s'approprier cette réparation… mais j'espère que cette petite revendication ne fera pas perdre de vue des objectifs dissimulés par les pouvoirs réels qui sont également inscrits à l'agenda du Pérou : j'espère que cela n'hypothéquera pas la mer, que ce processus ne fera pas partie de la trahison, fomentée par les mêmes individus à travers les siècles, à l'encontre de nos intérêts.

Quant au blogueur Luis Fernando Poblete de La Sotana del Inquisidor, il fait un résumé des succès et des maladresses de la diplomatie péruvienne dans ce différend. Parmi les erreurs, il mentionne [14] le point suivant :

Il y a un argument de forme de bon augure pour la position chilienne : le Pérou saisit la Cour en recourant à des principes issus de la Convention sur le droit de la mer de 1982, à laquelle il n'est pas partie, au contraire du Chili. Et même si les arguments de fond (en notre faveur) sont importants dans toute procédure judiciaire, les arguments de forme comptent aussi. Ce qui nous amène à demander pourquoi notre pays ne fait pas partie de la CNUDM. La réponse des spécialistes se résume en un seul mot : le chauvinisme. Obstinés comme nous le sommes dans notre déclaration unilatérale de 200 milles de mer territoriale, nous sommes restés sur la poupe d'un bateau qui navigue dans une autre direction. Deux cent milles sur lesquelles, il faut bien le dire, nous n'avons jamais exercé d'acte de pleine souveraineté ni de surveillance absolue.

Le journaliste Enrique Larrea a listé [15] les six jugements possibles selon le président de l'Institut péruvien du Droit de la mer, Miguel Ángel Rodríguez :

1) La décision est totalement favorable au Pérou.
2) La décision reconnaît 12 milles parallèles au Chili.
3) La décision attribue au Pérou 12 milles à équidistance.
4) La décision est totalement favorable à la position chilienne.
5) La décision est un entre-deux.
6) La décision est un entre-deux, avec une ligne médiane équidistante.

Depuis la ville limitrophe de Tacna, le jeune “Bictor Noel” nous relate comment sa ville réagit à ce qui se passe à La Haye et les différentes prises de position au sein de sa propre famille. Il conclut avec les mots [16] de sa mère :

Au final, ici à Tacna, le nombre de personnes qui croient (et poussent) sérieusement au conflit entre Pérou et Chili est plutôt réduit. Bien sûr, nous les habitants, nous voulons que justice soit faite et que l'on nous octroie l'espace qui nous revient même si cela doit provoquer la colère de nos voisins du sud. Cependant, nous espérons que le degré de civilisation que nous avons atteint empêchera la réalisation d'idées parmi les plus pessimistes dans chaque camp, et qu'au contraire, il amènera une plus grande amitié et coopération entre nos deux pays.

Mais il ne peut s'empêcher d'imaginer ce qu'il ferait s'il suivait le raisonnement de son père :

Le 27 [janvier], si je pouvais – et j'en meurs d'envie – j'irais avec mes copains sur la plage pour louer un bateau de pêche et à l'annonce d'une décision favorable, je hisserais le drapeau national et naviguerais en direction de notre “nouveau” territoire récemment récupéré pour y pêcher tant et plus ; j'irais tout au bout de ce “nouvel” espace, fier, en direction de la mer chilienne et m'y laisserais aller. Cette initiative susciterait chez mon père un sourire narquois et je pourrais seulement lui dire: “Merci, papa, c'est le même sang qui coule dans nos veines !”

Plus sérieusement, il est vrai que ce sont les villes frontalières de Tacna et Arica [17] qui ont le plus d'attentes concernant la décision de La Haye. Tandis que du côté péruvien, la police a annoncé [18] un renforcement de la sécurité à Tacna pour ces quelques jours, du côté chilien, le Président Piñera a prévu [19] un voyage à Arica la veille de l'annonce. On espère, malgré les rumeurs [20] de mouvements militaires, que la décision sera reçue dans le calme et la sérénité dans les deux camps.

Pour plus d'informations :

Perú en La Haya, Delimitación marítima [21]
Tríptico Informativo Perú en La Haya [pdf] [22]
Perú – Chile Límites marítimos: Demanda ante la Corte de La Haya [23]
Este es el camino que Perú recorrió en La Haya en imágenes [24]

Post original publié en espagnol sur le blog Globalizado [25] de Juan Arellano.