- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

La frontière maritime Pérou-Chili devant la Cour Internationale de Justice de La Haye

Catégories: Amérique latine, Chili, Pérou, Dernière Heure, Droit, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Mapa_Perú-Chile_para_mostrar_los_Limites_Marítimos_en_La_Haya_2012 [1]

Carte présentée par Alain Pellet dans l'affaire Pérou/Chili au cours de sa plaidoirie devant la Cour internationale de Justice à La Haye en décembre 2012. [La zone bleu foncé indique l'espace litigieux.] Publiée [2] sur Wikimedia sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported [2].

[Les liens renvoient sur des pages en espagnol sauf mention contraire.]

L'échéance à venir, où la Cour internationale de Justice [3] (CIJ) à La Haye doit rendre son jugement concernant les frontières maritimes litigieuses délimitant le Chili et le Pérou [4] [anglais], suscite de fortes attentes et l'anxiété dans les deux pays. 

Le contentieux date de 1985 suite à un différend relatif à la souveraineté maritime [5] d'une surface de 37.900 km² dans l'océan Pacifique. En 2008, alors que les parties étaient toujours incapables de trouver un accord, le Pérou a saisi la Cour internationale de La Haye dans l'espoir de voir le problème résolu. La Cour a annoncé qu'elle rendrait sa décision le 27 janvier 2014.

En 2008, l'économiste et blogueur péruvien Silvio Rendón jugeait [6] qu'en engageant une action de justice le Pérou témoignait d'un nouveau degré de mécontentement dans ses relations avec son voisin du sud et que cela ne pourrait qu'encourager un climat de nationalisme croissant dans les deux pays :

Lo más probable es que con este reclamo ante La Haya el Perú como Chile radicalicen su carrera armamentista y las escaramuzas de guerra fría que venimos librando desde hace años. Se trata de chispas que pueden calentar lo que ahora está frío. […] Si oficialmente no estamos en guerra, ¿por qué se habla de hacer la paz? Es que sí estamos en una guerra, una guerra fría (ver Guerra Perú-Chile [7]) que debería terminar ya. Lo diré una vez más. El camino del Perú debería ser el del crecimiento, no el del armamentismo (ver Triángulo equivocado [8] y Ad “Triángulo Equivocado” [9]). Perú tiene el 10% del PIB per cápita de EEUU y Chile tiene 20%. Deberíamos estar concentrados en mejorar el bienestar de nuestras ciudadanías y el camino a ese objetivo no pasa por la propiedad del triángulo marítimo.

Il est vraisemblable qu'avec cette plainte devant La Haye, le Pérou comme le Chili vont accentuer la course à l'armement et les escarmouches de la guerre froide qu'ils mènent depuis des années. Il s'agit d'étincelles qui pourraient réveiller quelque chose qui, pour le moment, est endormi. […] Si nous ne sommes pas officiellement en guerre, pourquoi parlons-nous de faire la paix ? C'est parce que nous sommes bien en guerre, une guerre froide (voir Guerra Perú-Chile [7]) qui doit se terminer maintenant. Une fois de plus : la route que le Pérou doit suivre devrait être celle du développement, pas l'accumulation de ressentiments (voir Triángulo equivocado [8] et la plublicité “Triángulo Equivocado” [9]). Le PIB par habitant du Pérou est 10 % de celui des Etats-Unis et celui du Chili est de 20 %. Nous devrions nous occuper d'améliorer le bien-être de nos concitoyens et la voie conduisant à cet objectif ne passe pas par la propriété d'un triangle maritime.

Actuellement, au-delà des arguments juridiques [10] sur lesquels chaque pays a fondé sa position, il y a ceux qui, à l'instar de El Drac du blog El Abrazo de Almanzor, voient de l'abus et de la manipulation dans cette plainte par la mainmise d'intérêts puissants qui ont le soutien de certains secteurs de la presse. Par ailleurs, le blogueur cite [11] les implications économiques du litige :

Pese a que ambos países han insistido en que la resolución del tribunal internacional no afectará a sus relaciones comerciales, los empresarios chilenos han expresado su preocupación [12] por el impacto que podría tener en la industria pesquera. […] En el caso de que el fallo resultara favorable a la tesis peruana se registraría un impacto en el área pesquera chilena, ya que Chile perdería soberanía sobre una amplia zona marítima en la cual hoy desarrolla entre el 70% y 80% de la captura pesquera en la norteña zona de Arica, según estimaciones empresariales.

Bien que les deux pays insistent sur le fait que la décision de la Cour internationale n'entachera pas leurs relations commerciales, les entrepreneurs chiliens ont exprimé leur inquiétude [12] quant aux conséquences éventuelles sur l'industrie de la pêche. […] Si la décision de la Cour est favorable à la thèse péruvienne, cela aura des effets sur la filière pêche chilienne, puisque le pays perdra le contrôle d'une large étendue de mer qui compte aujourd'hui pour 70-80 % de la capture au nord de l'espace Arica, d'après les estimations des entreprises.

Le site Otra Mirada souligne que la défense de la souveraineté péruvienne a assuré un certain niveau d'unité nationale dans le pays, mais cela soulève aussi la question de savoir ce que l'agenda devrait être pour le développement économique à court terme. Ce à quoi il ajoute [13] :

El fallo de La Haya definirá, entonces, un nuevo panorama en el país, por lo cual, se debe preparar una agenda de Estado que incluya temas fundamentales como: 1. Definir rol de las Fuerzas Armadas en la defensa de nuestra seguridad y soberanía en la etapa post La Haya. 2. Establecer una política de desarrollo del sector pesquero en esta zona del país. 3. Establecer acciones inmediatas sobre la situación laboral de los chilenos que viven en el Perú y los peruanos que viven en Chile. 4.Promover un plan de inversión pública en las regiones Tacna y Moquegua a favor de la integración sudamericana. 5.Definir políticas de integración económico – social y cultural con nuestros vecinos fronterizos.

Le verdict de La Haye va, cependant, définir une nouvelle vision d'ensemble pour le pays, pour lequel un agenda national doit être établi et qui inclut des questions essentielles telles que : 1. Définir le rôle des forces armées dans notre sécurité et souveraineté nationale après l'épisode La Haye. 2. Etablir une politique de développement pour la filière pêche dans cette partie du pays. 3. Prendre des actions immédiates concernant la situation des travailleurs chiliens au Pérou et les Péruviens vivant au Chili. 4. Promouvoir un programme d'investissement public dans les régions de Tacna et Moquegua en faveur de l'intégration sud-américaine. 5. Elaborer des politiques d'intégration socio-économique et culturelle avec nos voisins.

Dans le même temps, comme annoncé par Silvio Rendón, il y a eu un récent sursaut de nationalisme, flagrant dans la proposition [14] de l'ancien Président Alan García demandant de planter le drapeau devant les maison et les bâtiments à travers le Pérou le 27 janvier, jour où la Cour internationale de La Haye rendra finalement une décision favorable à l'une ou l'autre partie du litige. Cela a suscité la controverse, puisque l'appel a été rejeté [15] par le parti au pouvoir au Pérou et un certain nombre de politiciens chiliens [16]. Néanmoins, García a défendu [17] sa proposition qui a été bien accueillie ailleurs, à savoir certaines provinces [18] et départements [19] du pays.

Le Pérou a aussi éprouvé l'effet [20] de la rencontre [21] que le Président chilien Sebastián Piñera a tenue avec son Conseil de sécurité nationale [22] pour étudier les éventuelles répercussions de la décision de la CIJ. Par la suite, et face aux critiques [23] de certains politiciens chiliens, le ministre de l'Intérieur du pays, Andrés Chadwick, a déclaré [24] que la réunion “n'avait pas établi une situation de fait de nature militaire ou belliqueuse.” 

Néanmoins, le journal en ligne chilien El Mostrador a publié [25] des informations en juillet 2013 au sujet de préparatifs militaires à la fois au Chili et au Pérou par anticipation d'une décision défavorable de la CIJ ou d'une situation dans laquelle l'un des deux pays refuse se s'y soumettre. Plus récemment, le blogueur péruvien pro-militaire Report Perú a publié [26] de supposées mesures d'alertes précoces par les forces armées péruviennes. 

Il reste moins de 7 jours avant le jugement de la Cour internationale de justice de La Haye ; beaucoup de choses peuvent encore se produire, et les rumeurs et polémiques vont certainement continuer à abonder. Mais l'avocat Francisco Canaza a émis une réflexion [27] pertinente sur son blogue Apuntes Peruanos, renvoyant à une décision [28] antérieure de la CIJ concernant le différend territorial et maritime entre la Colombie et le Nicaragua [29] [anglais], qui a eu pour conséquence que la Colombie n'a pas reconnu la décision de la Cour et s'est retirée du Pacte de Bogotá, un traité dont les signataires [une majorité de pays latino-américains] se sont obligés à résoudre leurs litiges de manière pacifique, reconnaissant la juridiction de la CIJ :

sin ser el caso Peru – Chile ante la Corte Internacional de Justicia de La Haya un proceso similar al de Nicaragua – Colombia, ¿Chile podría, como Colombia, denunciar (retirarse) del Pacto de Bogotá [30] y así evitar la ejecución de un fallo “no ajustado a derecho”?

Bien que l'affaire Pérou-Chili, désormais devant la Cour de justice de La Haye, ne soit pas forcément similaire à l'affaire Nicaragua-Colombie, le Chili pourrait-il, à l'instar la Colombie, dénoncer (se retirer) le Pacte de Bogotá [31] et par conséquent éviter l'exécution d'une décision qui n'est “pas compatible avec le droit” ?

Billet publié à l'origine sur le blog de Juan Arellano Globalizado [32].