Madagascar a enfin un nouveau président, mais l'incertitude demeure

C'est officiel: Hery Rajaonarimampianina, considéré comme un substitut de l'ancien Président de la Transition de Madagascar Andry Rajoelina, qui a renversé le dernier président démocratiquement élu dans un coup d’État soutenu par l'armée en 2009, a été déclaré par la Cour Électorale Spéciale (CES) de Madagascar vainqueur des élections présidentielles longuement attendues.

La CES a rejeté [anglais] les allégations de fraude électorale et les demandes de redépouillement émanant de l'autre candidat, Jean-Louis Robinson. Les deux hommes se sont affrontés dans un deuxième tour des élections en décembre 2013 lorsque aucun candidat n'a gagné la majorité absolue à l'issue du scrutin initial en octobre. Rajaonarimampianina a recueilli 53,49 % des voix au second tour, tandis que Robinson a obtenu 46,51 %.

Cela signifie-t-il que Madagascar est de nouveau sur le chemin de la démocratie ? La prospérité et la paix sont-elles enfin à l'horizon pour un pays marqué par une instabilité chronique et une descente continue dans la pauvreté ?

Un simple calcul montre que Rajaonarimampianina aurait été élu avec à peine 25 % des électeurs inscrits en utilisant les chiffres exposés dans Madagascar Tribune : 

Inscrits : 7 971 790 
Votants : 4 043 246 
Blancs et nuls : 171 790 
Suffrages exprimés : 3 851 460 
Taux de participation : 50,72 % 
Rajaonarimampianina Rakoatoarimanana Hery Martial : 2 060 124 (53,49 %) 
Robinson Richard Jean Louis : 1 790 336 (46,51 %)

 

Screen shot of Hery Rajaonarimampianina during the presidential debate - Public Domain

Capture d'écran de Hery Rajaonarimampianina lors du débat présidentiel via la chaîne de Télévision Publique Malgache – Domaine public

Mais au-delà de ce point, les prises de pouvoir se sont produites à Madagascar par des manifestations de rue et/ou des coups d’État militaires, cinq fois depuis 1972, le dernier en 2009.

Les élections présidentielles malgaches étaient-elles véritablement libres et équitables? Vont-elles finalement conduire à une période de paix et de prospérité pour le pays ?

Il a fallu quatre ans pour faire les élections et elles ont été saluées par la plupart dans le pays et dans la communauté internationale. Alors qu'il y avait des irrégularités le jour du scrutin, telles qu'elles ont été constatées par les citoyens observateurs des élections Andrimaso et Zahavato, elles n'ont pas été jugées suffisamment importantes pour déclarer la nullité des élections.

Il y a, cependant, certaines préoccupations fondées sur les événements en particulier au cours de la période pré-électorale. Le premier de ces événements étant lorsque le Président renversé Marc Ravalomanana, son épouse Lalao Ravalomanana, l'ancien Président Didier Ratsiraka et le faiseur de coups d’État Andry Rajoelina ont tous été exclus des élections.

Dans ce qui constitue un précédent anglais], Didier Ratsiraka et Lalao Ravalomanana ont été empêchés de participer aux élections, sur la base du critère de résidence, alors qu'ils étaient exilés respectivement en France et en Afrique du Sud, et interdits de retourner dans l'île. Cela ne semble pas vraiment être la marque d'une démocratie naissante.

Andry Rajoelina avait déposé sa candidature à la dernière minute, et s'est donc vu interdire de se présenter également. L'ONG Verified Voting a publié les explications suivantes [anglais] : 

La Cour a déclaré que ni Ravalomanana ni Ratsiraka ne répondent aux conditions de résidence physique pour être candidats. Ravalomanana vit en exil en Afrique du Sud, tandis que Ratsiraka n'a pas vécu de façon permanente sur l'île depuis qu'il a fui en France en 2002.

La Cour a indiqué que Rajoelina n'a pas déposé sa candidature pendant le délai légal. Rajoelina a affirmé en janvier qu'il ne serait pas candidat aux élections de cette année, mais a ensuite déposé sa candidature en mai. Il a déclaré qu'il avait décidé de se présenter parce que la candidature de Lalao Ravalomanana est la même chose que d'avoir son époux candidat.

La Communauté de développement de l'Afrique australe, un bloc régional de 15 pays, avait recommandé que ni Ravalomanana ni Rajoelina ne se présentent aux élections, comme un moyen de  résoudre les problèmes politiques de Madagascar. L'île de 20 millions d'habitants connait des troubles politiques depuis que Rajoelina, un ancien DJ, a pris le pouvoir en 2009.

Ravalomanana a convenu en décembre de ne pas se présenter aux élections. Cinq autres candidats ont également été retirés de la liste, a statué la Cour.

Deuxièmement, en novembre, une loi a été adoptée qui autorise Andry Rajoelina à faire campagne pour Hery Rajaonarimampianina, en dépit des obligations qui incombent aux anciens présidents, élus démocratiquement ou non, de rester au-dessus de la mêlée et neutres. Un blogueur sur le blog communautaire malgache Madonline suspectait que Rajoelina a également participé à la sélection de candidats pour les élections législatives qui se sont déroulées parallèlement à la présidentielle :

Il est le candidat virtuel et omnipotent de ces élections malgaches, car son ombre plane à la fois sur la présidentielle et les législatives. Il, c’est évidement Andry Rajoelina qui a revendiqué la paternité du candidat Hery Rajaonarimampianina pour être tête d’affiche au second tour avant d’enfanter 117 candidats à la députation. Non, il ne viole plus la loi puisqu’il l’a changé une énième fois en sa faveur. C’est par un décret pris en conseil des ministres que Andry Rajoelina a décidé qu’il peut s’afficher physiquement et sur les supports de communication des candidats. En tant que premier chef d’institution, il se libère du devoir de neutralité et de réserve préconisé par la Feuille de route

Troisièmement, certains éléments tendent à indiquer que Andry Rajoelina pourrait tenter de s'imposer comme premier ministre à la Vladimir Poutine sous la présidence de Medvedev, laissant entendre qu'une déclaration établissant que Madagascar est de nouveau sur la voie de la démocratie peut être prématurée, comme l'explique Tsimok'i Gasikara :

 Le camp du président de transition non élu Andry Rajoelina, en passe de remporter la présidentielle à Madagascar, a estimé samedi avoir une majorité suffisante pour désigner le prochain Premier ministre, au lendemain des résultats provisoires des législatives.”Selon notre estimation, nous avons 53 députés mais ce chiffre peut remonter jusqu'à 58 après vérification”, a indiqué à l'AFP Jean de Dieu Maharante, le président du groupe de candidats qui se présentaient sous les couleurs de Mapar, acronyme signifiant en français “avec le président Andry Rajoelina”.

 

Screen caption of Hery Rajaonarimampianina and Andry Rajoelina during the presidential campaign via Mandimby Maharo with permission

Capture d'écran de Hery Rajaonarimampianina et de Andry Rajoelina lors de la campagne présidentielle. Via Mandimby Maharo avec son accord

Lors de l'élection, d'autres événements peu orthodoxes se sont produits. Le premier étant l'ajout inexpliqué de 140 000 électeurs à la liste électorale entre le premier et le second tour. Qui sait combien d'électeurs ont été supprimés des urnes et privés de leurs droits électoraux ? 

Un autre fait inexpliqué et préoccupant est l'origine obscure des fonds électoraux. L'argent coulait à flot de tous les côtés durant la campagne. Les lois électorales ne sont pas mises en place pour réglementer la campagne de financement. A titre de comparaison, il convient de noter que plus de 90 % de la population malgache vit avec moins de deux dollars US par jour. Cependant, selon les rapports, Rajaonarimampianina a dépensé 43 millions de dollars US :

Enfin, grâce à son trésor de guerre de quelque 43 millions de dollars, considéré comme le budget de campagne le plus élevé, le candidat a réussi à installer ses relais à travers l’ensemble de l’île.

Comme tout le monde le sait, un autre candidat malheureux, Camille Vital, a vu ses dons de 350 véhicules 4×4 bloqués au port de Toamasina. A la suite de l'élection, Vital, l'ancien premier ministre de Rajoelina, qui a soutenu Robinson au second tour de scrutin, n'est pas autorisé à quitter Madagascar. Une fois de plus, un autre signe inquiétant que la démocratie n'est peut être pas totalement instaurée à Madagascar, via les actualités de Malango : 

Fin septembre, 350 véhicules 4×4 sont bloqués dans le port de Toamasina (Tamatave) ainsi qu'un cargo contenant plusieurs centaines de milliers de t-shirts à son effigie. Les documents fournis éveillent la méfiance des douanes qui demandent des explications. Selon le candidat, il s'agit d'un « un don non remboursable et sans contrepartie » fait par un « ami » étranger convaincu de son programme fondé sur le rétablissement rapide de la sécurité dans le pays.

Des signes démontrent que le peuple est épuisé par la longue crise. Comme le rapportait All Africa [anglais] :

Le peuple pourrait être également fatigué des conflits politiques interminables. Un indice de cette situation, et de la désillusion du peuple à l'égard de leurs dirigeants actuels, est le faible taux de participation aux élections de décembre, qui était un peu plus de 50%.

Paul-Simon Handy, chef de la Division chargée de la Prévention des conflits et de l'Analyse des risques de l'ISS, indique que le faible taux de participation au second tour rappelle d'autres pays sortant d'une crise où les électeurs sont épuisés par les conflits politiques prolongés.

‘Autant que le peuple veut un gouvernement légitime, ils en ont tout simplement assez des disputes politiques et il voit que les propositions en termes de candidats sont le recyclage de la même élite politique.’ 

Dès le lendemain de la proclamation officielle de la victoire de Rajaonarimampianina, Robinson a déjà appelé à des manifestations:

Robinson appelle à une grande manifestation sur la place du Magro demain et revendique la confrontation des résultats.

Tous les yeux sont rivés sur Rajaonarimampianina pour voir si et comment il compte honorer sa promesse électorale de rétablir la stabilité et de travailler ensemble avec le peuple pour sortir Madagascar de la pauvreté. Rajaonarimampianina est-il maître de lui-même, et peut-il être autonome, malgré qu'il soit considéré comme un substitut de Rajoelina? Les Malgaches méritent un gouvernement et un président sachant qu'être élu avec seulement 25 % des électeurs inscrits signifie qu'il doit travailler de manière inclusive avec d'autres camps, réconcilier tous les Malgaches, et s'abstenir du scénario Poutine. 

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