Les volontaires permanents du Mouvement ATD en Centrafrique ont été présents auprès des plus démunis avant que le violent conflit religieux ne déchire le pays. Leurs actions pour soutenir les populations locales ont permis de maintenir la solidarité et le lien social dans certaines communautés fragilisées par les luttes fratricides. Leurs présences continues auprès des citoyens ont font des acteurs et observateurs privilégiés de la situation actuelle. Global Voices a sollicité ces volontaires pour connaitre leur points de vue et les actions à mener pour reconstruire le pays; voici l'entretien à bâtons rompus avec Michel Besse et l'équipe de ATD-Quart Monde à Bangui:
GV: Quelles sont les besoins pressants pour la Centrafrique maintenant ? Quelles solutions peut on proposer ?
MB: Pour nous, ce dont le pays a besoin pour reconstruire, c'est de tenir compte de ceux qui ont résisté, et compter avec eux, s’appuyer sur leur expérience et leur savoir. Des familles, des personnes qu'on considère pour rien, isolées de tous et sans appuis chez les « kotazo » (les puissants, en sango langue nationale), ont maintenu malgré tout un lien de paix et de survie, au cœur des conflits. C'est ce lien dont le pays a besoin pour se rassembler après toutes ces distensions brutales. En revanche ceux qui sont restés comme des « blocs » par l'usage de la force (les milices armées) ou par l'usage de la ruse pour la survie de leurs intérêts politiques ou autres, n'ont pas cette vision de résistance et de reconstruction. Nous souhaitons que cette sagesse de paix des très pauvres puisse être connue de ceux qui sont dans leurs sécurités, ceux qui peuvent se protéger, ou ceux qui sont à l'abri.
Dans votre localité, quelle est la situation à ce jour ? il y a t-il des réfugiés et si oui, d’où viennent-ils ?
MB: On peut dire que depuis le 24 décembre, toutes les maisons dans notre quartier ont accueilli des familles déplacées fuyant les quartiers devenus dangereux ; nous-mêmes, à la Maison Quart Monde, nous accueillons désormais une vingtaine de personnes, des membres du Mouvement venant de quartiers proches. Par ailleurs, un site de déplacés existe à quelques rues de chez nous, avec 19.000 personnes déplacées.
Des jeunes de ces familles déplacées sont souvent envoyés pour essayer de passer une nuit dans les maisons familiales, mais au bout de quelques essais ils retournent à nouveau dans des quartiers plus sûrs, à cause de regain de violences et de scènes de tueries qui ont eu lieu dans les zones d'affrontement. La situation, d'après ce que nous entendons de leur part, ainsi que par d'autres amis du Mouvement ATD, l'instabilité d'un jour sur l'autre est la marque de cette insécurité. Elle empêche de pouvoir se réinstaller durablement chez soi.
Beaucoup de ceux avec qui nous sommes en lien, entre autres des jeunes qui viennent prendre des matériaux d'animation pour les Bibliothèques de Rues dans leurs sites, et qui nous racontent leur vie quotidienne dans ces camps dont le plus grand à l'aéroport compte 100.000 personnes, nous le disent : « Ça fait très mal quand je vois ma famille sur cet aéroport. Quand je fais l'animation avec les enfants, la douleur est enlevée, j'ai moins de soucis ni de tracas, pas de douleur ».Quand il y a de l'électricité, nous pouvons rester en lien avec des membres du mouvement, donner et recevoir de nouvelles des uns et des autres. Comme les déplacements sont limités, ces liens se font par téléphone mobile, surtout avec des familles qui sont dans zones de combats, avec un SMS, un appel de quelques secondes, parfois ces familles répondent en murmurant, de peur d’être entendues par les groupes armés qui passent, dans les ruelles près de leurs maisons. Nous faisons tout le possible pour que les nouvelles circulent : nous savons que c'est vital pour ne pas se sentir seuls.
Nous avions un projet de faire découvrir aux enfants et aux animateurs de Bibliothèque de rue et d’action Tapori dans sept zones de la capitale un DVD de chansons Tapori . C’était prévu pour Fin 2013, début 2014 : malheureusement, la flambée du 5 décembre nous a empêché de vivre ce projet : « C'est reporté, pas annulé », disait un de ces animateurs. « Dans le pays, un jour le calme viendra, alors ça sera possible ». Mais en attendant, les animateurs ne restent pas les bras croisés. Ils ont rejoints les enfants dans différents camps de déplacés. A l’aéroport, ils les réunissent plusieurs fois par semaines autour des livres, des chansons, du dessin. C’est ainsi que les enfants de la BDR du Camp de Mpoko, ont réalisé des coloriages, et ont choisi de les offrir à l’hôpital-mobile de MSF lors de l'inauguration , et avec leur fameux DVD en prime ! En recevant ce cadeau, la Directrice de l’hôpital, une MSF qui avait travaillé dans bien d'autres pays, disait sa joie de voir pour la première fois de sa carrière, que la force des enfants à travers leurs paroles et leurs chansons des enfants pour la joie d'autres enfants était mise en avant.
La situation est vraiment inquiétante au quotidien mais comment gérez-vous les incertitudes et quels sont les besoins les plus pressants à ce jour ?
MB: Nous voyons que pour les familles qui sont déplacées, l'important est de pouvoir continuer à gagner de quoi vivre. Pour deux mères de familles qui sont avec nous, il s'agit de vendre de la farine de maïs : pour cela il faut aller acheter le grain en vrac, puis le mettre à tremper une nuit, le sécher et aller trouver dans le marché Lakouanga à deux kms un moulin qui fasse la farine à bon prix, et enfin organiser la vente au détail dans l'un ou l'autre marché « spontané » qui est né du déplacement de la moitié de la ville. Toute cette activité de survie donne à la famille toute entière une raison de se lever, de se battre, d'espérer.
L'incertitude, c'est de vendre suffisamment pour pouvoir acheter de quoi manger à la famille ; c'est aussi d'avoir à traverser des quartiers où les conditions de sécurité sont tellement changeantes : celui qui a moulu mon grain aujourd'hui sera-t-il encore vivant demain ? C'est par exemple sur ce trajet de fabrication de la farine de maïs qu'une des mamans a été témoin devant ses yeux du lynchage d'un homme par la foule. C'est aussi l'incertitude de pouvoir rentrer avant le couvre-feu et la tombée de jour à 18 heures, alors que des bandes commencent à sortir pour aller piller des maisons désertées. L’autre souci des parents, c’est l’éducation des enfants, ils ne veulent pas que les enfants soient témoins de scènes de violence. depuis le début des tensions, les animateurs disaient : « il nous faut continuer nos Bibliothèque de rue pour désarmer l’esprit des enfants ». c’est aussi pour cela que nous allons soutenir l’initiative de l’école qui se trouve proche de la Maison Quart Monde. elle accueille depuis quelques jours plus de 1000 enfants et proposent des activités ludiques.Depuis le jeudi 20 janvier 2014 et la prestation de serment de la Présidente de la transition, les radios nationales donnent des communiqués sur les réalités de violence qui continuent de toucher le pays : cela fait que les déplacés qui vivent avec nous, et d'autres qui passent nous voir, se posent beaucoup de questions pour le devenir de leur pays. Si malgré un deuxième gouvernement de transition les choses en restent à la violence, alors qu'est-ce qu'on va devenir?
La situation est très compliquée, c'est vrai. Mais on ne peut pas dire que tout le monde est ennemi. On ne peut pas sous-estimer les risques que prennent certains pour sauver d'autres qui ne sont pas de leur communauté. Par exemple, telle maman musulmane qui un midi voit passer une jeune fille chrétienne, ployant sous le poids du sac de grain qu'elle est allée moudre, et s'avance dans une rue ou des exactions viennent d'avoir lieu : « Viens ma fille »,dit-elle pour faire croire qu'elle est une parente, « je t'aide à porter »… et elle lui montre une ruelle pour éviter le quartier ! Dans ce même quartier, 17 lieux de culte chrétiens ont étés protégés par des groupes de jeunes musulmans qui ont voulu que l'honneur de leur voisinage soit respecté. Un autre exemple, un jeune chrétien a sauvé un homme poursuivi par une foule qui le soupçonnait d’être un ex rebelle. Lorsqu’on lui a dit : « mais pourquoi tu as sauvé ce rebelle ? » il a répondu : « j’ai sauvé un homme ».
En parlant de l'avenir du pays, un éducateur spécialisé dit : « Qu'on en finisse avec la haine. C'est une catastrophe. Les centrafricains veulent quelqu'un qui peut assurer cette transition, faire grandir un esprit qui bannit la haine et la jalousie. Qui favorise que l'un accepte l'autre. Un esprit de pardon pour assurer la paix, quelles que soient les origines de l'un et de l'autre. Les politiques doivent accepter que les gens veulent vivre en paix. Les gens réfléchissent : des dirigeants créeront-ils encore des divisions ? Car depuis si longtemps nous arrivions à vivre sans tenir compte de l'appartenance religieuse».
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