Mme Béatrice Epaye est une ancienne députée et aujourd’hui membre du Conseil national de transition de la République Centrafricaine et qui aujourd'hui siège au Parlement de la CEMAC, à Malabo en Guinée Equatoriale, où elle représente le CNT centrafricain. Mme Epaye est aussi la Présidente de la Fondation “La Voix du Coeur”, qui est actuellement un lieu d'accueil et de soutien aux enfants des rues à Bangui, capitale de la Centrafrique. Mme Epaye a acceptée de répondre à nos questions sur la situation en Centrafrique à ce jour et les mesures à prendre pour éviter une catastrophe humaine dans son pays :
Dans votre localité, quelle est la situation a ce jour ?
BE: Je suis une habitante de Bangui la capitale de la RCA, une ville meurtrie par le conflit. Tous les jours, de chez moi, j'entends des coups de feux venus de certains quartiers de Bangui. Ma maison comme beaucoup d’autres accueillent des proches venus de quartiers plus fragiles. Les gens fuient et beaucoup se sont regroupés dans des lieux qu'ils estiment sécurisés : Aéroport, Mosquées, Églises, dans des familles, en brousse dans la périphérie de Bangui ou en République Démocratique du Congo de l'autre côté du fleuve Oubangui.
De même, le Centre « Voix du Cœur » que j’ai fondé est devenu un lieu de regroupement pour les enfants de la rue en détresse. Là chrétiens et musulmans se côtoient, s’entraident.
Comment gérez vous les incertitudes et quels sont les besoins les plus pressants à ce jour ?
BE: Effectivement c'est une situation difficile et précaire pour tout le monde : à tout moment le pire peut se produire! Quand on sent le danger, on cherche un abri.
Le plus difficile pour les familles et sur les sites des déplacés, c'est de ne pas avoir à manger ni avoir la possibilité de se soigner. Les salaires ne sont pas payés depuis 4 mois, et l'aide humanitaire n'est pas suffisante, ou même parfois inexistante. Dans leurs fuites les populations ont laissé derrière elles le nécessaire pour le quotidien et manquent du minimum pour la survie. Ensuite les enfants ne vont pas à l'école… on en est à un tel point que je ne peux pas le décrire.
Comment la violence entre chrétiens et musulmans est montée aussi vite dans un pays qui n'est pas connu pour des conflits religieux ?
BE: Effectivement, le pays n'a jamais connu de conflits religieux. Les deux communautés ont toujours vécu ensemble en cohésion. Les familles s'échangent les repas lors des fêtes de Pâques, de la Tabaski, du Ramadan, de Noël et lors des mariages religieux. Lors du coup d’État nous avons vu parmi les rebelles des étrangers, engagés comme mercenaires. Depuis le début de leur progression ils ont utilisé les communautés musulmanes avec un discours de libérateurs des musulmans face aux mécréants qui les maltraitent. Ils ont pu enrôler beaucoup de jeunes qui les ont aidé à s'attaquer aux biens de l’église et faire les exactions que nous avons tous connues. Jusqu’à maintenant, nous avons toujours recherché à vivre en harmonie entre Centrafricains, avec nos différences de confessions ; comme nation, nous avons aussi accueilli beaucoup de personnes et de familles venant des pays voisins. Cependant, il y a l'attitude de certains agents de l’État face à des concitoyens ou des résidents qu’ils supposent musulmans. Ceux-ci sont freinés dans leur démarche pour un papier administratif ou pour passer un barrage des forces de l'ordre. De même, les populations du nord-est de la RCA proches du Tchad et du Soudan (Darfour), vivant à plus de 1000 KM de la capitale, et majoritairement musulmanes, bénéficient peu du soutien de l’Etat parce que l’administration et les services publics sont quasi inexistants dans cette région, ce qui peut amener les habitants à se sentir laissés pour compte. Ces populations sont plus liées aux populations frontalières des autres pays voisins, ce qui est normal et parlent ensemble la même langue, ont une culture proche, mais ils sont alors perçus comme étrangers et eux-mêmes se sentent loin de la majorité chrétienne du pays. Au cœur du conflit que nous vivons, en ce moment, la grande majorité silencieuse des Centrafricains refusent la violence et beaucoup ont eu a agir pour protéger ou sauver la vie d’autres, souvent d’une autre communauté religieuse qu’eux.
Vous dites qu'il est essentiel que les communautés se parlent et dialoguent pour résoudre les problèmes. Selon vous, quelles sont les conditions nécessaires pour que ce dialogue s'instaure. Comment la communauté internationale peut elle être d'une aide sur ce sujet ?
BE: J'estime que parallèlement à la sécurisation du pays il faut commencer la réconciliation entre les communautés.
Tout d'abord, rassurer la communauté musulmane qui est en train de quitter le pays, elle fait partie prenante de la RCA. Il s'agit de réfuter toute idée soit de les chasser, soit de scission du pays. Il faut éliminer dans les mentalités la confusion systématique entre Seleka et musulman.
Inviter à ouvrir un processus de dialogue politique entre toutes les parties prenantes aux conflits, mais aussi avec les acteurs non-armés afin de lancer un processus de réconciliation nationale à même d'apaiser aujourd'hui les populations désemparées et leur redonner confiance dans l'avenir.
Dès la rentrée scolaire, qu'on commence à mettre en place un programme sur le vivre ensemble pour les enfants, et aussi l'élargir dans les quartiers et villages.
Il faut renforcer la sensibilisation déjà initiée par la plate-forme inter-religieuse dans les Églises, les Mosquées et autres Temples, ainsi que d'autres initiatives locales qui concourent à la paix”. Il est vrai que l'idée d'organiser des élections fait partie des priorités de la Communauté internationale, mais cette idée fait certainement peur à la communauté musulmane centrafricaine. C'est pourquoi il serait souhaitable que parallèlement au processus électoral, soit amorcé un programme de réconciliation nationale, une démarche qui assure à chacun qu’il sera reconnu comme centrafricain à part entière.
Quelles sont les autres besoins pressants pour la Centrafrique maintenant ? Quelles solutions peut on proposer ?
BE: Le besoin le plus pressant pour la RCA c'est d'abord la sécurité pour son peuple. L'idéal serait que les familles rentrent chez elles avant les premières pluies du mois de février, que l'aide humanitaire arrive aux habitants partout où on peut les trouver (alimentation, eau potable, soins, couchages, produits d'hygiène, vêtements…). Ce serait aussi le paiement des salaires aux fonctionnaires.
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