Shakespeare a écrit : “La musique est l'aliment de l'amour, continue à jouer.” Et si cet “aliment de l'amour” met en danger la vie de celui qui joue ? C'est le cas pour les jeunes musiciens qui forment l'orchestre Jafraa au camp de réfugiés palestiniens de Homs, en Syrie.
Dirigé par le professeur de musique et éducateur Amer Shanati, l'orchestre compte 45 à 55 enfants âgés de sept à 17 ans. La musique a beau être dite un langage universel, elle paie au prix fort sa survie dans la Syrie ravagée par la guerre. La plupart de leurs instruments “relativement chers” sont soit empruntés soit donnés, à cause de la pauvreté des habitants du camp. Leur musique est une diversion bienvenue du bruit des bombardements et combats qui se déroulent devant Homs assiégée.
Jafraa dépend totalement des médias sociaux pour diffuser ses concerts puisque la Syrie est privée de toute activité musicale depuis que le gouvernement a banni les productions musicales au niveaux provincial et national. Shanati utilise principalement Jafraa.Music sur YouTube et Jafraa.homs sur Facebook pour mettre en ligne le travail de l'orchestre et montrer au monde qu'au-delà de l'horreur en Syrie, il reste des gens talentueux qui méritent de ne pas être oubliés dans le chaos.
Dans un échange de courriels avec Shanati, celui-ci a dit son enthousiasme et sa fierté pour Jafraa, qui joue de “l'art engagé”, une expression qui désigne en Syrie la musique des chanteurs et musiciens classiques qui enrichissent depuis des générations la culture musicale du monde arabe, comme Mohamed Abdel Wahab, Fairuz, Oum Kalthoum, et Ouadia Al Safi, parmi beaucoup d'autres. Ces jeunes instrumentistes réalisent une superbe performance mettant en évidence leur talent quand ils jouent la chanson classique de 1969 d'Oum Kalthoum “Alf Leila wa Leila” (Mille et une Nuits) :
Shanati présente ainsi l'orchestre sur sa page Facebook [arabe] :
فرقة_جفرا_للفن_الملتزم فرقة موسيقية غير تابعة أو مموّلة من أي جهة حكومية أو مؤسسة من مؤسسات المجتمع المدني أو جمعية
أو مشروع على اختلاف انتماءاتهم..
فرقة جفرا أُسّستْ منذ عام 2007 بجهودٍ ذاتية متواضعة لتغني اللحن والفن الأصيل
تتألف من مجموعة كبيرة من الأطفال و الشباب يقوم الأستاذ “عـــــامر شناتي” بتدريبهم في غرفة صغيرة في مخيم العائدين/حمص/سوريا.ولكل من هؤلاء الأطفال حلمه في الحياة العملية سيجتهد ويدرس لتحقيقه , ولكن ستبقى جفرا هي ركنهم الدافئ والخاص يحلقّون مـن خلاله في فضاء اللحن الأصيل والكلمة الملتزمة لينثروا عبرهما معاني الحب والسلام والجمال لكل من حولهم ..
وعليه تقبل فرقة جفرا للفن الملتزم فقط تبرعات و إحياء حفلات برعاية أشخاص أو مؤسسات لغايات إنسانية و ثقافية أخلاقية بحته
دون أي شــــــــروط تُفرض على الفرقة …
L'orchestre Jafraa d’ “art engagé” est une formation qui n'est affiliée ni financée par aucun parti, institution de la société civile, association ou aucune autre initiative.
L'orchestre Jafraa a été créé en 2007 avec les modestes intentions de jouer des mélodies ainsi que des compositions originales. Il consiste en un large groupe d'enfants et d'adolescents dirigés par Amer Shanati, un professeur de musique qui les fait travailler dans une petite salle du camp de réfugiés de Homs, en Syrie.
Chacun de ces enfants a un rêve pour son avenir ; mais Jafraa restera leur lieu chaleureux et personnel d'où ils s'envolent dans l'espace, avec la mélodie et l'art engagé pour diffuser le sens de l'amour, de la paix et de la beauté autour d'eux.
L'orchestre Jafraa accepte seulement les dons et les concerts sponsorisés par des individus ou institutions à fins humanitaires et culturelles, absolument sans aucune condition imposée à l'orchestre.
L'orchestre emprunte son nom à un poème célèbre sur une jolie jeune Palestinienne prénommée Jafraa (ou Jafra) qui a conquis le coeur d'un poète. Même si l'histoire n'est pas attestée, Jafraa est considérée depuis des générations comme un symbole de beauté et d'amour dans la culture palestinienne dont descendent Shanati et nombre de ses petits héros.
Répondant à quelques questions sur le mode de fonctionnement de Jafraa, Shanati est modeste :
J'utilise les médias sociaux pour faciliter la diffusion de la voix des enfants vers le monde alors qu'il n'existe pas de couverture médiatique autour de nous. Les réactions de ceux qui nous suivent sont significatives, nous donnent espoir et cela nous rend heureux de savoir qu'ils attendent chaque nouvelle vidéo que nous téléchargeons.
Néanmoins l'aide financière est très minime, mais elle compte, même si je connais la raison du manque de moyens et de l'extrême pauvreté. Nous sommes toujours à la recherche de plus de fonds pour pouvoir posséder notre propre équipement musical et audio et devenir plus indépendants avec une salle spacieuse pour accueillir un plus grand nombre d'enfants. Nous pâtissons de la lenteur des connexions Internet et de coupures de courant qui compliquent nos communications et freinent nos projets futurs ; nous n'en visons pas moins à continuer malgré les difficultés.
Notre travail est un message montrant que nous tenons à vivre nos vies, même si cela paraît impossible, et malgré le potentiel restreint de croissance, nous devons montrer au monde nos talents pour nous aider à grandir au lieu d'êtres vaincus.
Mon rêve est de développer cet orchestre à un niveau supérieur de bons musiciens et de trouver plus de talent pour aider les enfants à surmonter la crise actuelle qui les a affectés psychologiquement.
Retour à la citation de Shakespeare : “Si la musique est l'aliment de l'amour, continue à jouer / Donne-m'en trop, pour que, par l'excès / L'appétit s'écoeure, et en meure.”
Ce n'est sûrement pas la mort physique qu'il évoquait. Je souhaite à tous les talents du monde plus de chance qu'à ceux des petits Syriens dans l'orchestre Jafraa, qui donnent espoir, une minuscule lumière au bout du sanglant tunnel syrien.