L'Iran s'élève contre la surveillance de masse

 

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Bannière de The Day We Fight Back, version perse. Graphique par Alec Perkins via Wikimedia Commons, (CC BY-4.0)

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Les révélations autour des pratiques de surveillance de la NSA et autres agences de renseignements gouvernementales occidentales semblent avoir fait de 2013 l'année où Internet a perdu son innocence au sein des États démocratiques. Mais cet état de perpétuelle, omniprésente surveillance fait depuis longtemps partie de la vie quotidienne des citoyens de la République Islamique d'Iran. Tandis que les questions de sécurité et de vie privée sont récemment devenues une préoccupation d'intérêt général dans le monde occidental, les Iraniens connaissent depuis longtemps les risques du partage d'informations via les technologies de communication.

Shunood, le terme le plus souvent utilisé pour surveillance en farsi, vient du mot shenidan, qui signifie écouter. Corollaire : la surveillance en Iran est communément associée aux écoutes téléphoniques, une pratique courante en Iran depuis l'introduction de la technologie dans le pays. En juillet 2013, le véhément parlementaire Ali Motahari découvrit que son bureau avait été truffé de dispositifs d'enregistrement – beaucoup suspectèrent que les dispositifs avaient été installés par l'intransigeant ancien ministre du Renseignement iranien. Ces dernières années, les avancées dans les technologies de communication ont modifié l'appareil de surveillance de l'État. De l'extraction de données aux écoutes en passant par une méthode ultra omniprésente,  Deep Packet Inspection (DPI, en français, Inspection des Paquets en Profondeur), aux contrôle des métadonnées recueillies par des compagnies de télécommunications, et aux écoutes téléphoniques (qui est la méthode de surveillance la plus populaire en Iran), les chercheurs ont identifié diverses méthodes de surveillance numérique.

Pendant et après le Mouvement Vert de 2009, le chercheur en sécurité Chris Parsons et l'expert iranien de l'ICT Mahmood Tajalli Mehr ont trouvé des preuves solides suggérant que des technologies sophistiquées de surveillance ont été utilisées pour la DPI par le gouvernement pendant cette période. Tebyan Zanjan, un site web iranien couvrant les actualités d'ICT, a fait un rapport sur les différentes méthodes de collecte des données par le gouvernement, de la DPI aux écoutes téléphoniques, illustrant davantage encore les compétences du gouvernement en terme de surveillance.

En somme, il est communément admis parmi les Iraniens que si l'État le peut, il espionnera ses citoyens.

Deux normes juridiques importantes existent pour les pratiques de surveillance. Les deux demandent une procédure équitable dans les cas où l'État s'engage dans une surveillance. L’Article 25 de la Constitution indique :

The inspection of letters and the failure to deliver them, the recording and disclosure of telephone conversations, the disclosure of telegraphic and telex communications, censorship, or the willful failure to transmit them, eavesdropping, and all forms of covert investigation are forbidden, except as provided by law.

L'inspection de lettres et leur non-distribution, l'enregistrement et la divulgation de conversations téléphoniques, la divulgation de communications télégraphiques et de télex, leur censure, ou le manquement volontaire à leur transmission, les écoutes clandestines, et toutes formes d'enquêtes secrètes sont interdits, sauf tel que prévu par la loi.

En même temps, l’Article 104 du Code de procédure pénale iranien pour les Tribunaux Publics et Révolutionnaires déclare :

In cases where there is a need to inspect and detect mailing, telecom, audio and visual correspondences related to the accused, in connection with investigation of a crime, the judge will inform the respective officers to confiscate [these materials] and send them to him or her. Once they are received, they will be presented to the accused, noted in the minutes, and attached to the file after being signed by the accused. Refusal of the accused to sign will be noted in the minutes and in case the items are not of relative importance, and if the confiscation is not necessary, they will be returned to the owner obtaining an acknowledgment of receipt.

Dans les cas où il est nécessaire d'inspecter et de détecter du courrier, des correspondances telecom, audio et visuelles liés à l'accusé, dans le cadre de l'enquête sur un crime ou délit, le juge demandera aux officiers respectifs de confisquer [ces matériels] et de les lui envoyer. Une fois ceux-ci reçus, ils seront présentés à l'accusé, notés dans le procès verbal, et attachés au dossier après avoir été signés par l'accusé. Le refus de l'accusé de signer sera noté dans le procès verbal et dans le cas où les éléments ne sont pas d'importance relative, et si la confiscation n'est pas nécessaire, ils seront retournés au propriétaire qui recevra un accusé de réception.

Alors que des lois existent pour protéger la vie privée des individus, ces lois et les pratiques de l'État divergent. Ces protections sont souvent perdues entre les très nombreuses autorités qui administrent ces pratiques au sein d'un appareil gouvernemental complexe, avec divers ministères et organisations de différentes branches impliqués. L'entité centrale impliquée dans la collecte massive de données grâce aux technologies de communications est la Compagnie de Télécommunications d'Iran (TCI), ou Mokhaberat en farsi. Cette organisation tombe sous la compétence du ministère des Technologies de l'Information et de la Communication (ICT), mais conserve des actionnaires privés. Ils s'opposent à des rapports concernant la nature précise de l'influence des Gardes Révolutionnaires iraniens sur le TCI mais il est largement reconnu qu'ils possèdent la majeure partie du TCI, plaçant cet organisme dans les mains d'une entité responsable uniquement devant le Guide de la Révolution. Bien que cela soit souvent difficile à prouver, de nombreux experts suspectent ces actionnaires d'être associés à des éléments au sein des Gardes Révolutionnaires iraniens (IGRC).

Le Ministère du Renseignement, l'IGRC, la FETA (CyberPolice iranienne), le Ministère de la Défense, le Ministère ICT, l'Organisation pour la Défense Passive (PDO), et le Conseil Suprême pour le Cyberespace (SCC) sont tous impliqués dans le régime de surveillance du pays, mais ils sont souvent responsables vis-à-vis des différentes autorités et représentent différentes motivations et idéologies, allant d'éléments intransigeants dans l'opposition à des influences réformistes ou modérées au sein de l'élite. Des déclarations, faites à divers moments et par différents membres du gouvernement, soutiennent la practique de surveillance étatique contre les citoyens sans procédure régulière. Durant la précédente administration de Mahmood Ahmadinejad, le Ministre de l'ICT avait expliqué que les communications, incluant les SMS et les emails, étaient sujets à surveillance après approbation du Conseil Suprême de Sécurité Nationale.

Le 11 février, le monde s'est engagé pour les droits à la vie privée dans le sillage des révélations d'Edward Snowden sur la NSA lors d'une Journée internationale de refus de la surveillance, nous ne devrions pas oublier les pratiques qui ont toujours existé, et continuent de permettre de persécuter et d'emprisonner des Iraniens. Tandis que nous nous élevons contre des pays comme les États Unis, le Canada, et le Royaume-Uni pou leurs violations de nos droits à la vie privée, ASL19 exhorte le monde à ne pas oublier un pays qui n'a pas besoin de révélations pour révéler l'injuste état de la vie privée et des droits humains.

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