Le Président ukrainien destitué, le Parlement change de camp

Ce billet fait partie du dossier spécial de Global Voices sur le mouvement de contestation #Euromaidan en Ukraine.

Après la violente répression qui a fait cette semaine entre 70 et 100 morts parmi les manifestants anti-gouvernement d'Euromaïdan, le parlement ukrainien a formé une nouvelle majorité et voté la destitution du Président Viktor Ianoukovitch sous la pression croissante des protestataires.

Ianoukovitch avait à ce moment fui la capitale Kiev, dénonçant un coup d'Etat. 

Le vote de la Rada a été accueilli facorablement par les participants du mouvement Euromaïdan, qui s'opposait depuis trois mois au gouvernement de plus en plus répressif conduit par Ianoukovitch depuis qu'il s'était retiré en novembre 2013 d'un accord avec l'Union Européenne. 

Après l'effervescence du 20 février quand les forces de sécurité ont tiré sur les manifestants, un accord [ukrainien] avait d'abord été conclu entre l'opposition et Ianoukovitch, qui mettrait fin aux violences dans le pays, mais l'aurait aussi maintenu à la présidence jusqu'à de nouvelles élections prévues à la fin de l'année. Le compromis incluait encore un retour à la constitution de 2004, avec des pouvoirs présidentiels limités, ainsi que la création d'une commission d'enquête internationale sur les événements de Kiev. L'accord avait été négocié [anglais] par trois ministres européens des affaires étrangères.

Le soir du 21 février, les chefs de l'opposition parlementaire sont venus sur le Maïdan de Kiev (Place de l'Indépendance) – le bastion de la contestation – présenter le compromis signé. Ils sont arrivés au moment où Maïdan rendait hommage [anglais] au grand nombre de vies perdues la veille. Malgré le danger, des centaines de milliers de personnes s'étaient rassemblées sur la place, y compris des policiers qui avaient fraternisé avec les opposants. Les orateurs ont rejeté sur le président et son régime la faute de l'escalade de violence et l'utilisation des armes à feu.

#Maïdan en ce moment

Quand les manifestants ont appris que Ianoukovitch resterait au pouvoir au moins jusqu'aux prochaines élections, ils ont conspué la délégation du parlement. Un membre régulier du service d'ordre de Maïdan (le “sotnyk”) est monté sur le podium et a fait un discours très émotif demandant la démission du président dès le lendemain, sinon Maïdan passerait à l'attaque (vidéo).

Son appel a reçu un soutien unanime de la foule amassée, repris par le leader du mouvement Secteur de Droite [anglais], un mouvement d'opposition de droite, en des termes toutefois plus modérés. Le célèbre journaliste Dmytro Gnap est aussi monté en scène pour accuser les leaders de l'opposition de trahir le mouvement Euromaïdan, avant d'esquisser les voies possibles d'une démission de Ianoukovitch.

Les utilisateurs des médias sociaux, tel @RainFromUkraine, ont eu une réaction similaire :

La voix cassée d'un sotnyk était la voix de tous les Ukrainiens.

Par la suite, un des leaders de l'opposition, l'ex-champion international de boxe reconverti dans la politique Vitaliy Klychko [anglais], a pris la parole à son tour et a présenté ses excuses aux protestataires d'avoir conclu un accord avec Ianoukovitch et “serré sa main“.

Sur ces entrefaites, la nouvelle a circulé que Ianoukovitch quittait Kiev pour Kharkiv, en Ukraine de l'Est. Mais dans la soirée, des activistes des médias sociaux identifièrent un jet privé supposé appartenir au Président, quittant l'Ukraine, grâce au site de pistage de vols FlightRadar24. Comme l'avion se dirigeait vers Sotchi, beaucoup crurent que Ianoukovitch fuyait en Russie.

Cependant l'avion ne s'y posa pas mais poursuivit sa route vers les Emirats Aarabes Unis, avec Ianoukovitch supposé à son bord. Que Ianoukovitch ait réellement quitté l'Ukraine reste pourtant à confirmer.

Au matin du 22 février, le service d'ordre de Maïdan a annoncé qu'il montait la garde autour du Parlement et des autres institutions de l'Etat, tandis que les forces de sécurité du pouvoir avaient complètement abandonné le quartier du gouvernement à Kiev s'attendant apparemment à ce que les opposants le prennent d'assaut et y détruisent les bâtiments. L'utilisateur de Twitter Pedrodon a tweeté cette image des événements :

Les manifestants patrouillent à travers le quartier du gouvernement et gardent le parlement à Kiev

Un journaliste de Bruxelles, @Balliauw, a aussi ajouté cette image :

Les forces d'auto-défense de #Maïdan gardent le bâtiment de l'administration présidentielle à Kiev

Les forces gouvernementales et les vigiles privés avaient également abandonné la résidence de Mejygirya de Ianoukovitch, réputée pour son luxe. Le service d'ordre de Maïdan a encerclé la résidence pour en empêcher le pillage et la destruction, tout en en laissant l'entrée libre aux journalistes et simples citoyens (photos). Des centaines d'Ukrainiens ont visité les lieux tout au long de la journée, inaccessibles depuis des années aux gens ordinaires.

Pendant ce temps, les journalistes ont découvert un amoncellement de dossiers à moitié détruits de montages à grande échelle de corruption.

La reporter de RL/RFE Irtsia Stelmakh [ukrainien] a tweeté plusieurs photos de la résidence :

C'est ça, Mejygirya.

La journaliste Oksana Kovalenko a tweeté :

Trouvé des documents dans l'eau près du bord.

Pendant que de nombreux Ukrainiens visitaient Mejygirya, les députés siégeaient à la Rada et commençaient à voter sur un certain nombre de résolutions essentielles, dont le retour à une république parlementaire-présidentielle (avec des pouvoirs présidentiels limités), élisant un nouveau président du parlement et plusieurs fonctions gouvernementales importantes.

Au milieu de ces événements, une des télévisions pro-gouvernementales a diffusé une déclaration vidéo [ukrainien] du Président Ianoukovitch, qui l'aurait enregistrée à Kharkiv, la deuxième ville du pays, située dans le nord-est. Le président y accusait ses opposants de coup d'Etat, a appelé les protestataires “bandits”, et insisté qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher que le sang soit versé.

Il ajoutait également qu'il n'avait pas l'intention de quitter le pays.

A screencap of President Yanukovych' address released on Feb. 22, 2014

Capture d'écran de l'allocution du Président Ianoukovitch diffusée le 22 février 2014

Tandis que les députés de la Rada s'empressaient de quitter la formation politique du président, le Parti des Régions, plusieurs députés et gouverneurs régionaux pro-président et pro-Russes convoquèrent en hâte une assemblée à Kharkiv. La mesure a répandu l'inquiétude que des déclarations séparatistes ou fédéralistes ne soient adoptées, et des appels faits à la Russie de déployer des troupes en Ukraine.

L'assemblée s'est cependant contentée d’appeler [russe] à l'auto-organisation pour maintenir l'ordre dans les régions orientale et méridionale de l'Ukraine et à des relations amicales avec la Russie. En soutien, un rassemblement de masse des sympathisants du Parti des Régions a été organisé à Kharkiv. Si certains ont participé de leur plein gré, des médias ont rapporté des pressions sur les fonctionnaires et autres employés [ukrainien] pour s'y joindre.

Au même moment, un grand rassemblement de soutien à Euromaïdan eut aussi lieu à Kharkiv [vidéo]. @ShkvarkiUA a tweeté depuis le centre-ville :

Est et ouest sont UNIS ! LIBERTÉ POUR LE PEUPLE ! – scande Kharkiv.

Les militants d'Euromaïdan de Kharkiv ont aussi réclamé le renvoi de leur maire et de leur gouverneur séparatistes. Vers le soir, des informations sont apparues [ukrainien] que les deux hauts-fonctionnaires partaient pour la Russie, alors que le Service de Sécurité d'Etat d'Ukraine ouvrait une enquête criminelle sur leurs prétentions séparatistes.

Sans la soirée, le parlement à Kiev a voté la destitution du Président Ianoukovitch [anglais] et convoqué une élection présidentielle anticipée en mai. Les députés ont aussi approuvé la remise en liberté de l'ex-Premier Ministre d'Ukraine Ioulia Tymochenko, emprisonnée par Ianoukovitch en 2011.

Inutile de dire que la réaction de nombreux Ukrainiens a été l'allégresse. La journaliste et photographe de Kiev Bogdana Shevchenko a tweeté :

FÉLICITATIONS TOUT LE MONDE !!!! #Euromaïdan #Ianoukovitch

L'utilisatrice Olia Riabuha a tweeté :

Merci à tous qui avez combattu pour la justice ! Vive l'Ukraine ! Vivent les héros ! Aujourd'hui nous avons réussi !

Les réactions de la communauté internationale ont suivi. Le Secrétaire aux Affaires Etrangères britannique William Hague a tweeté :

D'accord avec le Ministre des Affaires Etrangères allemand Steinmeier pour soutenir le nouveau gouvernement d'Ukraine et pousser pour un paquet financier vital du FMI

Le Ministre polonais des Affaires Etrangères Radosław Sikorski a ajouté :

Il n'y a pas de coup d'Etat à Kiev. Les bâtiments gouvernementaux ont été désertés. Le président de la Rada a été élu légalement. Le Président Ianoukovitch a 24 heures pour donner force de loi à la constitution de 2004.

A 19h heure locale le 22 février 2014, on continue à ignorer où se trouve Viktor Ianoukovitch.

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