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Brésil : ‘Non à la Coupe du monde’, des banderoles au cyber-activisme

Catégories: Amérique latine, Brésil, Cyber-activisme, Gouvernance, Jeunesse, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Foto de protesto a 25 de janeiro de 2014. [1]

Photo de manifestation du 25 janvier 2014.

[Le reportage “Qui sont ceux crient ‘Non à la coupe du monde?’ [1]” de Ciro Barros a d'abord été publié par l'Agência Pública le 17 février 2014 et il est maintenant republié par Global Voices en deux parties. Vous pouvez lire ici la première [2] en français.]

Tous les liens mènent à des pages en portugais (Pt)

Depuis la rédaction du manifeste “Sans droits civiques, pas de Coupe du monde [3]”, mentionnée dans la première partie de ce reportage, la coordination des manifestations contre la Coupe du monde au Brésil se définit elle-même comme horizontale. Personne ne cherche à s'octroyer le rôle de leader ou d'organisateur du mouvement.

Tout le monde participe au choix des ordres du jour et des stratégies à mettre en place pour les actions prévues. Et le collectif continue à attirer de nouveaux acteurs, comme des membres du Syndicat des travailleurs du métro São Paulo, des membres de mouvements pour le logement tel que le Mouvements des Travailleurs Sans-Toits (MTST), des représentants du mouvement étudiant, du GAPP (Groupe de Soutien à la Protestation Populaire), un collectif qui porte les premiers secours aux manifestants blessés, entre autre. Un ensemble très hétérogène, essentiellement formé de mouvements urbains de gauche motivés par des sujets classiques (logement, santé, éducation, transport…) et d'autres venant du cyber-activisme, comme le démontrent les pages ouvertes sur Facebook “Contre la Coupe du monde 2014 [4]” et “Opération World Cup [5]”, du groupe Anonymous.

Sérgio Lima du Forum Populaire raconte :

Houve uma junção [com os grupos de ciberativismo]. Tinha uma rapaziada que já tinha criado um evento no Facebook chamando protestos contra a Copa e a gente se articulou com eles e chegamos com uma pauta mais concreta.

Il s'est opéré une jonction [avec les groupes de cyber-activisme]. Il y avait un groupe qui avait déjà créé une page sur Facebook appelant à des manifestations contre la Coupe du monde, on s'est entendu avec eux et on est revenu avec un ordre du jour plus concret.

Selon les activistes entendus pendant le reportage de l'Agência Publica, les groupes qui agissent en ligne ont deux fonctions essentielles : aider à divulguer les manifestations et transmettre la version des manifestants lors d'incidents qui provoquent des controverses. L'action du 25 janvier, par exemple, était initialement prévue à São Paulo, puisqu'elle profitait des cérémonies d'anniversaire de la capitale paulista. Mais la diffusion et la coordination d'informations sur les réseaux ont fini par multiplier les manifestations dans d'autres villes du pays. 

Le groupe en ligne s'est aussi organisé pour réfuter les accusations soutenant que les manifestants masqués et adeptes des stratégies des Black Blocs  [6]auraient incendié la voiture, une Coccinelle, du serrurier Itamar Santos, 55 ans. Les premières informations de la presse affirmaient que la voiture avait été incendiée par des adeptes de la tactique (des Black Blocs), mais les auteurs de la page “Contre la Coupe du monde 2014” ont mis en ligne une vidéo, trois jours après, montrant des images d'Itamar essayant de rouler par dessus un matelas en flamme, qui est finalement resté accroché sous la voiture et fut donc la cause de l'incendie.

Cependant, beaucoup de membres des mouvements sociaux associent les Anonymous et les autres groupes de cyber-activistes à des groupuscules conservateurs, voire à la police elle-même. Ils déclarent pourtant n'être affiliés à aucun parti.

Banderoles classiques

“S'il y a quelqu'un de droite ici, il est très bien caché”, affirme catégoriquement  Sérgio Lima. Maurício Carvalho, de Ensemble!, renchérit:

Nós estamos elaborando uma lista de reivindicações de direitos básicos de algumas bandeiras que estão envolvidas em seis eixos: saúde, educação, transporte, moradia, contra a ingerência da Fifa e contra a repressão. E todas essas bandeiras são históricas que a esquerda e os movimentos sociais construíram.

Nous sommes en train de faire une liste de revendications concernant les droits civiques de base et qui peuvent être classés selon six axes: la santé, l'éducation, les transports, le logement, contre l'ingérence de la Fifa et contre la répression. Et il est historiquement connu que toutes ces revendications ont toujours été menées par la gauche et les mouvements sociaux.

L'activiste Vitor Araújo, dit “Vitinho”, un autre membre de la coordination, a perdu un oeil pendant une manifestation le 7 septembre dernier, à São Paulo, alors qu'il couvrait les évènements pour TV Basta, une chaîne indépendante. Vitor affirme que c'est à cause d'une grenade de la Police Militaire, qui aurait explosé près de son visage, qu'il a perdu son oeil – un épisode qui l'a encouragé a continuer son action. 

Vitor Araújo, o “Vitinho”, perdeu um olho em uma manifestação do último dia 7 de setembro, em São Paulo, enquanto cobria a manifestação pelo Basta TV, um canal independente. [1]

Vitor Araújo, dit “Vitinho”, a perdu son oeil pendant une manifestation le 7septembre dernier, à São Paulo, alors qu'il couvrait les évènements pour la TV Basta, une chaîne indépendante.

Nosso movimento é horizontal e não partidário, nem ideológico. Existe muita discussão, muita gente com ideologia diferente, mas temos um único cunho que é ‘Se não tiver direitos, não vai ter Copa’: direito à saúde, à educação, à moradia, à segurança pública. São por esses méritos que cada uma das pessoas luta por um objetivo final.

Notre mouvement est horizontal et n'est affilié à aucun parti ni idéologie. Il y a beaucoup de discussions, beaucoup de gens avec des idéologies différentes, mais on a tous la même ligne, qui est : ‘Sans droits civiques, pas de Coupe du monde’: droit à la santé, à l'éducation, au logement, à la sécurité publique. C'est pout toutes ces valeurs que chacune de ces personnes luttent pour atteindre l'objectif final.

Ce que dit Vitor illustre bien la crise de représentation politique tant citée par les sociologues en ce moment. Il dit ne pas croire en ces méthodes politiques classiques, même s'il ne s'oppose en aucune façon à ceux qui continuent à militer au sein des partis. “Nous luttons pour des droits civiques de base, qui sont inscrits dans la constitution mais ne sont pas respectés. Il n'y a aucun lien avec les partis, ni les idéologies”, souligne-t-il, ajoutant qu'il avait déjà manifesté contre le fameux “Propinoduto Tucano” (dénonciation de corruption dans les contrats du métro ainsi que des trains de São Paulo) (NdT: la mairie était alors aux mains du PSDB, le Parti Socialiste Du Brésil, dont les membres sont surnommés “tucano”, le “propinoduto” pouvant être traduit par “aqueduc à pot-de-vin”) et qu'il n'y a aucun esprit partisan dans les manifestations contre la coupe du monde.

É simples: havia um acordo, que era o do governo montar toda uma estrutura em volta da Copa, dos estádios. Isso não aconteceu e é por isso que a gente luta. São sete anos e eles não cumpriram esse acordo.

C'est simple: il y avait un accord, qui disait que le gouvernement devait mettre en place tout une infrastructure autour de la coupe du monde, des stades. Ça ne s'est pas passé comme ça et c'est pour cette raison qu'on lutte. Cela fait déjà sept ans et ils n'ont rien fait en ce qui concerne cet accord.

Vitor nie aussi la présence au sein de l'organisation comme dans la conception des mouvements contre la Coupe du monde, tant de “personnes ouvertement de droite” que d'adeptes des Black Bloc. “Les manifestations sont annoncées sur internet, sur les réseaux sociaux, et elles sont ouvertes à tous. Ils (les manifestants) les voient et ils s'organisent entre eux pour y aller”, affirme-t-il. Il dit aussi comprendre l'attitude des Black Bloc comme une réaction à la violence policière. “Je peux te le dire, car j'ai déjà participé à beaucoup de manifestation ici à São Paulo et c'est toujours la Police Militaire qui commence la répression”, soutient-il.

Beaucoup de manifestations sous la bannière “Sans droits civiques, pas de Coupe du monde” sont prévues pendant les mois qui viennent. Chacune d'entre elles privilégiera l'un de ces droits qui, selon les activistes, sont niés à la population, ou bien des problèmes concrets occasionnés par la Coupe du monde. Le 22 février une action a eu lieu sur la Place de la République, dans le centre de São Paulo. Le sujet de celle-ci était l'éducation.

Avec prudence

L'ANCOP (Coordination Nationale des Comités Populaires de la Coupe du monde) soutient les actions réalisées par les collectifs, mais ne participe pas à leur coordination. Chaque comité populaire dans chaque ville-hôte dispose de son indépendance pour adhérer ou pas aux actions en cours. Marina Mattar, du Comité Populaire de São Paulo, dit:

O lema ‘Não vai ter Copa’ veio das ruas, das manifestações, não foi imposto por nenhum grupo político. A gente claro que aceita. Não temos a pretensão de ser vanguarda ou monopolizar a resistência à Copa. Mas no entendimento que a gente tem discutido bastante, o ‘Não Vai Ter Copa’ é muito mais uma palavra de ordem do que um objetivo concreto. Dentre os nossos objetivos não está não acontecer a Copa. Temos objetivos concretos, como reparações às vítimas da Copa.

Le slogan‘Pas de Coupe du monde’ est venu de la rue, des manifestations, il n'a été imposé par aucun groupe politique que ce soit. Bien sûr, on l'accepte. Nous n'avons pas la prétention d'être avant-gardiste ou de monopoliser la résistance à la coupe du monde. Mais pour ce que nous en comprenons pour en avoir énormément discuté, le slogan ‘Pas de coupe du monde’ est beaucoup plus un mot d'ordre qu'un véritable objectif concret. Que la coupe n'ait pas lieu ne fait pas parti de nos objectifs. Nous avons des objectifs beaucoup plus concrets, tel que la réparation des dommages causés aux victimes de la coupe du monde (Ndt: les nombreux “expulsés”, par exemple).

“On peut s'apercevoir qu'il s'agit de mouvements très hétérogènes, il y a de tout dans cette initiative. Elle surgit avec peu de débat politique et certains comités n'arrivent pas à entrer en contact avec ceux qui proposent, organisent. Ici à Porto Alegre on ne connait pas les gens qui proposent tout cela”, dit Claudia Favaro, du Comité Populaire de Porto Alegre, et elle ajoute:

Quando chamaram o ato do dia 25, não foi conversado com o Bloco de Lutas pelo Transporte Público e nem com o Comitê, que são os espaços onde os coletivos estão organizados. Aqui a gente não tem essa posição de que mobilização só se chama pela internet. E existe uma preocupação por parte da esquerda em geral da apropriação da pauta por setores mais conservadores. A gente se soma ao grito de ‘Não vai ter Copa’ entendendo que é uma amarra na garganta de um povo que já está oprimido há um tempo, mas ainda vemos com cautela.

Le jour où ils ont annoncé la manif du 25, ils n'ont prévenu ni le groupe de lutte pour le transport public ni le comité, les espaces habituels où les collectifs s'organisent. Ici on n'a pas cette posture de croire que la mobilisation ne s'organise que sur internet. Il y a bien cette préoccupation d'une partie de la gauche en général de voir la récupération du mouvement par certains secteurs plus conservateurs. On se joint au slogan ‘Pas de Coupe du monde’ avec la conviction qu'il sort de la gorge nouée d'un peuple opprimé depuis longtemps, tout en restant toujours prudent.

"Se não tiver direitos, não vai ter Copa!" [1]

“Se não tiver direitos, não vai ter Copa!” : slogan 

“Dans tous les débats qu'on a eu on trouve même assez nul que la discussion reste polarisée entre le ‘Oui à la Coupe du monde’ et le ‘Non à la Coupe du monde’ alors ça reste un peu superficiel comme discussion, on ne parle pas des violations (NdT: Aux droits de l'homme)”, opine Renato Cosentino, du Comité Populaire de Rio de Janeiro :

Tanto as violações diretas em decorrência da Copa como as de modelo de cidade que a Copa do Mundo faz parte. É isso que a gente vem tentando dar destaque. Mas é claro que a gente apoia o lema e as mobilizações contra a Copa.

Tant les violations directes aux droits de l'homme occasionnées par la Coupe du monde que celles du modèle des ville qui l'accueillent. C'est ça qu'on essaie de mettre en avant. Mais il est évident que l'on est aussi d'accord avec le mot d'ordre et avec les mobilisations contre la Coupe du monde. 

Lisez la première partie de ce reportage: Brésil: Qui sont ceux qui crient ‘Non à la coupe du monde? [2]

Le blog Copa Pública [7] est une expérience de journalisme citoyen qui montre comment la population brésilienne  a été affectée par les préparatifs de la coupe du monde 2014 – et de quelle manière elle est en train de s'organiser pour ne pas rester en dehors du coup.