Le Cameroun reste divisé malgré les grandioses festivités du cinquantenaire de la réunification

Reunification monument in Yaoundé, Cameroon. Photo released under Creative Commons by Steve Mvondo.

Le monument de la Réunification à Yaoundé, Cameroon. Photo publiée sous licence Creative Commons par Steve Mvondo.

Le mois dernier, le Président Paul Biya a annoncé que les célébrations longtemps reportées du cinquantenaire de la réunification [anglais] du Southern Cameroons britannique et de la République du Cameroun (ex-Cameroun français) auraient lieu à Buea, l'ancienne capitale du Southern Cameroons, le 20 février 2014. Avec trois ans de retard et à une date dépourvue de signification historique et de rapport tant avec l'indépendance du Cameroun français (1er janvier 1960) qu'avec la réunification des Camerouns britanniques et français (1er octobre 1961).

L'écrivain George Ngwane, comme de nombreux Camerounais, s'est interrogé sur la date choisie :

Le chef de l'Etat ne savait-il pas que le 1er octobre 2011 était la véritable date du 50ème anniversaire de la Réunification ? Devrons-nous nous souvenir du 20 février 2014 comme le jour où le Président Biya est venu à Buea ou comme celui de la célébration du Jubilé d'or de la Réunification ?

Comme on pouvait s'y attendre, les célébrations ont ranimé les questions sans fin sur l'état de l'union entre les Camerouns anglophone et francophone. Ainsi, l'utilisateur @mapetiteniche a tweeté une question présente dans beaucoup d'esprits :

Nous fêtons aujourd'hui les 50 ans de la réunification du Cameroun. Je me demande si on aurait davantage ou moins progressé si on avait été 2 pays séparés

Un article du blog Matango sur la marginalisation des Camerounais anglophones a fourni une réponse sans équivoque : les Sud-Camerounais britanniques ont reçu la portion congrue dans leur “mariage” avec la République du Cameroun francophone :

La marginalisation du Cameroun anglophone est une habitude, voire un système bien pensé qui est mis en place depuis fort longtemps et qui structure la gouvernance… Cette marginalisation continue et se manifeste dans les faits par une attention de moins en moins soucieuse du développement de cette région riche en ressources. Des richesses accaparées par la partie francophone. Dans les actes de nomination et de dotation en infrastructures, cette partie a toujours été reléguée en second plan dans les priorités de l’Etat « unitaire », estiment ces leaders. Que célébrons-nous donc ce 20 février 2014, si ce n’est pas une marginalisation de plus ?

Le statut du Cameroun anglophone à l'intérieur de l'union était très présent tout au long des célébrations. Une de ces occasions était une table-ronde télévisée au plan national sur la réunification, présidée à l'Université de Buea par le Premier Ministre Philemon Yang. Pendant le débat, un nationaliste sud-camerounais de premier plan, Mola Njoh Litumbe, a remis en question la légalité de l'union entre le Southern Cameroons et la République du Cameroun, et martelé que “la réunification tenait de la séduction illégitime – une relation de concubinage.”

Si son opinion a pu paraître extrême à certains, un consensus a émergé, notamment parmi les anglophones, que le temps était venu d'une réévaluation de l'union entre les deux Cameroun. Un avis repris par l'écrivain George Ngwane, avec l’argument suivant :

Tant que les êtres humains voudront repousser les limites de l'injustice aux frontières de la liberté, il y aura des mouvements internes dans et entre les nations jusqu'à une réorganisation constitutionnelle et la naissance de nouveaux Etats-nations.

A cette fin, il postule que les temps sont mûrs pour un nouveau référendum qui déterminerait l'avenir de l'ancien Southern Cameroons britannique :

Si donc l'avenir du Southern Cameroons a été décidé par un référendum (plébiscite) le 11 février 1961, et l'avenir du West Cameroon a été déterminé par un référendum le 20 mai 1972, ne serait-il pas logique que [pour] l'avenir du British Southern Cameroon, le Southern Cameroons, le Western Cameroon ou les Camerounais anglophones, et eux seuls, soient consultés, par un nouveau référendum ?

Héros oubliés et culte de la personnalité

Pour beaucoup de Camerounais, les célébrations du 50ème anniversaire étaient une occasion pour le pays de se réconcilier enfin avec sa décolonisation violente et de fêter ses héros nationalistes, dont beaucoup furent exilés ou assassinés pour avoir défié les colonisateurs. Hélas, à Buea ces figures nationalistes qui ont rendu possibles l'indépendance et la réunification ont été complètement ignorées. D'où la question du blogueur Tamaa Afrika :

Peut-on célébrer un événement aussi marquant d’un point de vue symbolique en ostracisant ceux-là même qui ont combattu pour que ce rêve devienne réalité ?

L'indifférence aux héros nationaux du pays a conduit à l'introspection et aux doutes.

Sur Twitter, @mosesngwanah observe :

Je n'ai pas vu une seule photo de John Ngu Foncha, le père de la réunification, à Buea. N'y a-t-il personne pour nous apprendre à saluer nos héros

Dans la même veine, @MasehMalong demande :

Réunification du Cameroun : où sont les portraits d'Um Nyobe, Foncha, Tandeng Muna, Ouandié, Moumié, Assalé, Endeley, Ahidjo, Fonlon, Ntumazah ?

Au lieu de quoi, les rues de Buea étaient pavoisées de portraits du Président Biya et de la Première Dame Chantal Biya, d'où les lamentations de @ChiefBisongEta1 :

Les photos de Biya et sa femme prennent la place d'honneur à Buea au lieu de celles des vrais héros de la réunification du Cameroun célébrée demain.

Des banderoles allaient jusqu'à acclamer Biya, qui venait à peine de débuter sa carrière dans la fonction publique en 1961, comme “le véritable père de la réunification“.

Le discours à la nation du 20 février 2014 du président Biya, ne mentionne les noms d'aucun de ces héros, pas même Ahmadou Ahidjo, président de la République du Cameroun, et John Ngu Foncha, premier ministre du Southern Cameroons, qui ont négocié les termes de la réunification de 1961.

Sur fond de photo de ces dirigeants historiques, @AlainNdom a écrit sur Twitter :

La négligence envers les architectes de l'indépendance et de la réunification du Cameroun a conduit le journal Le Messager à regretter l'occasion manquée à Buea.

Lors de son discours du jubilé, le Président Biya a mollement tenté de réconcilier les habitants de l'ex-Southern Cameroons britannique en prononçant une partie de son allocution en anglais, une rare prouesse qu'on peut compter sur les doigts d'une seule main depuis son accession au pouvoir en 1982. Les réactions à cette attention allaient du cynisme à la pure moquerie.

@zuzeeko a écrit :

Le Président du Cameroun, un pays bilingue, s'adresse à la nation en anglais. Chacun s'émerveille. Mdr. Le mec est un policien astucieux.

@Cameroon_Com d'ajouter :

Ecoutez Paul Biya parler anglais comme quelqu'un qui a bu deux bouteilles de [cognac] Courvoisier à la cérémonie de réunification

Le monument de la réunification

Un des sommets des célébrations du jubilé d'or a été l'inauguration par le Président Biya d'un monument à la réunification à Buea. Comme pour le reste des festivités, il y a eu peu de consensus sur sa forme ou sa signification historique – un fossé lui aussi reflété sur Twitter.

Ainsi, tandis que @peyceETO s'enthousiasme que “Le Monument est beau!!”, @TheGodBanker le voit d'un autre oeil :

Un avis partagé par @KathleenNdongmo :

Le monument de la réunification à Buea Cameroun. A part sa laideur, combien cela a-t-il coûté au contribuable ?

Au final, la pompe et le grand spectacle qui ont caractérisé les célébrations de la réunification n'ont guère pu cacher les divisions linguistiques et politiques au Cameroun. Ce qui a amené des observateurs comme l'historien camerounais Achille Mbembe à dédaigner complètement tout l'événement. Dans un entretien publié par Tamaa Afrika, Mbembe l'a qualifié ainsi :

Une distraction de plus, dans un pays dominé par une pseudo-élite sans idée, sans imagination ni véritable conscience historique.

Fierté nationale malgré tout

Malgré les critiques sur la gestion de l'événement par le gouvernement Biya, plus proche du couronnement d'un monarque que d'une commémoration de la réunification, de nombreux Camerounais étaient sincèrement enthousiastes et fiers du chemin parcouru depuis les débuts tumultueux de la république binationale du Cameroun en 1961.

D'autres ont saisi l'occasion pour acclamer particulièrement le Président Biya de diriger le Cameroun d'une main ferme. @flpms_ a écrit :

Une vision partagée par l'éminent musicien camerounais @JoviLeMonstre :

Vive le Président Paul Biya. Nous sommes très reconnaissants et redevables pour la Paix. Cameroun A Vie. Cameroon Cameroun

@ChouchouAzonto conclut en répétant le mot de la fin du Président Biya à Buea :

Vive l'indépendance Vive la réunification Vive le Cameroun Je vous invite maintenant à chanter notre hymne national

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