“Blackout” de la presse du Myanmar, en soutien aux journalistes en prison

Myanmar journalists joined a protest in Yangon over the jailing of a fellow journalist. Photo by Manaw Htun, Copyright @Demotix (1/7/2014)

Les journalistes du Myanmar manifestent à Rangoon contre l'arrestation d'un de leurs collègues journalistes. Photo de Manaw Htun, Copyright @Demotix (1/7/2014)

[Sauf indication contraire, les liens dirigent vers des pages en anglais]

Le 11 avril, plusieurs quotidiens et journaux du Myanmar ont publié une page vide en couverture de leurs publication pour protester contre l'arrestation et la détention de journalistes par le gouvernement.

Le Réseau des Journalistes du Myanmar fait savoir que cinq journalistes sont actuellement détenus au Myanmar, malgré l'engagement du gouvernement de rétablir la liberté d'expression des médias dans le pays.

La manifestation a été organisée suite à la condamnation à un an de prison par un tribunal local d'un journaliste de la Democratic Voice of Burma (DVB), une publication indépendante sur internet, pour avoir ‘pénétré sans autorisation dans un bâtiment du gouvernement et gêné le travail d'un fonctionnaire’. L'affaire concerne Zaw Pe, un journaliste qui couvrait un programme de bourses d'études financé par le Japon en 2012. Il a été accusé de violation du domaine public alors qu'il essayait de visiter et de filmer un bureau du Ministère de l'Education du centre du Myanmar pendant les heures de travail.

Lors d'un entretien avec Irawaddy.com, le responsable de DVB, Toe Zaw Latt, estime que cette condamnation est “scandaleuse”:

Il filmait cette vidéo pendant les heures de bureau. Il est scandaleux qu'il soit condamné pour violation de l'espace public… On peut s'interroger sur l'état de la liberté de la presse dans le pays.

Ce n'est pas bon signe pour la liberté de la presse, si les journalistes sont poursuivis pour couvrir l'information pendant les heures de bureau. On s'inquiète que de tels actes puissent être le signe de nouvelles restrictions sur la liberté de la presse, comme par le passé.

Phoe Thauk Kyar, rédacteur en chef du quotidien New Golden Land, déclare qu'une interview menée par un organe de presse ne doit pas être considérée par les fonctionnaires comme perturbatrice ou criminelle:

C'est tout à fait injuste. Le seul fait de poser une question ne perturbe pas les fonctionnaires. C'est la preuve que le gouvernement veut faire pression sur les médias.

Ye Myint Pe, rédacteur en chef du quotidien le Standard Time, craint que ce verdict “injuste” ne crée un précédent pour tous ceux qui travaillent dans le secteur des médias:

Cette [arrestation] injuste [crée] un précédent pour les médias. Les acteurs des médias doivent s'y préparer. L'ordre voulu par la loi mène au désordre. Les suppressions et les injustices sont toujours de mise. C'est la base qui va en souffrir le plus.

Thein Nyunt, parlementaire, craint que le problème puisse ternir l’image des professionnels des médias:

La condamnation de journalistes ne devrait exister qu'après consultation du Conseil de la Presse, à l'heure où des décrets de lois sur les médias vont être votés. Je souhaite ajouter que cela peut ternir l'image des médias et des professionnels des médias alors que le quatrième pouvoir joue un rôle primordial dans la transition démocratique.

La loi dont il est question a récemment été mise en place par le gouvernement dans le cadre de la transition du Myanmar vers la démocratie. Mais pour le site Irrawady, la détention de journalistes sur des accusations fallacieuses pourrait tout simplement signifier que le pays fait un retour en arrière vers les “jours sombres de la liberté de la presse”.

La promesse du Président Thein Sein de lever la censure et de faire respecter la liberté de la presse sonne creux. Les réformes en Birmanie stagnent ou même régressent. Nous demandons au gouvernement de libérer immédiatement tous les journalistes détenus.

Avant Zaw Pe, Ma Khine, un journaliste de Eleven Media, a été condamné à trois mois de prison en décembre dernier, accusé d'avoir illégalement utilisé des termes grossiers lors d'une enquête journalistique sur la corruption judiciaire. D'autre part, le directeur général et quatre journalistes de l'hebdomadaire Unity Journal sont toujours en prison et se sont vus refuser une libération sous caution, accusés d'avoir violé la loi sur le secret défense (une loi qui date de l'époque coloniale) en soumettant une demande d'enquête sur la production secrète d'armes chimiques par les militaires.

Benjamin Ismaïl, le directeur du bureau asiatique de Reporters Sans Frontières, se joint aux groupes des médias du Myanmar pour demander la libération des journalistes détenus:

Il est inacceptable que des fonctionnaires locaux puissent faire obstacle au travail d'un journaliste et le fasse emprisonner sous prétexte que cela les dérange. Nous demandons aux autorités locales de libérer Zaw Phay et au gouvernement de s'assurer que la liberté des médias est respectée de la même manière partout, sans faire de différence entre Rangoon et le reste du pays.

Shawn Crispin du Comité de Protection des Journalistes met en garde le gouvernement du Myanmar sur le fait que la bonne volonté dont il a fait preuve pour la mise en place des réformes démocratiques depuis 2011 est en train de s'éroder doucement:

La condamnation actuelle du journaliste Zaw Pe est le dernier indice qui montre que la réforme démocratique promise en Birmanie fait rapidement marche arrière.

La condamnation de Zaw Pe semble représentative de la résistance grandissante des fonctionnaires quant au respect des droits des professionnels des médias. Lors d'un récent forum public, le Ministre Délégué à l'Information et le porte-parole présidentiel UYe Htut ont critiqué les journalistes de l'Associated Press pour la couverture médiatique faite sur les tensions ethniques dans l'état Rakhine. L'Associated Press avait rapporté que la violence avait entraîné la mort de dizaines de musulmans.

Le problème qui se pose avec l'Associated Press est qu'il y a eu des articles publiés… sans qu'ils soient validés par le gouvernement… Et même si l'on se réfère au code de conduite de l'agence AP, il y a des critères très stricts sur le processus de publication d'articles non vérifiés; ils ne respectent donc pas leurs propres règles sur l'utilisation de leurs sources.

La durée des visas des professionnels des médias étrangers au Myanmar a été réduite à la suite des incidents.

Dans un éditorial, Eleven Media résume l'état de la liberté d'expression des médias au Myanmar:

Actuellement les journalistes au Myanmar doivent pratiquer l'autocensure, même si leurs articles ne sont plus soumis à la censure avant publication. Un journaliste peut être mis en détention à n'importe quel moment pour son article. Il y a trop de lois que les autorités peuvent faire valoir pour contrôler la liberté d'expression. Il y a une loi comme la Loi sur les services secrets birmans ou d'autres lois qui peuvent envoyer les journalistes en prison en les accusant de diffamation, violation de l'espace public, utilisation d'un langage grossier, et trouble du travail des fonctionnaires. Mais il y a peu de lois pour protéger la liberté d'expression des journalistes.

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