Bons pour le travail, les bas salaires, et sans droits : les clandestins aux Etats-Unis

[Tous les liens mentionnés sont en anglais]

Cet article, écrit par Peter Watt, a été publié à l'origine sur le site de NACLA (North American Congress on Latin America, le Congrès Nord-Américain sur l'Amérique Latine). Peter Watt enseigne les études d'Amérique Latine à l'université de Sheffield. Il est le co-auteur du livre Drug War Mexico: Politics, Violence and Neoliberalism in the New Narcoeconomy (Zed Books 2012).

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Image du Seattle Times.

Pablo a 14 ans et cueille des fruits à l'est de l'Etat de Washington. Racontant comment il a quitté le Mexique pour les Etats-Unis avec son père, il se décompose et commence à pleurer à chaudes larmes, incapable de s'arrêter. Un médecin bénévole travaillant avec les “clandestins” non assurés estime que Pablo souffre d'un stress post-traumatique, un trouble habituellement rencontré par les vétérans de l'armée, mais qui augmente parmi les migrants sans papiers mexicains. Pablo et son père, qui ne souhaitent pas migrer vers le nord, font partie des deux millions de réfugiés économiques qui quittent leur pays.  

Tout commence par un voyage de plusieurs centaines de kilomètres, par tous les temps, sur le toit d'un train mexicain. Un trajet s'accompagnant de la peur constante et incessante d'être agressé et kidnappé par les gangs armés comme les Zetas, qui travaillent avec la police. Une fois arrivés au nord de la frontière, ils tentent désespérément d'échapper à l'attention indésirable des soldats des cartels, qui cherchent à recruter par la force de nouveaux trafiquants de drogue et assassins. Ils traversent ensuite la frontière hautement militarisée et errent dans le désert pendant des jours, sachant qu'être perdu ou être à court d'eau est synonyme de mort atroce. Même dans le désert, des gangs criminels sont à l'affût de migrants malchanceux. Tout comme l'importante force de police américaine, la Border Patrol. Au-delà de la frontière, 1 500 kilomètres supplémentaires restent à parcourir à l'est de l'Etat de Washington pour rejoindre quelques membres de la famille, qui gagnent un salaire de misère en effectuant les vendanges pour l'industrie du vin de l'Etat, actuellement en plein essor. Le moindre dérapage ou malchance se traduira par une expulsion, ou au moins une séparation avec un père qui sera peut-être détenu dans un centre de détention privé pendant des mois. Les invisibles, les travailleurs des classes inférieures du Mexique et des Etats-Unis, ont rarement été aussi convoités, mais pour les plus mauvaises et les plus perverses des raisons.

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Vendanges à Sunnyside, Etat de Washington. Image de Goodfruit.com.

Les Etats-Unis détiennent la plus grande main-d'oeuvre d'immigrés au monde. Les immigrants constituent 14% des travailleurs des Etats-Unis et 20% de la main d'oeuvre à bas salaire. Les immigrants mexicains des Etats-Unis, qui forment le plus important groupe d'immigrants du pays, comprennent également le plus grand nombre de travailleurs sous-payés dans l'économie la plus puissante du monde. Actuellement, jusqu'à 52% des 11,1 millions de migrants clandestins des Etats-Unis sont nés au Mexique.

En 2003, les consommateurs des Etats-Unis nés au Mexique ont contribué à hauteur de 395 millions de dollars à l'économie américaine. Néanmoins, le gouvernement américain ne dispose que de peu d'obligations légales pour fournir ne serait-ce que des avantages sociaux minimums aux immigrants sans-papiers. Ainsi, alors qu'ils peuvent produire et dépenser des milliards aux Etats-Unis, l'Etat ne leur propose que peu de choses en retour, une situation qui récompense à la fois le gouvernement et les employeurs, mais qui s'avère désastreuse pour le travail clandestin.

La contribution à l'économie américaine ne serait pas possible sans une main d'oeuvre parmi laquelle des millions de personnes ont failli être emprisonnées, expulsées, violentées, et mourir. Considérés comme parmi les plus dangereux au monde, les voyages sur les toits de trains de marchandises mexicains se transforment dorénavant en un rite d'initiation particulièrement vicieux. Un rite de passage vers un rêve américain brisé dans lequel travailler dans les champs, comme concierges ou être exploités dans les industries de services, bien souvent pour un salaire en-dessous de la rémunération minimale, est préférable à des opportunités encore plus limitées en Amérique Centrale et au Mexique.

Les migrants, loin de rechercher des aides financières, entrent massivement aux Etats-Unis afin d'échapper à la misère noire au Mexique. Pourquoi risquer tous ces dangers lors de leurs trajets vers le nord, supporter des conditions de travail humiliantes et de bas salaires, avec la possibilité d'être arrêté, incarcéré, voire d'être expulsé, si ce n'est par désespoir ? D'un côté, la politique américaine encourage l'intégration de marchés au niveau mondial et la libre circulation de biens, mais criminalise ceux qui tentent de circuler aussi librement que les capitaux étrangers. En résumé, une grande partie de l'histoire des migrants mexicains aux Etats-Unis peut être perçue comme une criminalisation de la pauvreté.

La récente grève de la faim dans le centre de détention privé de Tacoma, au nord-ouest de l'Etat de Washington, est la parfaite illustration de cette tendance. Cette grève fut déclenchée à l'initiative de ceux dont le crime est d'être pauvres, afin de dénoncer le traitement lamentable des détenus et leur incarcération interminable. En plein cœur de la crise financière américaine, la main d'oeuvre clandestine nécessaire est désormais excédentaire. En réponse à cela, la président Obama a expulsé 2 millions de migrants, soit bien plus que n'importe quel autre président américain. En outre, les centres de détention privés comme celui de Tacoma – dans une logique incroyablement cynique de la fin du capitalisme – réalisent désormais d'enviables profits (grâce à la générosité des contribuables) sur le dos de la main d'oeuvre restante.

Un grand nombre de personnes expulsées vers le Mexique (et ailleurs) ont vécu aux Etats-Unis depuis leur enfance et ne possèdent plus aucun lien avec leur pays, hormis leur citoyenneté. Ils ont grandi et ont fondé une famille. Sous le programme d'expulsion Secure Communities créé sous l'administration Bush et développé sous Obama, 39% de ceux emprisonnés pour des infractions à l'immigration ont des époux ou des enfants (voire les deux) de nationalité américaine. Une situation qui entraîne le plus souvent la rupture et la ruine des familles chaque fois qu'un autre gagne-pain “clandestin” est expulsé.

Il y a près de 120 ans, l'organisateur politique A. L. Montalvo déplora la discrimination raciale dont souffraient les travailleurs américano-mexicains, ajoutant qu'ils étaient traités comme des “bêtes de somme”. Il déplorait ainsi que les immigrants “soient assez bons pour travailler mais pas assez pour faire valoir leurs droits civiques”, une plainte qui résonne aujourd'hui avec une alarmante intensité.

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