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Ça n'arrive qu'en Thaïlande : le coup d'Etat qui ne dit pas son nom

Catégories: Asie de l'Est, Thaïlande, Dernière Heure, Droits humains, Gouvernance, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
The Royal Thai Army declares martial law across the crisis-gripped kingdom and tells the nation not to panic as the announcement is meant to restore order. Photo by Vinai Dithajohn, Copyright @Demotix (5/20/2014) [1]

L'Armée Royale de Thaïlande décrète la loi martiale dans le royaume englué dans la crise politique et demande à la nation de rester calme, l'instauration de la loi martiale ayant pour seul objet de rétablir l'ordre. Photo de Vinai Dithajohn, Copyright @Demotix (5/20/2014)

[Sauf indication contraire, les liens dirigent vers des pages en anglais]

L'Armée Royale Thaïlandaise a instauré la loi martiale en Thaïlande avec l'intention de mettre fin aux violences et au conflit politique qui secouent le pays depuis l'année dernière. Mais les militaires soutiennent que leur intervention n'est pas un coup d'Etat [2]. De plus, ils invitent [3] les responsables des forces politiques antagonistes à se rencontrer [4] pour résoudre la crise politique [5] [fr].

La Thaïlande a déjà subi 18 coups d'Etat et le dernier, en 2006, a chassé le Premier Ministre Thaksin Shinawatra.

La loi martiale a été décrétée quelques semaines après que la soeur cadette de Thaksin, la Première Ministre Yingluck Shinawatra, a été destituée de son poste par la Cour Constitutionnelle.

L'opposition, qui organise des manifestations [6] de rue et provoque le gouvernement depuis le mois de novembre, accuse la famille de Thaksin de corruption et d'abus de pouvoir. L'opposition pense que le processus électoral est faussé [7] [fr] par l'influence de Thaksin et demande qu'un Conseil du Peuple non élu soit nommé pour mettre en place des réformes politiques. De leur côté, les sympathisants du parti de Thaksin soutiennent l'organisation de nouvelles élections en juillet [8] [fr] ou en août pour sortir de l'impasse.

En invoquant des menaces pour la sécurité nationale et pour éviter des effusions de sang, les militaires ont décidé d'intervenir en instaurant la loi martiale.

Restez calmes. Ce n'est pas un coup d'Etat.

L'armée a assuréé que l'activité du gouvernement restait normale [9]. Elle a déclaré que la Constitution et le gouvernement civil continuaient à fonctionner. Ce qui a été mis en place c'est une Commission de Maintien de la Paix et de l'Ordre dont la mission principale est d'assurer la sécurité des Thaïlandais et de l'Etat.

Des analystes politiques étrangers parlent de l'intervention militaire comme d'un demi-coup d'Etat et d'un coup d'Etat en douceur. Mais est-ce vraiment un coup d'Etat ? Isriya Paireepairit est sûr qu'il s'agit d'une intervention militaire [10] :

L'armée a insisté pour dire que ce n'est pas un coup d'Etat et que le gouvernement actuel reste en place.

Pratiquement, même si ce n'est pas un ‘coup d'Etat officiel’, c'est à l'évidence une ‘intervention militaire’. L'actuel gouvernement Pheu Thai reste en place mais son pouvoir sur les questions de sécurité est transféré à l'armée. Certains parlent de ‘coup d'Etat fantôme’ ou de ‘coup d'Etat déguisé’.

‘Ceci n'est pas une pipe’ – Michel Foucault tenant une pipe, ‘Ceci n'est pas un coup d'Etat’ l'armée thaï fusils à la main #fbstatus [11] #มิตรสหายท่านหนึ่ง [12]

En signe de progrès démocratique, le Myanmar a abandonné la loi martiale, alors que la Thaïlande vient de décréter la loi martiale. #Thailand [14]

Pour un groupe d'universitaires appelé Nitirat ou Les Juristes Eclairés, la loi martiale est inutile [16] puisque le gouvernement peut prendre des mesures d'urgence sans avoir besoin de donner des pouvoirs élargis aux militaires :

Si l'on considère ce qui s'est passé, les manifestations politiques de Bangkok et de ses environs ne s'étendent pas à tout le pays. La promulgation de la loi martiale sur tout le pays est donc abusive et incompatible avec les principes de réalité et de proportionnalité qui exigent que l'on ne puisse limiter les droits et libertés qu'en cas de nécessité absolue.

La Commission Asiatique des Droits Humains rappelle à l'armée thaïlandaise que rien de normal [17] n'existe sous un régime de loi martiale :

La Commission Asiatique des Droits humains désapprouve sans réserve l'idée que la loi martiale puisse ou doive être normalisée… Il n'y a rien de normal avec la loi martiale, ni avec les conditions de vie politique ou juridique qu'elle engendre.

Tout en reconnaissant que les solutions proposées par les principaux partis politiques pour en finir avec la crise ne sont pas efficaces, Atiya Achakulwisut ne pense pas [18] que la loi martiale puisse marcher :

Bien que ce soit une solution commode à court terme, l'intervention de l'armée ne pourra jamais résoudre les conflits politiques dans lesquels nous sommes empêtrés. En réalité, comme le prouve le dernier coup d'Etat, une intervention armée peut régler le conflit sur le court terme, mais finit par créer des sentiments profonds de division électorale qui perdurent.

Nous sommes bloqués dans une situation critique qui voit des groupes de personnes qui suivent des objectifs opposés, à cause d'une solution militaire à court terme. Nous n'avons aucun intérêt à refaire la même erreur.

La censure des médias

La loi martiale en Thaïlande, qui remonte à 1914, donne aux militaires le pouvoir de contrôler la presse. C'est ce pouvoir que l'armée a exercé aujourd'hui en ordonnant la fermeture de 14 chaînes de télévision et stations de radio locale et en leur demandant de diffiuser les communiqués de l'armée. L'armée dit [19] qu'elle fait appel à leur “coopération” [20] pour ne pas aborder les problèmes politiques

afin que les auditeurs et téléspectateurs aient des informations justes sans une appréciation qui pourrait créer de l'incompréhension, envenimer le conflit, et entraver le rôle des responsables du maintien de la paix.

Khaosod English critique la prise de contrôle [21] de plusieurs salles de rédaction : 

Les militaires ont précisé avec insistance que ce n'était pas un coup d'Etat. Mais coup d'Etat ou non, la loi martiale restreint déjà un certain nombre de droits et libertés garantis par la constitution thaïlandaise.

Il est clairement dit que la loi martiale ne peut être décrétée par les militaires en Thaïlande qu'en cas de guerre ou d'insurrection. Ce n'est pas le cas en Thaïlande actuellement.

Les médias thaïs méritent de pouvoir agir sans censure ni intimidation. La loi martiale thaï ne fait qu'empirer la fragilité de la liberté des médias en Thaïlande.

Benjamin Ismail, responsable de Reporters Sans Frontières pour l'Asie et le Pacifique, qualifie l'action de l'armée d’illégale [22] :

L'intervention des militaires sur les stations de télévision a été menée de façon tout à fait illégale… Si l'armée veut que les médias informent le public, il lui suffit de leur envoyer ses communiqués de presse. Elle n'a pas besoin d'occuper les salles de presse.

Richard Bennett, directeur d'Amnesty International pour l'Asie, demande instamment à l'armée de respecter l’indépendance [23] des médias :

L'action des militaires pour imposer des restrictions sévères à l'indépendance des médias est à déplorer. La sécurité nationale ne doit pas être utilisée comme prétexte pour réduire au silence l'exercice pacifique de la liberté d'expression, et nous demandons instamment aux militaires de laisser aux médias en Thaïlande l'espace nécessaire à l'exercice de leur travail légitime.

Même les réseaux sociaux sont menacés :

Les militaires thaïlandais ont donné de nouveaux ordres limitant ce que les médias peuvent ou ne peuvent pas faire. Les médias sociaux sont maintenant concernés #Thailand [14]

Manifestations contre la loi martiale

Des manifestations ont été organisées [25] pour demander aux militaires de regagner leurs casernes et de révoquer [26] la loi martiale. Par ailleurs, les manifestants anti-gouvernementaux ont promis [27] d'organiser de grands rassemblements dans les prochains jours pour forcer au remplacement du gouvernement civil.

Manifestation contre la loi martiale maintenant, devant le Centre d'Art et de Culture. #bkk [28] pic.twitter.com/scd2ngwYD9 [29]

Les gens allument des bougies devant le Musée d'Art Moderne de Bangkok et scandent ‘non à la loi martiale. Non au coup d'Etat. Les soldats à leurs casernes. Elections pic.twitter.com/zzPJBDeAfV [31]

Non à la loi martiale. Manifestation pacifique contre l'utilisation par l'armée de la loi martiale à Bangkok aujourd'hui. pic.twitter.com/z7GOAcy6rt [33]

Coup d'Etat à l'ère des médias sociaux

A Bangkok resident poses for a photograph with Thai soldiers. Photo by Vinai Dithajohn, Copyright @Demotix (5/20/2014) [35]

Une habitante de Bangkok pose pour se faire photographier avec les soldats thaïlandais. Photo de Vinai Dithajohn, Copyright @Demotix (5/20/2014)

Paradoxalement, beaucoup de Thaïlandais font des selfies avec les soldats à Bangkok, la capitale du pays. Coconuts Bangkok fait cette remarque [36]:

Bangkok s'est réveillée dans un terrible embouteillage provoqué par les troupes armées qui stationnent sur les grandes artères de la ville.

Le long des lignes du BTS (train de banlieue), Coconuts a remarqué un certain nombre de militaires qui montaient la garde auprès de leurs véhicules blindés. A vrai dire, ils n'étaient pas très menaçants et les habitants de Bangkok n'hésitaient pas à s'en approcher pour prendre les selfies d'usage.