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Colombie : Espoirs d'une fin de la guerre avec les FARC ?

Catégories: Amérique du Nord, Amérique latine, Colombie, Etats-Unis, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique

Cet article est une publication conjointe de NACLA [1] (Congrès nord-américain sur l'Amérique latine) et Foreign Policy in Focus [2], et il a été publié initialement le 4 Juin 2014.

ColombiaNACLA

Mauricio Moreno / Flickr [3]

La Colombie a été le théâtre des violences les plus extrêmes et brutales dans l'histoire de l'Amérique latine. Un conflit qui a duré un demi-siècle a coûté la vie à près 250.000 femmes, hommes et enfants, et a provoqué le déplacement de près de six millions de personnes. Les États-Unis ont financé une large partie du conflit au cours des dernières années, en investissant [4] 9 milliards de dollars depuis 2000, principalement pour renforcer les forces de sécurité de Colombie.

Pourtant, la paix pourrait être proche. Le 16 mai, le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie [5] (FARC) [fr], le plus important mouvement de guérilla du pays, ont signé un accord préliminaire [6] sur le troisième des cinq points de négociation de leurs pourparlers de paix en cours à La Havane [7] [fr] : les drogues illicites. L'accord propose un plan viable pour les FARC pour mettre fin à leur implication dans le commerce colombien de la drogue, des solutions de rechange pour les cultivateurs à petite échelle de plantes hallucinogènes destinées aux marchés de drogues illicites et des réformes politiques significatives au niveau national pour résoudre les problèmes de consommation de drogues et de santé publique.

Une annonce faite plus tôt le même jour a elle aussi soulevé de l'espoir. Suite aux pressions nationales et internationales, y compris une lettre [8] inter-parlmentaire signée par 245 représentants des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Irlande – les FARC ont annoncé un cessez-le-feu unilatéral; alors que le gouvernement soutient qu'il ne mettra pas un terme aux opérations militaires jusqu'à ce qu'un accord soit signé et que le cessez-le-feu temporaire des FARC soit terminé le 28 mai. Cet acte est encourageant car il va à la fois diminuer significativement la violence [9] et devrait accroître la confiance à la table de négociation. Selon [10] le Comité international de la Croix-Rouge, des centaines de milliers de Colombiens continuent à être affectés par le conflit chaque année. Assurer que toutes les parties respectent le droit humanitaire international est essentiel et devrait contribuer à faire avancer les pourparlers de paix.

Des bouleversements politiques, cependant, menacent de perturber ces progrès. Au premier tour des élections présidentielles en Colombie, le 25 mai, le président en exercice, Juan Manuel Santos [11] [fr], qui a commencé les pourparlers à la consternation de nombreux anciens alliés politiques, est arrivé deuxième derrière le conservateur et tenant d'une ligne dure, Oscar Ivan Zuluaga [12] [fr]. M. Zuluaga qui est allié avec l'ancien président (et maintenant sénateur élu) Alvaro Uribe [13] [fr], a clairement fait savoir son scepticisme à l'égard des négociations. Bien qu'il ait adouc [14]i [es] sa position avant le second tour des élections, son opposition depuis longtemps au processus demeure préoccupante. M. Santos et M. Zuluaga s'affronteront lors d'un second tour le 15 Juin. [Juan Manuel Santos a été réélu président le 15 Juin 2014]. 

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L'accord sur la drogue – bien qu'il s'agisse encore d'un “accord partiel”, car aucun des accords individuels n'est définitif jusqu'à ce que tous les autres points de l'ordre du jour ne le soient, n'en n'est pas moins historique. Le langage utilisé par les deux parties reflète un recul significatif de l'approche prohibitionniste de la politique antidrogue. Adoptant certaines des propositions de la partie grandissante de l'opinion qui appelle à une réforme de la politique de la drogue, l'accord reconnaît que des “alternatives fondées sur des preuves” aux politiques actuelles sont nécessaires pour résoudre les problèmes qui peuvent être associés à la consommation de drogue ainsi que la distinction entre les cultures pour le marché illicite et le trafic de drogue.

En outre, il [l'accord] appelle à l'expansion des programmes  de cultures de substitution, tout en reconnaissant que de nombreuses collectivités rurales dépendent de la culture de la coca et du pavot à opium pour leur subsistance économique. Cependant, il stipule que “les mesures de soutien … seront conditionnées à … des accords sur la substitution sans replantation,” ce qui implique que les cultivateurs devront renoncer à leurs revenus provenant des cultures actuelles avant de voir les avantages des cultures alternatives. L'expérience en Amérique latine a montré que lier l'aide à une éradication totale nuit à la possibilité de développer des alternatives durables, car les cultivateurs n'ont pas de sources de revenus viables entre la fin des cultures pour le marché illicite et le moment où d'autres moyens de subsistance alternatifs deviendront effectifs. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que de nombreux producteurs reviennent à la culture de la coca et du pavot. Un modèle plus efficace serait de leur assurer une période d'élimination progressive ou d'offrir des subventions aux cultivateurs jusqu'à ce que les moyens de subsistance alternatifs significatifs soient mis en place.

Pourtant, alors que le séquençage approprié sur la réduction des cultures pour le marché illicite devra être revu, les parties se sont accordées sur la participation locale. Opter pour ce qu'un analyste colombien décrit [15] [es] comme la “construction de l'Etat de la base”, le programme de développement devrait reposer essentiellement sur ​un engagement actif et avec le soutien des communautés locales pour assurer la durabilité de leur participation et, donc, du programme.

Le point essentiel réside dans la concession du gouvernement à dé-prioriser-même si ce n'est pas entièrement- la pulvérisation aérienne destructrice et inefficace d'herbicides sur les cultures de coca, en optant d'abord pour le développement alternatif et l'éradication manuelle avant la pulvérisation des cultures. En plus d'une décennie de son utilisation en Colombie, la pulvérisation aérienne n'a servi qu'à disperser les cultures de coca, détruire les moyens de subsistance des agriculteurs pauvres, et susciter une méfiance locale envers les autorités gouvernementales, étant donné que les seuls contacts que de nombreuses communautés ont eu avec l'Etat ont été les occasionnelles visites d'un avion procédant à une pulvérisation aérienne.

L'accord porte également sur la consommation de drogues, un problème généralement considéré comme en dehors du cadre des pourparlers de paix. Bien qu'on ait peu de détails sur ce point, lier cette question à des pourparlers de paix permettra de continuer les débats au niveau régional sur la réforme de la politique de la drogue. Reconnaitre que la politique de la drogue doit être fondée sur le respect des droits de l'homme et la santé publique est une contribution précieuse.

Mais un accord complet, s'il est finalement signé, ne sera pas une panacée. Sortir les FARC de la culture et du trafic des stupéfiants ne suffira pas à résoudre à lui seul le problème de la drogue ou de la violence qui y est associée. Aussi longtemps qu'il y aura une demande mondiale – et notamment la demande des États-Unis – les organisations criminelles vont trouver un moyen de l'approvisionner. En outre, un accord laissera probablement un vide de pouvoir [16] dans les régions rurales du pays, lorsque les FARC seront démobilisées et cèderont ces territoires. Il y a de forts risques que des groupes paramilitaires de droite et des gangs criminels leur succèderont en essayant de remplir le vide qu'elles laisseront. La mise en place d'une présence positive de l'Etat en fournissant des services de base sera un défi majeur, en particulier dans les régions où les forces armées ont été la face principale de l'Etat.

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En raison de ces difficultés persistantes, les États-Unis ont un rôle important à jouer dans la phase de mise en œuvre, à la fois pour soutenir financièrement la Colombie et en garantissant un espace politique au gouvernement colombien pour l'application-même des accords lorsqu'ils sont en contradiction avec les priorités de la politique américaine. Un communiqué [17] du département d'Etat sur l'accord sur la politique de la drogue, qui met en évidence la poursuite de l'éradication forcée, soulève des questions quant à savoir si les États-Unis vont aider ou nuire à l'avancement du processus de paix.

Près de deux dollars sur trois d'aide destinés à la Colombie vont aux forces de sécurité nationale. Le gouvernement des États-Unis voudra-t-il passer à l'aide pour construire la paix plutôt que de continuer la guerre?

Réaliser des réductions durables des cultures de pavot et de coca pour la production de drogues illicites exigera la  mise en œuvre des moyens de subsistance alternatifs [18] et la connexion des zones rurales oubliées depuis longtemps avec l'infrastructure nationale. Après des décennies de “guerre à la drogue” largement inefficace en Colombie, les États-Unis permettront-ils à leur allié de longue date de rompre avec le modèle d'interdiction ciblée pour explorer des solutions alternatives à l'approche militarisée actuelle ? Certaines des solutions les plus révolutionnaires dans l'accord, comme tel que le “tout sauf la pulvérisation aérienne”, pourraient se heurter à l'approche américaine actuelle.

Ces questions, et beaucoup d'autres, qui seront soulevées au fur et à mesure que les négociations avanceront, vont probablement renforcer l'angoisse des faucons au sein du gouvernent américain qui ne sont pas prêts à changer de tactiques pour le contrôle de la drogue. Mais après si peu de progrès visibles après des décennies de violence et des milliards de dollars dépensés, les négociateurs colombiens et des FARC ont fait un pas important pour y mettre fin. Les États-Unis devraient soutenir la Colombie, à la fois financièrement et politiquement, les prochains mois et années, et ils devraient savoir quand s'effacer.

Le Bureau de Washington sur l'Amérique latine (WOLA) promeut les droits humains, la démocratie et la justice sociale en travaillant avec des partenaires en Amérique latine et dans les Caraïbes pour élaborer des politiques aux États-Unis et à l'étranger.