Pourquoi certains Camerounais sont incommodés par la visite d'un “Seigneur de guerre” ivoirien

The President of Cote d’Ivoire National Assembly Guillaume Soro. Photo released under Creative Commons by Wikipedia user Africa1979.

Le Président de l'Assemblée Nationale de la Côte d’Ivoire Guillaume Soro. Photo publiée sous licence Creative Commons par Africa1979 sur Wikipédia.

Certain cercles au Cameroun n'ont toujours pas digéré la conflagration électorale de 2010, à des milliers de kilomètres de chez eux en Côte d’Ivoire, qui s'est terminée en avril 2011 par la mise à l'écart du Président Laurent Gbagbo.

Guillaume Kigbafori Soro, le président de l'Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, a été fraîchement accueilli lors de sa visite officielle controversée au Cameroun où sa présence a provoqué une protestation sans précdent. Guillaume Soro est un opposant de longue date à Gbagbo, qui est actuellemnt détenu à la Cour pénale internationale de La Haye pour crimes contre l'humanité [en]. Il a pris le parti de l'actuel président Alassane Ouattara, soutenu par la France [en] lors de l'élection contestée d'il y a quatre ans. 

Les forces loyales à Gbagbo et à Ouattara avaient fini par s'affronter, enclenchant des mois de guerre civile jusqu'à l'intervention militaire de troupes françaises et onusiennes qui aidèrent les forces pro-Ouattara à capturer [en] Gbagbo en avril 2011. Il y a eu plusieurs milliers de morts et des exactions commises par les deux bords. 

Gbagbo a un immense soutien parmi les cercles panafricanistes et gauchisants du Cameroun, et les jusqu'au-boutistes pro-Gbabgo de ce pays considèrent Ouattara comme un usurpateur et une marionnette de la France. Les Camerounais se sont activement impliqués dans la crise ivoirienne, au point que de nombreux partis politiques y ont littéralement pris fait et cause pour Gbagbo, qui prétendaient-ils avait remporté le scrutin disputé et était donc le chef d'Etat légitime.

Ces irréductibles étaient vent debout contre la visite de Soro au Cameroun. Ils l'ont accusé d'être un seigneur de guerre, se référant autant à la guerre civile de 2010-2011 qu'à la rébellion qu'il a dirigée dans le nord de la Côte d’Ivoire en 2002. 

A la tête de la charge anti-Soro, le principal parti camerounais d'opposition, le Social Democratic Front (SDF, ou Front Social Démocrate), lié depuis longtemps au Front Populaire Ivoirien (FPI) de Gbagbo. Dans une déclaration publiée la veille de l'arrivée de Soro au Cameroun, le FDS qualifiait Soro ainsi :

Un chef de guerre qui a plongé la Côte d’Ivoire dans la guerre civile, causant la mort des milliers de personnes.

Le FDS a aussi appelé ses députés, et ceux des autres partis, à boycotter le discours de Soro à l'Assemblée Nationale.

Dans une autre déclaration, John Fru Ndi, le président du SDF, a martelé qu'il n'avait rien à apprendre de Soro, un homme qui selon lui ne respectait pas le verdict des urnes. Joseph Banadzem, président du groupe parlementaire du SDF, a fait un pas de plus, en traitant Soro de rebelle, persona non grata au Cameroun.

Fidèles à leur parole, les 18 députés SDF au parlement ont quitté l'hémicycle lorsque Soro s'est adressé à l'Assemblée le 11 juin 2014.

Où Soro et des voix critiques au SDF se rejoignent

Si la prise de position du SDF a été saluée dans les cercles pro-Gbagbo tant du Cameroun que de la Côte d’Ivoire, de nombreux observateurs en ont critiqué les initiatives. Particulièrement significative a été la déclaration [en] de Nfor Susungi, ancien conseiller du président du SDF et auteur du programme économique du parti pour les élections présidentielle et parlementaires de 1997 :

Caractériser Soro Guillaume comme un “chef rebelle” est une erreur. Il est aujourd'hui le Président de l'Assemblée Nationale et part intégrante des autorités constituées de la République de Côte d’Ivoire. Il ne s'agit pas là de l'apprécier ou de l'aimer. Il s'agit pour chacun de reconnaître et respecter la fonction parce que la Côte d’Ivoire est une nation qui dépasse Soro Guillaume, Alassane Ouattara, Konan Bédié et Laurent Gbagbo ou tout autre personne appelée à un moment ou à un autre par les circonstances à occuper une des fonctions constitutionnelles du pays… la décision du SDF les a mis sur la touche et ils n'ont rien gagné de la façon dont ils ont géré cet événement. En réalité ils sont les grands perdants.

Soro a pris les devants en s'adressant personnellement à ses détracteurs dès les premiers mots de son discours devant l'assemblée nationale. “Oui, je suis un rebelle, comme Paul-Martin Samba et Edandé Mbita se sont rebellés contre le colonialisme allemand ici au Cameroun !,” a-t-il dit. “Je suis un rebelle contre toute politique occidentale, asiatique, américaine ou africaine qui normalise l'injustice, la discrimination, et le mépris et exploitation quotidienne de l'homme par l'homme.”

Utilisateur actif des médias sociaux, Guillaume Soro a tweeté une photo d'un échantillon de l'auditoire lors de son discours :

Soro a utilisé sa page Facebook pour une pique encore plus directe :

[…] Après de vaines tentatives d'intimidations, ils ont essayé de négocier mon silence. Allant jusqu'à plaider que je renonce à lire mon discours. Dommage je ne mange pas de ce pain là. Seule solution : fuir la salle!
Eh oui, fuir leur propre hémicycle! Là où ils avaient juré m'interdire l'accès! Et j'ai parlé dans l'hémicycle sans changer un iota de mon discours. 

Une rencontre au sommet

Deux jours plus tard, le Président camerounais Paul Biya accordait une audience à Soro [en] alors que des journaux avaient prétendu qu'il avait refusé de le recevoir. M. Soro n'a pas laissé passer l'occasion de s'en prendre à ses détracteurs dans une série de tweets ironiques.

Cette réaction désabusée d'un commentateur sur le site internet d'informations Cameroon-Info.net rend parfaitement le sentiment de de ceux qui désapprouvent la visite de Soro au Cameroun :

Je ressent dans ma profondeur une tristesse en réalisant que Paul Biya a accorder une audience à ce SORO que nous connaissons comme bras de la France dans sa politique de domination de l'Afrique. 

Si la visite de Soro avait pour but de contraindre le pouvoir camerounais à se positionner publiquement dans le conflit ivoirien, l'opération est un succès retentissant, comme l’explique cette analyse de newsducamer :

Le président de l’Assemblée nationale ivoirienne a mené une opération séduction au Cameroun. Et les autorités locales lui ont donné la tribune qui lui manquait depuis la chute de Laurent Gbagbo en avril 2011. Reçu par le président de la République, par le président du Sénat et par le président de l’Assemblée nationale, l’ancien premier ministre ivoirien peut justifier l’impression qu’il a d’une visite réussie. 

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