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L'ouverture d'un Jurassic Park déclenche la colère d'une ville sans eau courante au Pérou

Catégories: Amérique latine, Pérou, Idées, Médias citoyens
JP

Forêt du Jurassique. Image de Sangudo [1], utilisateur Flickr. CC BY-NC-ND 2.0.

Pour une ville sans bitume, sans eau courante [2] ni système d'assainissement, les Tricératops et T-Rex en fibre de verre ne constituent pas une priorité.

Le gouvernement de la région d’Arequipa [3] au Pérou voit les choses autrement. Il a récemment approuvé la construction d'un parc à thème sur les dinosaures d'une valeur de 4 millions de soles (1,4 million de dollars) dans le district aride de Yura [4], à environ 1000 km au sud-est de Lima. La construction du parc « Los C'coritos II »  [5]est considérée comme un gaspillage d'argent public, qui serait bien mieux utilisé à enrayer le fort taux de mortalité de cette ville dû aux diarrhées et maladies rénales.

Le maire défend le projet de parc, soulignant qu'il met à l'honneur l'héritage préhistorique local, celui des dinosaures d'Arequipa. Il considère “injustifiée” l'enquête sur cet investissement, démarrée cette semaine par des fonctionnaires anti-corruption. « Les dinosaures font partie de l'histoire » indique le maire Alfredo Zegarra, qui fait déjà l'objet d'une enquête judiciaire pour « abus d'autorité ». « Les enfants doivent savoir ce qui s'est passé, comment ces animaux en sont venus à peupler la planète, comment ils ont disparu. »

Le sol d'Arequipa renferme des empreintes préhistoriques de dinosaures. En juillet dernier, des ouvriers ont découvert ce qui semblait être un foetus fossile de Velociraptor. Il a été identifié plus tard comme étant un mammifère moderne.

La colère publique est d'autant plus forte que la construction d'un hôpital était prévue à l'emplacement du parc, un terrain de 3 hectares à 2700 mètres d'altitude sur le plateau. L'indécision des autorités locales a laissé ce projet au point mort, ce qui a permis à M. Zegarra d'accorder une assistance financière au maire d'Yura, l'une des villes les plus pauvres de la région, pour la construction du parc. Ce sera le second parc de dinosaures à rejoindre le  premier« Los C'coritos »,  dans la banlieue de la ville d'Arequipa, à environ 25 km.

« C'est un travail qui offre une certaine qualité de vie aux gens, » dit Mario Melo, un membre du gouvernement régional, au journal La República [6]. « Ils ont aussi droit à cette infrastructure. Les critiques sont politiques » a ajouté M. Melo, faisant référence à l'opposition des aménageurs que M. Zegarra accuse d'alimenter les inquiétudes.

Un reportage télévisé souligne que les locaux, privés d'eau pendant deux semaines dans certains cas, s'inquiètent de l'impact que va avoir ce parc de dinosaures sur leurs besoins fondamentaux. « Beaucoup d'enfants ici souffrent de diarrhées et de problèmes rénaux » dit Gladys Curo, une femme interviewée dans le reportage. « Nous soignons sur place ce que nous pouvons, mais se rendre dans la ville la plus proche prend beaucoup de temps. »

M. Zegarra indique qu'un réservoir a été construit pour résoudre le problème et que « l'eau sera accessible » à ceux qui en ont besoin.

Les groupes de riverains sont divisés sur la construction du parc. « Ce n'est pas que le parc ne serve à rien, c'est juste qu'un hôpital serait mieux, » dit Timoteo Calachahui, un membre de l'association de riverains Camineros y Empleados, au journal La República.

L'ancien président de cette même association de 563 membres indique que le gouvernement de région a réussi à sauver des projets par le passé, alors que les terres auraient été abandonnées ou à la merci de gangs ou d'aménageurs.

« Le parc ne sera pas un éléphant blanc, » dit Socrates Chiara. « Nous avons un accord de 10 ans avec la municipalité. A la fin de cette période, si les gens ne veulent plus du parc, il sera démoli au profit de leur hôpital. »

Mr Chiara ajoute que le gouvernement prend des mesures pour mettre en place des systèmes d'assainissement prêts à fonctionner ainsi qu'un projet d'école.

M. Zegarra indique qu'un terrain a été réservé pour un hôpital un petit kilomètre plus loin, dans la communauté de Cerro Colorado, à 23 km dans la banlieue d'Arequipa, la deuxième ville du Pérou.

L'utilisation inappropriée des fonds publics n'est pas chose rare dans la région d'Arequipa. En novembre dernier, un stade public et un hôtel de ville ont été construits grâce aux recettes fiscales de compagnies minières. Comme Yura, la ville de Yarabamba n'a pas accès à l'eau courante et ces bâtiments sont considérés comme extravagants.

La corruption est une constante des gouvernements de régions au Pérou. Les trois quarts des 26 présidents de région font actuellement l'objet d'une enquête par les autorités. Cet épisode ne va pas aider à casser l'idée que les élus sont en décalage avec ceux qu'ils représentent.

Pourtant, s'il y a bien une chose que M. Zegarra a apprise, c'est comment transformer une crise en opportunité. Il dit avec ironie que la publicité faite  par les médias à cette affaire pourrait bien attirer des investisseurs pour trouver les fonds manquants.

Ci-dessous, des tweets en rapport avec le projet de parc :

Alfredo Zegarra est-il obsédé par les dinosaures? D'abord il les met au parc de Los Ccoritos et maintenant à Yura?

Yura pourrait s'appeler Yura…sic Park (et les gens n'ont pas d'eau)

Gestion scandaleuse à Yura. Que faut-il faire pour la contrer? On devrait se débarrasser de cette gestion une bonne fois pour toutes. Le Pérou ne mérite pas cette administration.

Les maires d'Arequipa et de Yura ont des fossiles pour cerveau.