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Une blogueuse française condamnée pour un trop bon référencement sur Google

Catégories: Europe de l'ouest, France, Droit, Liberté d'expression, Médias citoyens
Il est interdit de donner à manger aux auteurs [1]

Fureur de Lire 2009 par Michelle sur Flickr, CC BY-NC-SA 2.0

Les consommateurs-blogueurs irascibles, qui épancheraient désormais leur bile contre un restaurant qui les a déçus devront-ils désormais veiller à choisir pour leur billet un titre passe-partout de façon à être référencés dans les profondeurs invisibles des moteurs de recherche ?

Telle est la mésaventure arrivée à la blogueuse L'Irrégulière, condamnée le 30 juin 2014 en référé [2] par le tribunal de grande instance de Bordeaux à 1.500 euros de provision sur dommages et intérêts et 1.000 euros de frais de procédure, sur plainte d'un restaurant de Cap-Ferret. Ulcérée par l'accueil et le service déficients selon elle, lors d'un repas fin août 2013, elle avait publié sur son blog littéraire, Cultur'elle [3], une critique au vitriol. Sous le titre “L'endroit à éviter au Cap-Ferret : Il Giardino”, l'article s'était hissé en tête du référencement de Google pour une recherche sur le nom de l'établissement. La restauratrice a vu rouge, et le tribunal lui a donné raison [4], non pour la critique elle-même, qui selon le jugement, “relève de la liberté d'expression”, mais pour le titre, qui tomberait sous le coup du dénigrement.

La blogueuse, qui n'avait pas pris d'avocat, a d'elle-même retiré son article, ce que le tribunal ne lui demandait pas. Mais on peut en lire le texte sur le blog de tuxicoman ici [5], ou en cache [6]. Echaudée, elle a décidé de ne pas faire appel.

Un jugement qui surprend

Le jugement – en référé, le tribunal ne se prononce pas sur le fond – en a surpris plus d'un, et d'abord sur le plan juridique. Le célèbre et très lu avocat-blogueur Maître Eolas [7] – 142.000 abonnés sur Twitter – a écrit, retweeté 100 fois :

avant de décrypter, pour le magazine L'Express [9], l'affaire sous tous ses aspects et conséquences :

Il ne faut pas donner à cette décision une portée plus large qu'elle n'a […] Le droit de critique existe. Il peut être sanctionné en cas d'abus. La distinction classique est quand il y a intention de nuire ou concurrence déloyale si le dénigrement est fait par un concurrent. Ainsi, si cet article avait été publié par quelqu'un qui tient un autre restaurant de pizza du Cap Ferret, on aurait été dans le cas de la concurrence déloyale puisqu'il y aurait volonté de dénigrer pour faire fuir le client. Or ici, c'est une cliente mécontente qui raconte une expérience malheureuse. On a tout à fait le droit d'expliquer pourquoi on n'est pas satisfaits, en mettant le titre que l'on veut.

 Des blogueurs découvrant l'affaire, évoquent d'abord avec bon sens l'encombrement de la justice, comme Lady Waterloo [10]

Les juges ont donc condamné cette malheureuse blogueuse, pour L'endroit à éviter au Cap Ferret: Il Giardino [6]cela en valait il la peine? Je ne le pense pas. Si les juges commencent à s'occuper des blogs qui dénoncent des apéros servis avec du retard sans cacahuètes et du vin trop froid ou trop chaud, j'ai oublié, la Justice sera complètement paralysée.

ou les malentendus toujours fréquents entre touristes, restaurateurs et internet, comme Le Parisien libéral [11] :

La vérité, c'est que désormais, tout resto, tout hôtel, doit faire avec l'existence du Net. Au lieu de faire une pub monstrueuse pour l'Irrégulière, pourquoi Il Giardino n'a pas crée son propre site web, ou fait le dos rond en attendant que ses clients qui ont aimé le resto s'expriment, comme Berthomeau [12].

Censure d'Internet et résultats Google

recherche Google

Résultat de recherche Google sur “Il Giardino Cap-Ferret”, le 18 juillet 2014 : affichage toujours présent – capture d'écran par l'auteur

Peut-on invoquer les résultats Google pour attaquer un blogueur ? La restauratrice se justifiait ainsi [4] :

“Peut-être qu'il y a eu des erreurs dans le service, ça arrive parfois en plein mois d'aout, je le reconnais. Mais cet article montait dans les résultats Google et faisait de plus en plus de tort à mon commerce […]. On peut critiquer mais il y a une façon de le faire, dans le respect, ce qui n'était pas le cas ici. Maintenant la justice s'est prononcé et pour moi l'affaire est close

De fait, l'article, et la controverse suscitée par le jugement, restent en bonne position dans les résultats de recherche sur Google. Tubbydev s'étonne [13] de la cible choisie par le juge et de la méconnaissance du fonctionnement d'un moteur de recherche :

Mais surtout, le vrai scandale à notre humble avis est tout entier dans le bout de phrase de la restauratrice: Mais cet article montait dans les résultats Google ..C'est Google qui montre le résultat, avec et par ses algorithmes mais c'est le contenu initial qui est “puni”. Personne ne demande à Google de corriger .. Et a priori aucune demande n'a été faite à Google. […]

Google est devenu un Dieu ou tout du moins un des éléments de la nature…Non seulement, il est donc IRRESPONSABLE mais en plus, sa force est telle qu'il attise encore plus la censure et les problèmes contre les malheureux qui y sont bien considérés .. Le monde à l'envers non ?

Dangereuse, l’optimisation pour les moteurs de recherche [14] ? Telle est l’interprétation du blogueur américain [15] Greg Sterling sur computerworld [anglais] :

Le seul crime, ici, était de se classer trop haut dans les résultats de recherche. 

Si efficacitic.fr conseille la prudence [16] dans la critique, Elisabeth Porteneuve, “vétéran de l'Internet” selon son profil Twitter [17], anticipe un usage du droit à l'oubli [18] :

Si les conséquences de cette affaire pour la liberté d'expression sur Internet restent matière à discussion, le mauvais effet de publicité [23] immédiat pour le restaurant se prolonge, et l'affichage de la controverse est toujours présent sur la page de résultats de Google.