En archéologue des idées, Séverine Kodjo-Grandvaux explore les strates d'une épistémologie qui, au cours du dernier siècle, s'est construite essentiellement en réaction à l'Occident. D'abord sous le joug de son influence impérialiste, puis en réaction contre cette emprise [..] avec le mouvement des Indépendances et l'injonction à la décolonisation des esprits, vient le temps d'une pensée cherchant à se replier sur « l'identité africaine », contre le moule occidental. Un « retour au sources » risqué : « Dès lors que la philosophie cherche à se penser de manière « nationalitaire », c'est-à-dire continentale, nationale, ethnique, elle doit éviter plusieurs écueils, notamment celui de l'esprit collectif et celui de la particularisation excessive », écrit l'auteur. L'apport de la philosophie occidentale comme celui des autres courants de pensée ne doit pas être rejeté.
Séverine Kodjo-Grandvaux éclaire un débat sur l'ethnophilosophie qui met aux prises depuis longtemps les philosophes africains : l'idée qu'une culture ou une région particulières possèdent une philosophie particulière qui diffère fondamentalement des autres est controversée en elle-même. Cependant, de nombreux philosophes africains modernes défendent que leur travail est une réflexion critique sur les gouvernances africaines et leurs effets sur la vie quotidienne de leurs compatriotes. Par consaquent, il est essentiel que la philosophie africaine se développe dans le contexte du continent africain et échange avec un lectorat africain.
2. Souleymane Bachir Diagne (Sénégal)
Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, professeur à l'université Columbia de New York, est convaincu que les philosophes africains doivent rendre leur travail plus accessible à leurs compatriotes. Il est d'avis que :
Nous devons produire nous-mêmes des textes en langues africaines et un de mes anciens élèves américain travaille en ce sens à une anthologie de textes de philosophes africains auxquels il a demandé d’écrire des articles dans leur propre langue. Des locuteurs de cette langue sont ensuite chargés de les traduire en anglais.
3. Léonce Ndikumana (Burundi)
Outre l'importance de mieux communiquer avec leurs mandants africains, il y a d'autres idées tendance mises en avant par les philosophes africains aujourd'hui. Léonce Ndikumana a grandi au Burundi et est à présent professeur d'économie à l'Université du Massachusetts à Amherst. Dans son livre “Africa's Odious Debt: How Foreign Loans and Capital Flight Bled a Continent” [La dette odieuse de l'Afrique : comment les prêts étrangers et la fuite des capitaux ont saigné un continent, en anglais, non traduit], Ndikumana s'attache à battre en brèche tous les lieux communs sur l'Afrique qui sont tenus mondialement pour des faits, comme la croyance que l'aide étrangère subventionne le continent africain. En réalité, les sorties de capitaux hors du continent (1.44 mille milliards évaporés des pays africains pour se retrouver dans les paradis fiscaux ou les pays riches) excèdent largement le montant de l'aide extérieure (50 milliards pour l'Afrique).
Ndikumana est aussi un des principaux leaders d'opinion en Afrique rejetant les règles des agences internationales qui vont souvent à l'encontre de la volonté des Africains.
4. Kwasi Wiredu (Ghana)
Contrer les narratifs erronés est une tendance montante chez les intellectuels africains. C'est précisément ce que se propose de faire Kwasi Wiredu, un philosophe ghanéen. Il défend qu'un système politique de multipartisme, souvent considéré comme le fondement de la démocratie, n'amène pas toujours l'unité et la stabilité. Au contraire, une démocratie de consensus convient mieux [en anglais] au contexte africain :
Sachant que la démocratie est le gouvernement par consentement, la question est de savoir si un système moins antagoniste que celui des partis, qui est étroitement lié au processus de décision majoritaire, ne peut pas être inventé. C'est un fait important que des êtres humains doués de raison peuvent arriver à un accord sur ce qui doit être fait par la vertu du compromis sans partager le même avis sur la vérité ou la morale.
5. Kwame Anthony Appiah (Ghana)
Pourtant, un autre philosophe ghanéen, Kwame Anthony Appiah, qui enseigne actuellement à la New York University, se rebelle contre l'afrocentrisme de ses confrères africains. Son argument est que l'afrocentrisme est un concept dépassé. Il croit qu'il faut promouvoir plus de dialogue trans-culturel et moins de “régionalisme” :
[Le philosophe grec de l'Antiquité Diogène] rejetait l'opinion commune que chaque individu civilisé appartient à une cité parmi les cités […] Une cité mondiale de cosmopolite aura la volonté de connaître d'autres manière de vivre par la radio, la télévision, par l'anthropologie et l'histoire, par les romans et films, l'actualité et la presse, et sur le web.
3 commentaires
“D’autres arguent que son afrocentrisme la rend moins attirante pour le reste du monde” mais l’européocentrisme de la philosophie occidentale ne gêne personne…. bizarre !!!!!!!
Bien vu et bien dit. L’Occident se donne le monopole de l’universalité, du global, alors que l’Afrique est réduite, à tord, à la particularité, au local….
J’ai vraiment adoré vos aides,car vous nous aidez vraiment à comprendre mieux d avantage la vraie definition de la philosophie africaine