Israël veut gagner “les cœurs et les esprits” dans sa guerre médiatique contre la Palestine

"Infographics: What Would You Do?" by Israel Defense Forces via Flickr (CC BY-SA 2.0)

“Infographie: Que feriez-vous ?” par les Forces de Défense Israéliennes (IDF) via Flickr (CC BY-SA 2.0)

Une version de cet article de Leila Nachawati a été publiée sur le site du quotidien espagnol Eldiario.es, en espagnol. 

[Liens en anglais] Les attaques d’Israël sur la bande de Gaza en 2009 ont été l'un des premiers cas de conflits présents sur les médias sociaux. Que ce soit depuis Gaza ou ailleurs, citoyens et membres du Hamas ont mobilisé entre autres Facebook, Twitter et YouTube pour rapporter, documenter et condamner les attaques. Mais jamais l’utilisation de ces plateformes par de tels groupes ne fut aussi intensive et coordonnée que celle des Forces de Défense Israéliennes (couramment désignée par l'acronyme Tsahal, ndlr).

Cinq ans plus tard, alors que nous assistons aux mêmes scènes de mort et de désolation à Gaza, Israël renforce sa propagande en ligne dans l’espoir de se montrer sous un meilleur jour aux yeux du monde.

Une lutte en ligne pour “les coeurs et les esprits”

Les opérations militaires israéliennes sont toujours accompagnées d’une forte couverture médiatique qui semble destinée à minimiser leur impact sur l’opinion publique internationale. Depuis l’évocateur « Plomb durci » en 2009 jusqu’à l'opération au nom très explicite « Barrière protectrice » en 2014, différents fronts de la hasbara (propagande pro-israélienne, en hébreu) ont été mis en place afin d'exposer au monde entier les raisons et la logique d’Israël.

En 2008, juste avant le début des bombardements de Gaza, l’administration israélienne a décidé de remplacer les traditionnelles conférences de presse en temps de guerre par un arsenal d’initiatives sur les médias sociaux. Les grandes lignes de cette campagne furent développées par un ancien officier de l’armée, Yarden Vatikai, en collaboration avec le ministère de la Défense et l’Agence juive.

L’une de ces initiatives consistait à former des officiers de l’armée lors d'ateliers sur les nouveaux médias au Centre Interdisciplinaire de Herzliya.

« Pour la diffusion de notre message, l'avenir est dans les nouveaux médias » déclarait en février 2009 le porte-parole des Forces de Défense Avi Benayahu. « Les Forces de défense israéliennes sont désormais présentes sur Internet pour gagner les cœurs et les esprits ».

YouTube a servi de vitrine de la campagne, permettant à Tsahal de devenir la première armée nationale a posséder sa propre chaîne YouTube. La chaîne propose un blog vidéo sur lequel les porte-paroles de l’armée qualifient les attaques d’ “actions de légitime défense à caractère humanitaire”.

La série de mesures prises par la hasbara en 2009 impliquait un contact direct avec des journalistes du monde entier. Des textos étaient envoyés quotidiennement à des milliers de journalistes, de diplomates et de blogueurs influents, accompagnés de communiqués de presse, de séances d’information et de visites aux communautés israéliennes du Neguev, aux frontières de Gaza.

L’expert israélien en stratégie des médias sociaux Niv Calderon a été engagé par le ministère des Affaires étrangères juste avant l’invasion de la bande de Gaza. Sa mission était de créer « le premier centre de crise dédié à la promotion de la propagande israélienne à l’échelle internationale ». Selon Calderon, « Nous sommes en pleine guerre médiatique, et chaque citoyen, chaque internaute, est un soldat. »

Haneen Zoubi, directrice du I’lam Media Center for Arabs and Palestinians in Israel, a qualifié la couverture des attaques de 2009 de « pastiche de la liberté de la presse ».

En 2006, durant l’invasion du Liban, elle avait dénoncé la presse israélienne, les accusant d’avoir « abandonné leur rôle de journalistes, sans avertissements ni excuses. (…) Il semble qu’ils ne soient plus capables de remplir leur devoir professionnel depuis qu'ils sont devenus esclaves du patriotisme ».

La responsable de la presse internationale des Forces de défense israéliennes, Avital Leibovich, de son côté, s'était dit « agréablement surprise » par la couverture internationale du conflit, même dans des médias considérés comme neutres ou non favorables à Israël. « Enfin, la communauté internationale comprend que le Hamas est l’agresseur » avait-elle déclaré.

Les efforts de la hasbara se poursuivent

Cinq ans plus tard, l’implication de l’armée dans la documentation et la diffusion de la propagande s'est renforcée, notamment à travers ses vidéos YouTube et ses comptes officiels sur Facebook et Twitter, très actifs.

Aujourd’hui, sa stratégie médiatique se base sur des dizaines d’infographies et de visuels visant à présenter la logique d’Israël de manière simple et imagée, à la façon du projet Visualizing Palestine qui s'attachait à montrer les effets de l’occupation sur les Palestiniens de Gaza.

"When is a House a Home?" visualization by Israel Defense Forces.

“Dans quelle mesure une maison est-elle un foyer ?” visuel de l'Armée de défense d'Israël.

L’un des visuels les plus partagés nous montre comment une maison à Gaza devient une cible. « Dans quelle mesure une maison est-elle un foyer ? A quel moment devient-elle une cible militaire ? » titre l’image, en réponse aux détracteurs d'Israël qui l'accusent de bombarder les habitations de Gaza sans faire de distinction. Un autre visuel compare « Ce que fait Israël pour protéger ses populations civiles » et « Ce que fait le Hamas pour mettre en danger ses populations civiles ».

Une autre image très évocatrice (voir ci-dessus) nous montre des missiles s’abattant sur plusieurs capitales, dont New York, Londres et Paris.

Ce visuel saisissant exhorte les internautes à partager l’image s’ils « pensent qu’Israël a le droit de se défendre ».

La campagne hasbara 2014 inclut également des pop-up apparaissant lors de la lecture d’une vidéo YouTube. Le compte est géré par le Ministère des Affaires Etrangères d’Israël et contient plusieurs vidéos de propagande anti-Hamas.

Entre 2009 et 2014, les efforts se sont poursuivis pour associer une plus grand part de la société à ces batailles en ligne, en mettant notamment l’accent sur les universités. Selon un article publié par Haaretz en août 2013, le Bureau du Premier Ministre projetait de former, en collaboration avec l’Union Nationale des Etudiants Israéliens, des « unités secrètes » au sein de sept universités d’Israël afin qu'elles déploient une diplomatie publique sur Internet.

Screen capture of YouTube Channel for Israel's Foreign Affairs Ministry.

Capture d'écran de la chaîne YouTube du Ministère des Affaires Etrangères d'Israël.

En 2014, l’Université de Haifa a lancé un programme de “cours de cyberguerre” visant à combattre la délégitimisation d’Israël sur Internet. D’autres universités contribuent à la propagande officielle, à l’instar de Bar-Ilan, l’Université hébraïque de Jérusalem et l’Université Ben Gourion.

La version de l’histoire relatée par la propagande officielle d’Israël contredit les images de désolation qui nous parviennent de Gaza. Dans la seule journée du 16 juillet, quatre enfants ont été tués par des frappes aériennes d’Israël alors qu’ils jouaient sur la plage, et l’hôpital Wafa de Gaza a été réduit en cendres par des tanks israéliens. Jusqu’ici, 77 % des victimes sont des civils. L'historien israélien Ilan Pappé parle de « génocide progressif ».

La campagne médiatique de l’armée israélienne impose une version des événements que rejettent fermement certains Israéliens. Des initiatives citoyennes lancées en ligne, telles que Breaking the Silence ou B’Tselem, et des manifestations publiques défendent elles une vision très différente de la ligne officielle.

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