La version originale de cet article a été écrite en espagnol par Luis Ángel Sas et publié sur la plate-forme de journalisme CONNECTAS en mai 2014.
La présentatrice de télévision María Magdalena Stahl Hurtado, par ailleurs mannequin et psychologue, une citoyenne américaine d'origine allemande, se promenait dans l'aéroport La Aurora au Guatemala un après-midi de mai en 2010. Mesurant près de 1,73 m, sa silhouette élégante attirait les yeux comme un aimant. Le magnétisme de Mme Stahl a capturé l'attention de Carlos, un agent du service des stupéfiants ; elle avait presque représenté l'Équateur au concours de Miss Univers cinq ans plus tôt.
L'agent Carlos s'approcha d'elle pour un contrôle de routine sur des passagers choisis au hasard. À vrai dire, son choix de Mme Stahl était plus motivé par sa silhouette attrayante que par la suspicion. Mais quand il la regarda dans les yeux, il vit la peur caractéristique de ceux qui ont quelque chose à cacher. Il avait été formé pour cela. Il commença par une avalanche de questions ; Mme Stahl ne résista pas. L'agent Carlos demanda à fouiller ses bagages ; elle objecta, mais dût donner son accord.
Après plusieurs heures de comptage, le ministère public a calculé qu'il y avait 435 762 dollars USD cachés dans les bagages que Mme Stahl s'apprêtait à emporter à Panama. Selon la subdivision générale d'analyse et d'information de lutte contre les stupéfiants (SGDAIA), un total de 9,9 millions de dollars US a été saisi sur des passagers de différentes nationalités et profils cherchant à transporter de l'argent non déclaré de l'aéroport international La Aurora entre 2010 et 2013. Le dernier cas signalé est celui de M. Richard Alexis Preza Herrera, l'entraîneur de l'équipe de football Coatepeque qui a été arrêté pour le transport de 14,6 millions de dollars US. Lors de son procès, il a été condamné à une amende de 600 000 quetzales (7 750 dollars US) et il lui est interdit de quitter le pays.
Au cours des quatre dernières années, 2011 a enregistré le montant le plus élevé d'argent saisi : 5,7 millions de dollars américains. L'année précédente, 2010 avait enregistré 2,2 millions de dollars américains confisqués. Il y a eu une diminution en 2012 avec 859 000 dollars tandis qu'en 2013 la saisie a atteint 969 000 dollars.
Comment l'argent était transporté
Un total de 9,9 millions de dollars a été confisqué sur 67 personnes, soit une moyenne de 147 000 dollars chacune. Toutefois, le montant porté par chaque personne varie de 12 000 à 1 million de dollars.
- Crédit: Prensa Libre.
Les techniques pour le transport de l'argent caché aussi ont varié énormément : des billets coincés dans des livres et des cahiers, cachés dans les talons de chaussures, les ceintures ou dissimulés sur le corps et collés avec des bas ou du ruban adhésif. L'argent a également été dissimulé dans des boîtes de haricots, dans des doubles fonds de valises, masqués avec du papier carbone et même dans l'estomac, après avoir été avalé dans des capsules de latex.
“La seule limite est l'imagination”, explique M. Rolando Rodenas, chef de l'Office des procureurs contre le blanchiment de l'argent. M. Rodenas dit qu'il y a d'autres systèmes pour sortir l'argent hors du pays sans avoir besoin de le cacher, bien que ces autres méthodes laissent des preuves suffisantes pour identifier les auteurs. “La loi stipule que jusqu'à un montant de 10 000 dollars peut être transporté sans déclaration. Aussi y a-t-il des gens qui voyagent avec 9 700 ou 9 800 dollars, tout juste, pour rester dans la limite légale “, dit M. Rodenas. Au moins deux grands groupes de ‘courriers’, chacun transportant un montant légal d”argent, ont été capturés transportant de ‘l'argent à Panama, la destination principale pour le blanchiment d'argent. Selon M. Rodenas, un autre moyen de transporter de l'argent était de prétendre que les courriers étaient des directeurs ou des employés d'entreprises qui voyageaient pour affaires ou faire des achats.
Ensuite, après des mois d'enquête, on arrive à la conclusion que les entreprises n'étaient qu'une couverture et qu'elles n'avaient pas d'activités financières réelles. En fait, les trafiquants continuent à utiliser cette méthode. “Voilà comment ils exportent l'argent hors du pays. Ils font ce que la loi permet”, dit M. Rodenas, qui ne s'aventure pas à avancer une hypothèse quant aux montants totaux d'argent qui sont exportés hors du pays illégalement. “Il est difficile de donner un chiffre ; une étude devrait être réalisée”, dit-il. M. Elmer Sosa, chef de la SGDAIA, a refusé d'être interviewé pour cet article. Cependant, son personnel à l'aéroport international La Aurora estime que l'argent confisqué ne représente que 10 pour cent du montant qui quitte le pays dans des valises: “caché ou déclaré, mais sans fondement juridique”, affirme un agent qui a requis l'anonymat.
Le rapport de Global Financial Integrity (GFI) indique qu'entre 2002 et 2011, le Guatemala a représenté 10 pour cent de l'argent sale total de l'Amérique centrale, qui pourrait atteindre 14 milliards de dollars américains. Les flux financiers illicites en provenance du Guatemala, s'élevant à 1,3 milliard de dollars, se placent à la quatrième place après ceux provenant du Costa Rica (4,3 milliards), du Panama (3,9 milliards) et du Honduras (2,8 milliards). Les flux financiers illicites du Salvador s'élevaient à 1 milliards de dollars et du Nicaragua étaient de 700 millions de dollars. “Il y a deux ans, les agents de sécurité de l'aéroport ont identifié quelques 45 personnes qui voyageaient avec $ 9 800 ou $ 9 700 sur le même vol à destination de Panama!”, explique l'agent. Ce nombre semble crédible après la capture de membres d'un groupe que le ministère public a baptisé los Pitufos (les Schtroumpfs), dirigé par M. David Cervantes Urízar. Selon le bureau du procureur, ce groupe à lui tout seul a organisé 20 voyages à Panama, pour le blanchiment d'environ 3 millions de dollars par mois.
Un autre groupe de trafiquants capturé par le Bureau du procureur s'appelait Véliz-Palomo (des noms de deux de ses membres). Le bureau du procureur a évalué qu'au cours d'une année, entre 2010 et 2011, ce groupe avait organisé 20 voyages par semaine pour exporter de l'argent vers Panama. En 2012, un tribunal a condamné 48 membres du groupe à des peines de 3 à 56 ans derrière les barreaux. Le tribunal, qui a lancé la procédure pénale pour blanchiment d'argent a envoyé Mme María Magdalena Stahl Hurtado à la prison. Quelques jours plus tard, le juge Adrián Rodríguez Rolando Arana, de la septième Cour criminelle, a remis Mme Stahl en liberté pendant que l'enquête se poursuit. Le 29 Mars 2011, le juge Rodríguez Arana a décidé de classer l'affaire indéfiniment et de remettre l'argent à Mme Stahl. La Commission internationale contre l'impunité a demandé une enquête sur cette action.
La route de blanchiment d'argent
Selon les itinéraires des courriers en détention, il existe deux voies utilisées pour le transport de l'argent via les aéroports. Le premier est du Guatemala vers Panama.
Selon les registres de la police, 37 personnes ont transporté 7 500 000 dollars US par cette route. Certaines ont été contraintes de retourner au Guatemala, où elles ont été arrêtées à leur arrivée. “Nous coopérons avec les autorités dans ce pays parce que les gens essaient à plusieurs reprises d'exporter de l'argent là-bas,” dit M. Rodenas. La deuxième voie est celle du Guatemala vers la Colombie. Onze personnes, transportant des $ 1,2 millions USD, ont essayé d'emprunter cette voie. Le troisième est celle allant du Guatemala au Costa Rica, sur laquelle huit voyageurs ont été capturés transportant $ 224 000 USD. Il y a eu aussi une tentative de transporter plus d'argent au Venezuela, mais ce n'était qu'un cas isolé. Les autorités du Salvador ont lancé l'alerte après la capture de différents Guatémaltèques qui avaient réussi à glisser travers les mailles de la sécurité de l'aéroport de La Aurora, mais avaient été identifiés au Salvador alors qu'ils tentaient de s'embarquer pour Panama. Sur les 67 personnes arrêtées, 37 pour cent venaient du Guatemala, 20 pour cent de la Colombie, et 10 pour cent du Mexique.
El Salvador : une autre arrestation importante pour le blanchiment d'argent
Plus de 3 millions de dollars US ont été confisqués à l'aéroport international d'El Salvador au cours des cinq dernières années. Soixante-neuf personnes ont été arrêtées. Selon la police du Salvador, 48 des détenus étaient des étrangers, principalement en provenance du Guatemala et du Mexique. A se fier aux itinéraires des individus détenus, il existe deux routes principales qu'empruntent ceux qui essaient de fais passer de l'argent du Salvador. Le plus souvent, les voyageurs partent du Guatemala, font escale au Salvador, puis partent pour Panama. Un total de 38 pour cent des voyageurs appréhendés ont déclaré Panama comme étant leur destination finale. La seconde route empruntée commence au Mexique, s'arrête au Salvador, et se termine en Colombie ; 11 pour cent des voyageurs détenus avaient l'intention d'aller en Colombie. ‘Si l'argent se déplace vers le sud, cela signifie qu'il est destiné à payer les stupéfiants qui ont déjà été envoyés ou vont être achetés. La destination finale est Panama parce que c'est un centre financier ; il y a beaucoup de banques. Nous pensons que c'est pour cela que Panama est l'endroit le plus commode pour les trafiquants de drogues établis à Panama ou en Colombie pour recevoir de l'argent et le mettre en banque”, explique M. Marco Tulio Lima, chef de la Division pour la lutte contre les stupéfiants de la Police nationale civile du Salvador. L'expert en blanchiment d'argent M. Daniel Rico du groupe de réflexion Centre Wilson, basé à Washington, explique que les groupes criminels qui déplacent illégalement l'argent par des frontalières telles que les aéroports sont des “petites organisations criminelles qui doivent déplacer de l'argent urgent pour effectuer des paiements.”
M. Rico dit que le transport d'argent liquide via les aéroports est “la méthode la plus primitive et vulnérable de blanchiment d'argent”, utilisée seulement par les organisations qui n'ont pas les moyens financiers et logistiques pour utiliser des systèmes plus sophistiqués comme la création de sociétés-écrans ou le blanchiment d'argent par le biais des institutions financières. Les confiscations à l'aéroport du Salvador se basent sur l'intuition. “Nous analysons l'origine et la nationalité de l'individu, la méthode de paiement, la durée du séjour, la destination prévue. Nos unités étudient les profils individuels ; il n'y a pas de fouilles systématiques de l'avion”, explique le chef de l'unité anti-drogue au Salvador. Il ajoute qu'aucune structure salvadorienne de blanchiment d'argent n'a été trouvée, et que les organisations criminelles existantes sont originaires d'autres pays.
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