[Liens en anglais et arabe] La population musulmane chiite majoritaire du petit Etat insulaire de Bahreïn, sur lequel règne la dynastie sunnite des al-Khalifa, se sent sur le fil du rasoir depuis cinq événements récents.
Il y a eu les propos dangereusement sectaires tenus en public par des musulmans sunnites haut-placés et non sanctionnés, et leurs serments d'allégeance au mouvement extrémiste anti-chiite EIIL, qui a récemment proclamé le califat (ou Etat islamique) en Irak.
Dès décembre 2011, les Bahreïnis, qui sont majoritairement chiites, se plaignaient de leur marginalisation politique et économique dans ce pays de 1,3 million d'habitants. Les derniers événements font apparaître une tendance montante à la marginalisation totale.
L'armée a réprimé en 2011 les manifestations menées par les chiites contre le pouvoir dominé par les sunnites. Depuis, Bahreïn est accusé de violations des droits fondamentaux contre les chiites. Une contestation à bas bruit a continué à couver. Selon Mark Lynch du magazine Foreign Policy en 2011, “le régime bahreïni a non seulement riposté par la force brutale, mais aussi encouragé une détestable intolérance religieuse afin de diviser le mouvement populaire et de construire un soutien national et régional à une répression.”
Parmi les moyens utilisés pour semer l'intolérance religieuse qui a amené les cinq incidents énumérés ci-après, le principal a été d’autoriser des prédicateurs provenant de la petite population d'extrémistes salafistes du pays. Le salafisme, qui honnit les chiites, est une secte puritaine qui inspire les organisations insurgées radicales comme Al-Qaida et EIIL.
1. Un prédicateur bahreïni fait allégeance à EIIL
Début juillet, Turky Albinalim, un prédicateur sunnite de Bahreïn, a donné son soutien à l'EIIL anti-chiite, accusé par Human Rights Watch d'enlèvements, assassinats et expulsion des minorités, y compris les chiites. Albinali est apparu dans une vidéo YouTube où il déclare sa loyauté au nouveau calife d'EIIL Aboubakr Albaghdadi (en arabe) :
2. Le chef religieux chiite de Bahreïn déclaré infidèle
La semaine dernière lors d'une conférence de presse, le puissant ex-chef du renseignement, le colonel Adel Fulaifel, sur qui pèsent des accusations de torture, a déclaré infidèle l'ayatollah Isa Qassim, plus haute autorité religieuse chiite de Bahreïn, et précisé qu'il “sera pourchassé comme un rat.” Il répliquait à la proposition d'Isa Qassim de créer un conseil religieux mixte chiite-sunnite.
Il y a quelques mois, Bahreïn supprimait le principal conseil religieux chiite du pays, une mesure qui a déclenché une série de protestations à travers le pays.
BahrainMomo a tweeté à ses 21.000 abonnés :
استقبال مشايخ تكفيرية و فليفل يكفر ويهدد بقتل علماء الشيعة واليوم اغلاق المجلس العلمائي الشيعي من قبل النظام ! سياسة دولة سلفية داعشية
— أم أحمد البحرينية (@bahrainmomo) 15 Juillet 2014
Accueillant pour les religieux radicaux, Fulaifel menace de mort les clercs chiites et aujourd'hui le régime supprime le conseil religieux ! Une politique digne d'un Etat salafiste comme EIIL.
3. Expulsion d'un diplomate américain, invitation d'un prédicateur radical saoudien
Deux jours avant que Fulaifel lance cette menace, un diplomate étatsunien a été expulsé de la petite pétro-monarchie, que la marine américaine utilise depuis des années comme base navale. Le lendemain, le prédicateur saoudien sectaire et radical controversé Mohamed Alarefe était accueilli à Bahreïn pour donner une série de sermons à la jeunesse, passant outre les protestations des internautes. Le prédicateur saoudien est catégorisé comme une menace au Royaume-Uni.
4. Un homme politique soutient ouvertement EIIL L'ex-député Nasser Alfadhala, qui disputera la prochaine élection sous l'étiquette du parti Al-Menbar (suspecté au Royaume-Uni de liens avec le terrorisme), soutient ouvertement EIIL dans cette vidéo YouTube d'il y a un mois :
«نحن نقف مع هذه الثورة التي صبرت طويلاً وطال انتظارها، لطرد هذا الظلم وهذا الخبث، الذي تدعمه بلاد الفرس، من أجل إذلال بلاد الرشيد، بلاد العزة والكرامة»
Nous sommes pour cette révolution [par EIIL] mise en oeuvre pour chasser l'injustice et la malveillance [venant] du pays de Perse qui humilie le pays de Rachid [le califat historique], le pays de la gloire et de la dignité.
A quoi l'utilisateur de Twitter iProtester a rétorqué en publiant une photo d'Alfadhala avec des drapeaux d'EIIL à l'arrière-plan, près de l'ambassade américaine :
وقفة قانونية مرخصة لـ #داعش_البحرين (بأعلام منظمة غير إرهابية) أمام السفارة الأمريكية بقيادة ناصر الفضالة. pic.twitter.com/zGv9lslNfp — iProtestor | Bahrain (@iProtestor) July 19, 2014
Un rassemblement autorisé avec les drapeaux d'une organisation non-terroriste (ironie) devant l'ambassade américaine, sous la direction de Nasser Alfadhala
Le journaliste et humoriste Faisal Hayyat a tweeté :
تمت جرجرة خليل المرزوق بين النيابة والمحاكم بسبب رفع علم الإئتلاف،يا ترى هل سيتم جرجرة ناصر الفضالة بسبب رفع أعلام داعش؟ #مي_مقبولة #البحرين
— رياضيونا رهائن (@FaisalHayyat) 18 Juillet 2014
Khalil Almarzooq a été poursuivi et traîné en justice pour avoir brandi le drapeau de la coalition de la jeunesse. En sera-t-il de même pour Nasser Alfadhala qui a brandi le drapeau d'EIIL ?
Almarzooq est un des dirigeants du plus grand mouvement d'opposition, Alfewaq. Il a été arrêté et est passé en jugement pour avoir tenu un drapeau de la coalition bahreïnie de la jeunesse 14 février, qui menait la contestation en 2011.
5. Défection d'un militaire bahreïni
La semaine dernière, l'officier Mohamed Albinali (ou Abou Isa Alsalmi, le surnom que lui donnaient ses camarades) a tweeté :
أنا محمد بن عيسى البنعلي، ملازم في الداخلية البحرينية أعلن عن #انشقاقي عن هذا النظام منذ اكثر من أربعة أشهر #البحرين
— أبو عيسى السلمي (@bu3utbah) 15 Juillet 2014
Moi, Mohamed Isa Albinali, lieutenant au Ministère de l'Intérieur de Bahreïn, annonce ma défection de ce régime depuis plus de quatre mois.
Le Ministère de l'Intérieur de Bahreïn est critiqué pour sa politique discriminatoire de recrutement et sa pratique systématique de la torture.
Ce mois-ci, bien que dans le cadre de sa surveillance le FMI ait mis en garde Bahreïn contre sa possible incapacité à payer les fonctionnaires d'ici 2017, le pays, pourtant dépendant du tourisme, a interdit aux hôtels trois-étoiles de vendre de l'alcool ou d'accueillir des musiciens. Bahreïn reçoit chaque année 2 millions de touristes.
Quand le célèbre éditorialiste du New York Times Nicholas Kristof a visité Bahreïn en 2011, il l'a décrit comme un pays de quasi-apartheid. Mais depuis que les partisans d'EIIL et les prédicateurs de haine et d'extrémisme militant comme Fulaifel, Alfadhala et Alarefe ont reçu le champ libre à Bahreïn, le pays approche de plus en plus d'un apartheid total, destiné à marginaliser économiquement, politiquement et socialement la majorité chiite de sa population.
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