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USA : Un jeune Noir abattu par la police à Ferguson (Missouri), chronique de 6 jours de manifestations, tweets et lacrymogènes

Catégories: Amérique du Nord, Etats-Unis, Ethnicité et racisme, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens
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Tweeté par le journaliste citoyen @AntonioFrench le 14 août “de hier soir à #Ferguson que je n'ai pas eu le temps de poster avant d'être arrêté.”

[Les liens de ce billet renvoient à des pages en anglais] Des policiers en équipement anti-émeute de niveau militaire. Des journalistes en état d'arrestation. Des manifestants pacifiques face aux gaz lacrymogènes [2] et aux balles en caoutchouc [3].

Depuis que le jeune Michael Brown, 18 ans, a été abattu par balle par un policier dans le Missouri, un Etat du Middle-West américain, les manifestations dans sa ville de Ferguson sont gérées par ce que de nombreux Américains appellent [4] la militarisation de la police.

Les manifestants sont généralement non armés et n'utilisent que leur voix pour crier leur indignation du meurtre d'un adolescent noir désarmé. Mais depuis lundi, les policiers ripostent par la force brute :

Maintenir l'ordre n'est plus du maintien de l'ordre. Les services de police ont de l'armement et des capacités de surveillance de catégorie militaire. Cela nous nuit à tous #Ferguson

Ecrivant sur The Intercept, Glenn Greenwald a décrit l'assaut de la police [7] contre les manifestants comme “le sous-produit destructeur de plusieurs décennies [notamment après le 11 septembre] de militarisation délibérée du maintien de l'ordre américain… [qui] a eu pour résultat une force de police intérieure qui a l'apparence, pense et agit plus comme une armée d'invasion et d'occupation que comme une force enracinée dans la collectivité pour protéger le public.”

La population de Ferguson est noire à près de 70 % [8], pourtant les policiers locaux sont très majoritairement blancs. Les défenseurs des droits de la personne soulignent que les Américains de couleur, et notamment les jeunes hommes noirs, sont ciblés et accusés de façon disproportionnée de délinquance [9] par les fonctionnaires du maintien de l'ordre, avec des chiffres sidérants. Même si le profilage racial sanctionné par l'Etat caractérise surtout les très grandes villes des Etats-Unis, les heurts actuels à Ferguson, 21.000 habitants, témoignent que le problème est peut-être d'échelle nationale.

Voici une chronologie des événements depuis que Michael Brown, le jeune Afro-Américain innocent qui préparait sa rentrée cet automne en college [1er cycle universitaire] est tombé sous les balles du policier. 

Samedi 9 août

Michael Brown est abattu et tué par un officier de police à midi. Les détails de l'interaction entre le policier et le jeune homme ne sont pas établis, mais le seul témoin non-policier du tir, un ami de Brown, rapporte que celui-ci avait levé les mains en l'air, suppliant le policier de ne pas lui tirer dessus. Chris Hayes de MSNBC a tweeté qu'il a interrogé le témoin-clé (et seul non-policier) du coup de feu sur Brown, mais la police s'en est abstenue.

J'ai interviewé hier soir le témoin clé du coup de feu sur Michael Brown. Les policiers, non. De quoi réfléchir.

Le lendemain, des centaines de manifestants se rassembleront devant le bureau de police de Ferguson, pour exiger des informations sur la mort de Michael Brown.

Dimanche 10 août

Les responsables de la police tiennent une conférence de presse, au cours de laquelle le chef de la police de Saint-Louis Jon Belmar déclare [11] qu'une altercation s'était produite entre Brown et les policiers, d'où il est résulté que les agents ont fait feu sur l'adolescent. Il a reconnu que Brown a reçu “plus que quelques” coups de feu. Le rapport d'autopsie n'a pas encore rendu public, et la police a refusé de faire connaître le nom de l'agent qui a tué Michael Brown, invoquant des raisons de sécurité.

Dans la soirée, des émeutes éclatent et des magasins sont pillés et saccagés par des habitants révoltés par la mort de Michael Brown. Les policiers en tenue anti-émeutes arrivent peu après et arrêtent 32 individus [12] sur place. 

on peut dire ce qu'on veut du militantisme internet mais quand les médias ne disent pas la vérité c'est le seul moyen d'éduquer #Ferguson

La critique de la couverture médiatique de l'affaire déferle sur Twitter [14], où les utilisateurs sont nombreux à reprocher aux média de présenter Brown comme un “voyou”. Les jeunes gens de couleur se mettent à poster leurs photos sous le mot-clic #IfTheyGunnedMeDown [S'ils m'abattaient], juxtaposant leurs autoportraits la mine sournoise avec des photos de remise de prix, de fêtes de famille, et autres de ce genre.

#QueDiraientIls ? Sommes-nous des “voyous” ou de jeunes adultes servant notre pays ? #S'IlsM'abattaient

#S'IlsM'abattaient Laquelle ils utiliseraient ? Terroriste à l'entraînement ou frais émoulu du lycée ?

Le collectif mondial de hackers Anonymous a entre-temps fait serment d'identifier [21] le policier qui a tué Michael Brown. Prétentions contestées depuis par les autorités locales [22], qui continuent à cacher le nom de l'agent. 

Lundi 11 août

Les manifestations pacifiques se poursuivent [23] à Ferguson. La famille de Michael Brown tient une conférence de presse et exhorte les manifestants à rester pacifiques dans leurs actions. Y est présent leur avocat, Benjamin Crump [24], qui a aussi défendu Trayvon Martin, l'adolescent de Floride afro-américain comme Brown et tué par balle par un vigile auto-proclamé.

Le conseiller municipal Antonio French, présent aux rassemblements, sur lesquels il tweete des informations depuis le début, partage cette vidéo Vine de manifestants chantant à un rassemblement de rue :

Le FBI annonce son intention [25] de mener une enquête sur les tirs, parallèlement à la procédure de la police locale.

Dans la soirée arrive un escadron anti-émeute qui tire des gaz lacrymogènes et des balles de caoutchouc sur un attroupement de manifestants, dont certains auraient lancé des pierres sur les policiers. Au moins quinze manifestants sont arrêtés. Ci-dessous, un autre Vine, aussi mis en ligne par Antonio French, où les manifestants sont presque engloutis dans les nuages de lacrymogènes.

Mardi 12 août

Les manifestations continuent, à nouveau largement pacifiques. Les photos de policiers lourdement armés [26] vêtus d'uniformes militaires, de gilets pare-balles et de masques à gaz envahissent l'Internet.

L'administration fédérale de l'Aviation ordonne la fermeture de l'aéroport [local] Lambert [27], à cause de coups de feu en l'air. L'aéroport rouvre au bout de quelques heures.

Le Président Obama publie une déclaration [28] sur le “décès” de Michael Brown, relevant que le Département de la Justice enquête sur l'affaire. Il dit :

Je sais que les événements de ces derniers jours ont soulevé de fortes passions, mais à mesure que les détails apparaissent, je demande à chacun à Ferguson, Missouri, et dans tout le pays, de se souvenir de ce jeune homme avec réflexion et compréhension. Nous devons nous réconforter et nous parler mutuellement d'une manière qui guérit et non d'une manière qui blesse. 

 

Mercredi 13 août

Les manifestations continuent et il y a de multiples arrestations. Parmi les personnes arrêtées et qui passent la nuit au poste de police local se trouvent des journalistes du Huffington Post et du Washington Post, ainsi que l'élu local Antonio French, membre du conseil municipal.

M. French avait assisté aux manifestations toute la semaine, relaté les événements sur Twitter et Vine. Voici quelques-unes de ses images, qu'il a ensuite postées sur Twitter :

Des photos de hier soir à Ferguson que je ne suis pas arrivé à poster avant mon arrestation.

French et les deux journalistes seront remis en liberté jeudi matin tôt. Dans un récit de première main de son arrestation [31], survenue dans un restaurant McDonald’s près d'un lieu de manifestation, le reporter du Washington Post Wesley Lowery [32] décrit comment les policiers l'ont menacé alors qu'il tentait d'enregistrer leurs actes avec la caméra de son téléphone mobile.

Il publie ensuite la vidéo sur le site web du [Washington] Post [33]. Lowery écrit avoir expliqué aux policiers que tout ce qu'il avait subi serait publié dans le Washington Post du lendemain.  “Cette affaire va sortir. Elle sera à la une du Washington Post demain,” dit-il à un policier, qui rétorque : “Ah ouais, et vous, vous serez dans ma cellule de prison ce soir.”

Le rédacteur en chef du Washington Post Martin Baron qualifie le comportement du service de police de “totalement infondé et une attaque contre la liberté de la presse à couvrir les informations. Le risque physique subi par Wesley lui-même est évident et scandaleux.”

Sur Vox, Max Fisher souligne [34] que Lowery est le deuxième journaliste du WaPo arrêté cette année. L'autre est Jason Rezaian, actuellement emprisonné en Iran. Lowery et le correspondant du Huffington Post Ryan Reilly [35] pensent avoir été relâchés sans charges grâce à leur statut de journalistes. Dans la vidéo ci-dessous, on les entend demander aux policiers pourquoi ils sont relâchés sans recevoir de procès-verbal de leur arrestation.

Mya Aaten-White, une manifestante, publie une photo instagram [36] d'elle-même disant avoir reçu mercredi une balle à la tête lors d'un rassemblement à Ferguson, Missouri.

Citoyens, militants des droits civiques et journalistes continuent à exprimer leur indignation et leur colère contre les faits. L'écrivain de Brooklyn Jackie Summers rapporte avoir reçu des menaces de mort [37] après avoir posté les photos suivantes :

L'Acte sur les Droits civiques a 50 ans. Ces deux photos ont été prises à 50 ans d'intervalle. Voilà nos progrès.

Des journalistes d'Al Jazeera America sont aspergés de lacrymogènes par des policiers à Ferguson [40] mercredi soir, à un kilomètre et demi de l'épicentre des manifestations. Les journalistes fuient pour échapper aux gaz en abandonnant leur matériel, que les policiers de Ferguson se mettent à démonter. 

PHOTOS : Les policiers tirent des gaz lacrymogènes près d'une équipe d'Al Jazeera, puis démontent le matériel après sa fuite.

 

Jeudi 14 août

Beaucoup relèvent les étranges ressemblances entre les photos tweetées depuis Ferguson et celles qui proviennent en ce moment de Gaza. Le journaliste spécialiste de sécurité nationale Jeremy Scahill ironise :

Il suffirait qu'on change le nom en Fergustan pour que l'administration Obama intervienne

Ce même jour le gouverneur du Missouri [44] déclare que le nom de l'officier de police auteur du tir mortel sur Michael Brown doit être livré au public. Il annonce également que la police routière du Missouri va décharger le service de police du comté de Saint-Louis des opérations de maintien de l'ordre.

Cela suffira-t-il a faire baisser la tension à Ferguson ?