Face aux djihadistes, Voltaire et son combat contre le fanatisme plus actuels que jamais

Tunisie Ansar al Charia califat

Tunisie : Ansar al-Charia à une manifestation d'Islamistes à la Kasbah – Sur la pancarte tenue par le vieil homme : ” Le califat c'est la prospérité, la démocratie c'est l'occupation”. Photo Chedly Ben Ibrahim, 17/12/2013, copyright Demotix

Sarra Abrougui est Tunisienne et doctorante en littérature comparée à l'Université de Strasbourg.

Ça fait cinq ans déjà que j’ai entrepris mon travail de recherche sur la conception voltairienne de la religion et son rapport avec le fanatisme ; aujourd’hui et face à la montée de l’intégrisme religieux je me rends compte de l’utilité de son discours sur la tolérance et suis persuadée à quel point sa leçon d’humanisme est d’actualité.

Statue du Chevalier de La Barre, à Montmartre (Paris) Photo helicongus sur panoramio, CC BY-ND 3.0

Statue du Chevalier de La Barre, à Montmartre (Paris) Photo helicongus sur panoramio, CC BY-ND 3.0

Au XVIIIème siècle, Voltaire a condamné toute forme de fanatisme religieux soutenu par l’Eglise catholique, alors la première force politique et religieuse. Ce philosophe s’est battu pour séparer la religion de la politique et a préparé le terrain pour les valeurs de la laïcité. En défendant Calas, Sirven, le Chevalier de la Barre  et bien d’autres, il a instauré l’idée de la tolérance avec un grand T.

J’aimerais bien m’arrêter un peu sur cette conception de la tolérance qui est celle de Voltaire. En 1764 date de parution du Dictionnaire philosophique, Voltaire en propose une définition toute simple dans l’article « Tolérance » en affirmant qu’elle est « l’apanage de l’Humanité ». De ce fait elle est le caractère propre de l’homme, c’est le caractère qui nous rend humains !

Quand j’ai lu pour la première fois « Prière à Dieu », le chapitre 23 extrait de son Traité sur la Tolérance, écrit suite à l’affaire Calas, j’avais à cette époque 17 ans et je n’ai pas compris grand-chose puisqu'en Tunisie on ne parlait pas trop de religion. A cette époque c’était Ben Ali qui était au pouvoir et qui interdisait à son peuple de faire le choix puisqu’il en exige de ne pas « être trop musulman ». C’est-à-dire qu'on lui interdisait l’exercice libre du culte : les prières dans les mosquées par exemple n’étaient pas très appréciées et les femmes ne pouvaient pas porter le voile puisqu’il était interdit. A cette époque, on ne posait pas trop de questions car il semblait que malgré l’oppression, nous vivions comme un peuple homogène en dépit de toutes les différences.

Et le 14 janvier 2011, ce peuple bouleverse le monde en chassant le dictateur du pouvoir et depuis les révolutions se sont enchaînées dans le monde arabo-musulman sous le nom du Printemps arabe. Des peuples qui sont sortis dans la rue pour réclamer justice, liberté et dignité et pour mettre fin à la dictature mais malheureusement, ils se trouvent aussitôt affrontés à un monstre plus effrayant et plus destructif : celui du fanatisme religieux. C’est ce qui a mené certains à préférer la dictature politique à la dictature religieuse. J’ai même entendu en Tunisie des Tunisiens qui souhaitent le retour de Ben Ali tellement le fanatisme ou le « terrorisme », pour employer un terme plus moderne, leur fait peur.

Depuis ces révolutions, le fanatisme gagne progressivement du terrain et devient une vraie menace pour nos sociétés. Voltaire a condamné le fanatisme religieux au XVIIIème siècle car il était conscient que ce fanatisme est un vrai poison qui menace l’Humanité toute entière, il savait que le fanatisme est un vrai danger qui ne permet pas à l’homme de progresser. Il affirmait dans l’article « Fanatisme » du Dictionnaire philosophique que « le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu ».

Atelier de Nicolas de Largillière, portrait de Voltaire (détail) Musée Carnavalet Workshop of Nicolas de Largillière [domaine public], via Wikimedia Commons

Atelier de Nicolas de Largillière, portrait de Voltaire (détail) Musée Carnavalet [domaine public], via Wikimedia Commons

C’est ainsi que Voltaire décrit le fanatique : un homme qui tue sous le prétexte de l’amour de Dieu sans même savoir ce qu'est la vraie religion. Il y a trois siècles que Voltaire a lutté pour la tolérance mais ce qui se passe actuellement dans le monde nous fait penser que chaque homme doit mener un combat semblable à celui de Voltaire pour libérer l’homme de l’obscurantisme religieux et la haine qui nous empêche d’être frères.

Aujourd’hui la montée de l’intégrisme fait peur et inquiète le monde entier et nombreux sont les faits qui en témoignent : je me contente d’énumérer rapidement quelques uns ; des faits qui déplairaient certes à notre champion de tolérance par excellence !

Ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie par exemple reste quelque chose de nouveau pour ce peuple qui, quand il a crié « Ben Ali Dégage » le 14 janvier 2011 n’avait aucune intention religieuse mais tout simplement réclamer des droits comme le droit de la liberté de pensée, d’expression ou le droit de manifester etc. que les fanatiques, eux rejettent aujourd’hui et disqualifient comme « Haram ». En effet, le pays fait face depuis la révolution de 2011 à un essor de groupes djihadistes. Une quarantaine de soldats, de policiers et de gendarmes ont été tués dans le pays dans des attaques terroristes depuis la chute du régime Ben Ali, dont la dernière s’est produite le mercredi 16 juillet au soir à Hinchir tela sur le mont Châambi où quatorze soldats tunisiens ont été tués. Depuis la révolution la Tunisie représente la première cible des terroristes puisque dans plusieurs vidéos postées sur le net et les réseaux sociaux Ansar Charia promet de conquérir le pays et de châtier ce peuple, qui, selon ce groupe terroriste est considéré comme mécréant en adoptant un islam qui s’oppose dans son ensemble à la Charia. Le 17 août 2014 Kamel Zarrouk leader n° 2 d’Ansar Charia a prédit dans un enregistrement audio posté sur Youtube la destruction de la Tunisie en dénonçant les principes de la démocratie et de la laïcité qui s’opposent aux principes de l’islam.

Nombreux sont les exemples d’intégrisme qui ont menacé la Tunisie surtout depuis l’arrivée du parti islamique Ennahdha au pouvoir, soupçonné aujourd’hui d'être derrière ces actes terroristes ou au moins de couvrir ces crimes

Le rejet de la différence

Le plus grand exemple du fanatisme est celui de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, EIIL. Réputés pour leur cruauté forgée à coup de pendaisons et d’injustice à l’encontre de tous ceux qu’ils considèrent comme infidèles et qui n’adoptent pas les mêmes convictions religieuses et idéologiques, les membres de l’Etat islamique maltraitent les chrétiens et enlèvent les croix aux églises. Persécutés et menacés de mort à Mossoul par l’Etat islamique, ces chrétiens qui étaient plus de 35 000 se trouvent obligés de quitter leur ville. 

Qui plus est les maisons des chrétiens à Mossoul ont été marquées par le signe ن qui symbolise le terme « nazaréen » : un terme de connotation péjorative employé par les djihadistes pour désigner les chrétiens. Ces fanatiques rien ne les arrête puisqu’ils n’acceptent aucune différence religieuse et idéologique. Celui qui ne leur ressemble pas doit être rejeté voire massacré et lapidé. Ces hommes comme l’avait démontré Voltaire trois siècles avant se sont persuadés d'être les représentants de Dieu sur terre.

La religion de l’exclusion des femmes

Leur religion est fondée essentiellement sur l’idée de la mort et l’exclusion. Ces fanatiques excluent tous ceux qui ne leur ressemblent pas, ils excluent et massacrent ceux qui ne leur sont pas soumis. A titre d’exemple Roua Dhiyeb, une dentiste syrienne qui a été exécutée [anglais] par les membres djihadistes de l’état islamique suite à un crime consistant dans le simple fait de ne pas respecter les ordres du Calife Abou Baker Baghdedi exigeant des femmes de ne soigner que des femmes. Et combien de femmes encore seront victimes de cette politique de l’exclusion et de la mort ?! N’oublions surtout pas l’image dénigrante que ces islamistes donnent de la femme ! Aujourd’hui ce fanatisme est une vraie menace pour les droits de la femme ! Voltaire au XVIIIème siècle était conscient de cette réalité et a défendu la femme en s'indignant de la tradition religieuse qui méprise la femme en la considérant comme la cause première du péché (c’est la même image de la femmes qu’on trouve chez les djihadistes). et en rejetant la supériorité masculine sur les femmes comme dans son essai Femmes soyez soumises à vos maris de 1768. 

Rejet des arts

Ces fanatiques ont instauré aujourd’hui la culture de l’obscurantisme et de la terreur, ils menacent les arts et souvenons-nous les actes de barbarie et de violence accomplis par un groupe de salafistes lors d’une exposition au palais de Abedellia à La Marsa en Tunisie le 10 juin 2012. Ces salafistes ont détruit les œuvres d’art tout en criant des slogans contre les artistes en le traitant de mécréants car ils trouvent que ces œuvres artistiques sont une atteinte à Dieu et au prophète de l’Islam.

Une menace pour la liberté de l’information

Ils représentent notamment une vraie menace à la liberté de l’information et de la presse : l’état islamique a diffusé le 19 août une vidéo sur Facebook de l’exécution [anglais] du journaliste américain détenu en Syrie depuis 2012 James Foley. Cette exécution a un double aspect : c’est à la fois un chantage aux otages pour obtenir l’arrêt des frappes américaines et un avertissement à l’occident qui est souvent considéré comme mécréant aux yeux de ces djihadistes. 

Obscurantisme : rejet des sciences

La foi qu’ils éprouvent s’oppose fermement aux sciences, au savoir et aux critiques. On les voit par exemple à Raqqa, en Syrie interdire l’enseignement de la chimie [anglais] en prétendant que cette matière ne connaît pas la puissance de Dieu.

Rejet de la philosophie

L’enseignement de la philosophie quant-à lui a été interdit dans la même perspective. En effet, la philosophie a été toujours considérée par les fanatiques comme un vrai danger qui nuit à l’ordre général : c’était le cas de Socrate qui a été exécuté rappelons-nous car tout simplement il adoptait une religion tout à fait différente de celle qui était adoptée par la cité grecque. N’oublions surtout pas que la philosophie est comme l’affirme Voltaire dans le même article « Fanatisme » le seul « remède à cette maladie épidémique ».

L’esprit philosophique tel qu’il est conçu par le philosophe français soutient l’inexistence de la vérité absolue et conserve une religion fondée essentiellement sur l’idée de la raison et du cœur. Ces extrémistes ont aujourd’hui et depuis toujours une loi à eux seuls qui ne devra pas être discutée ni rejetée. Et si c’est le cas on est considéré comme mécréant !

« Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c’est si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre. Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sur de mériter le ciel en vous égorgeant ? » Voltaire décrivait le fanatique d’hier comme si il décrivait celui d’aujourd’hui !

Le premier intellectuel engagé de l’Histoire de France a excellé dans tous les genres littéraires, théâtre, conte, roman, traités, pamphlets et versifications. Tous ces genres ont été mis au service d’un seul et unique combat : le combat contre l’infâme (le fanatisme incarné par l’Eglise et le clergé). Ses combats parlent aujourd’hui et pour toujours pour lui. Voltaire avec cette œuvre gigantesque qu'il nous a laissée ne cessait de se moquer des dogmes de la religion et s’acharnait inlassablement contre le fanatisme, la superstition et les injustices.

C’est tout en condamnant le fanatisme que Voltaire a instauré son fanatisme à lui « un fanatisme de la tolérance ». S’il était vivant aujourd’hui et voyait ce qui se passe actuellement il aurait écrit encore des chefs d’œuvre sur la tolérance et le fanatisme. Voltaire devrait être enseigné dans les écoles et il faut apprendre à chaque enfant à aimer les leçons de Voltaire pour que les fanatiques cessent d’exister. Le discours de Voltaire reste un remède efficace à ce poison qui menace le monde et l’humanité. Aujourd’hui le fanatisme triomphe et Voltaire nous manque !

3 commentaires

  • Billet très intéressant! Il est difficile de ne pas aimer Voltaire, sous son aspect mondialement connu. Mais il y a un autre aspect de ce grand écrivain, que nous ne devrions pas non plus oublier. C’est son racisme et son sexisme. Dans le livre que l’ancien ministre R. Badinter et son épouse lui ont consacré, ils font connaitre la personnalité odieuse de ce type qui a meme participer à la traite négrière.

    Dans un article de ROGER-POL DROIT paru sur lepoint.fr en 2012, rappelle cette face cachée de cette personnalité. On peut y lire:

    “Ainsi, dans l'”Essai sur les moeurs et l’esprit des nations” (1756), il est vraiment très loin d’affirmer l’unité du genre humain : “Il n’est permis qu’à un aveugle,écrit Voltaire,de douter que les Blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Chinois, les Américains ne soient des races entièrement différentes.” On le découvre aussi, au fil des pages, misogyne, homophobe, antijuif, islamophobe… L’inventaire de ces textes oubliés surprend, puis inquiète, finalement interpelle. Ce super-héros serait-il un super-salaud ? L’homme des Lumières, un ami des ténèbres ? Devrait-on décrocher son tableau d’adversaire résolu des fanatismes et de prince de la tolérance pour le remplacer par un autre, celui d’un homme obtus, truffé de préjugés, de mépris et de haines ?”

    • Sarra Abrougui

      Je te te remercie pour ton commentaire Abdoulaye. Néanmoins je tiens à préciser qu’il reste dur de comprendre les intentions de Voltaire et les saisir si on ne se rend pas compte de plusieurs éléments à savoir le contexte, le genre littéraire et la stratégie de Voltaire pour justement condamner le fanatisme et les dogme. Sans oublier de faire attention à l’ironie de Voltaire cela dit qu’il disait souvent des choses juste pour se moquer! En outre j’ai bien lu l’essai des mœurs et l’esprit des nations et ne trouve aucun racisme ni sexisme! Il y a juste une tentation d’écrire l’Histoire. Voltaire contrairement aux autres philosophes des lumières n’a pas “l’esprit carré”! Sa pensée est hésitante et il reste très dur de la cerner si on néglige le contexte et la cause qui l’a mené à écrire et à penser de la sorte. Sinon j’ai lu plusieurs œuvres de Voltaire et je n’ai jamais vu qu’il est raciste! Néanmoins si c’est le cas son combat contre le fanatisme et les injustices triomphe malgré tout . De même, je pense que ceux qui ont dit ce – ci ont fait une lecture littérale sans chercher à se rendre compte du contexte. Mais je vais m’intéresser à ce point et te dirai ce que je pense avec plus de détails :)

  • Bravo et merci Sarra, je suis heureux que ce message vienne, indirectement, de Tunisie, le pays du Maghreb le plus libéré de ce qu’il ne faut pas du tout appeler religion, mais délire fanatique d’esprits inondés de haine destructrice suicidaire. Voltaire avait une expression face à ce trouble mental collectif : ” Ecrasons l’infâme”!, à son époque il visait surtout les chrétiens fanatiques…!

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