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Fatigué d'observer la corruption parmi les dirigeants de l'armée espagnole, le lieutenant Luis Gonzalo Segura a décidé après presque 12 ans de service de dénoncer publiquement une situation que très peu d'Espagnols connaissent. C'est pourquoi il a été condamné à deux mois de détention dans une prison militaire, et il pourrait être exclu de l'armée.
M. Segura a écrit un livre intitulé « Un paso al frente ». Dans ce dernier, il décrit sous forme d'un roman les excès qui se commettraient au sein des forces armées espagnoles, cette institution si opaque.
Voici comment M. Segura s'est exprimé dans une interview dédiée au site internet La Marea :
Desde que se suprime el servicio militar hay un corte de flujo de información desde el mundo militar al exterior. (…) Al no tener libertad de expresión los militares, ese flujo todavía se corta de forma más radical, de tal forma que al final, a día de hoy, las fuerzas armadas son un estado paralelo y completamente estanco a resto de la sociedad.
Depuis que le service militaire a été supprimé, trop peu d'informations sortent du monde militaire. Le fait que les militaires ne jouissent pas de la liberté d'expression réduit encore la quantité d'informations qui sort de l'armée, de telle sorte qu'aujourd'hui l'armée est une sorte de monde parallèle, dont la majeure partie de la société ne sait rien.
En 2010, on a demandé à Luis Gonzalo Segura de réaliser un inventaire du matériel informatique. Il a alors découvert, selon ses propres dires, « un déphasage de 25 - 35 pour cent », ce qui représentait « des millions d'euros ». Le jeune militaire a essayé de dénoncer cela devant la justice militaire, mais le juge et le procureur ont classé le dossier sans même vérifier l'information que M. Segura avait enregistrée sur un disque dur qu'il avait mis à la disposition des magistrats.
Selon le site internet vozpópuli, le lieutenant « fait allusion, dans son livre, à des présumées malversations,à des détournements de fonds publics, négligences, faux détachements, escroquerie avec le carburant et l'alimentation, vente de matériel en ligne, résidences secondaires, clubs de golf, spas et salles VIP. » Durant la présentation de son livre, M. Segura a affirmé que tous ces excès auraient mis l'armée dans une grave situation économique.
Los datos económicos de la institución militar que, según afirma, tiene una deuda de 29.000 millones de euros y destina el 77% de sus 6.000 millones de presupuesto anual a personal, evidencian, por otra parte, que el Ejército es “un modelo anticuado y obsoleto, e insostenible a nivel económico”.
La situation économique de l'armée, qui aurait une dette de 29 milliards d'euros et dont les frais du personnel représenteraient 77 % de ses 6 milliards d'euros de budget annuel, mettraient par ailleurs en évidence que l'armée est un « modèle antique et obsolète, insoutenable du point de vue économique. »
À ce gaspillage d'argent public s'ajouterait la grave « macrocéphalie » de l'armée que M. Segura explique dans une interview pour Barrio Canino :
Hay un excedente de mandos enorme. De hecho, ahora mismo uno de los problemas que tenemos es que hay 42 000 soldados, a los que se les trata como a perros, y con contratos basura (…) y tenemos 52 000 mandos (…) cualquiera que tenga dos dedos de frente se da cuenta de que esto es insostenible.
Il y a un excès énorme de dirigeants. De fait, un des problèmes, à l'heure actuelle, est que nous avons 42 000 soldats traités comme des chiens avec des contrats misérables (…) et qu'à ceux-ci s'ajoutent 52 000 dirigeants. Toute personne qui a deux sous de jugeote se rend compte que cela est insoutenable.
Dans l'interview avec Periodista Digital, il conclut :
Lamentablemente en España muchos cargos son heredados en el ejército. Tenemos 270 generales y con veinte sería suficiente; tenemos 1050 coroneles y con 50 sería suficiente. Esto evidencia el excedente de oficiales como ejemplo de cómo la cúpula militar se mueve buscando su propio interés.
Malheureusement, en Espagne, de nombreux postes de l'armée sont héréditaires. Nous avons 270 généraux, 20 suffiraient ; nous avons 1050 colonels et 50 seraient suffisants. Ces chiffres démontrent clairement l'excès d'officiers, un exemple de la manière dont les hauts responsables de l'armée agissent en poursuivant leurs propres intérêts.
Selon le lieutenant, l'impunité qui existe dans cette institution serait la cause de la corruption. Car la justice, la police et les auditeurs font eux-mêmes partie des forces armées en tant que hauts responsables. Autre cause : il n'y aurait pas eu une véritable transition dans l'armée.
(…) ha habido una especie de pacto entre los dirigentes de la sociedad civil y los del mundo militar por el que nadie se quería meter en el terreno de nadie. Aunque pudo tener un sentido hasta el año 90 por el riesgo del golpe de Estado, a día de hoy no se entiende que se siga sosteniendo
Les dirigeants de l'armée et ceux de la société ont conclu une espèce de pacte à cause duquel personne ne veut se mêler des affaires de l'autre. Même si ce pacte pouvait être utile jusque début des années 90 à cause du risque d'un coup d'État, aujourd'hui personne ne peut comprendre que ce pacte persiste.
De plus, M. Segura affirme dans La Marea que les militaires sont eux-mêmes complices de la corruption qui règne au sein de l'institution, parce qu'il y a « un faux sens de la loyauté envers le compagnon qui prime sur la loyauté envers l'Espagne, l'institution et les citoyens. » Le site nuevatribuna.es explique que le lieutenant ne se limite pas à la critique des mauvaises pratiques, mais propose aussi des solutions :
En su novela, eleva una carta al Ministro de Defensa, sugiriéndole hasta 19 medidas, «que harían del ejército una institución más justa y honorable». El problema de las fuerzas armadas, no es solo estructural, «están enfermas y necesitan ser regeneradas», dice el teniente.
Dans son roman se trouve une lettre au ministre de la Défense dans laquelle il suggère jusqu'à 19 mesures « qui rendraient l'armée plus juste et honorable ». Selon le lieutenant, le problème des forces armées n'est pas seulement structurel : « elles sont malades et doivent être soignées. »
Certaines déclarations du lieutenant pendant les interviews de présentation de son livre ont motivé l'ouverture d'une enquête disciplinaire, à la suite de laquelle une sanction de deux mois de détention a été prononcée. M. Segura se trouve dans la prison militaire de Colmenar Viejo depuis le 18 juillet. Une autre enquête contre M. Segura est en cours. Celle-ci pourrait mener à son expulsion de l'armée.
Ces sanctions imposées à un militaire dont le seul crime a été de critiquer ouvertement dans les médias les autorités militaires démontrent que les militaires n'ont pas le droit à la liberté d'expression, droit pourtant fondamental. Ces sanctions ne sont possibles que grâce à la réserve que maintient le gouvernement espagnol sur les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme [fr].
De plus, selon eldiario.es, une « terrible chasse » a eu lieu dans les casernes de Zaragoza, Valencia, Córdoba et Canarias, où « des compagnons ont été durement menacés, notamment d'expulsion et de détention, pour qu'ils n'assistent pas [à la présentation du livre], n'achètent pas le livre et n'en parlent pas. »
M. Segura, qui pour l'instant est encore lieutenant, était en grève de la faim pendant 22 jours, pour protester contre la « justice expéditive » à laquelle les instances militaires la soumettent. Il avait mis fin à la grève de la faim pour des raisons médicales. Son livre est devenu un vrai bestseller. Depuis que le livre a fait son apparition sur le marché le 21 avril, 20 000 exemplaires ont été vendus, et bientôt une septième édition sera publiée. Sur le site de l'éditeur (Tropo Editores), on peut lire le premier chapitre du livre [espagnol].