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Le combat désolant et paradoxal des Nord-Caucasiens en Ukraine de l'Est

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Ukraine, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, RuNet Echo
Ukrainians, Georgians and Chechens rally at Berlin's Alexanderplatz against the Russian invasion in eastern Ukraine. 30 August 2014 by Thorsten Strasas, Demotix. [1]

Des Ukrainiens, Géorgiens et Tchétchènes manifestent sur Alexanderplatz à Berlin contre l'invasion russe en Ukraine orientale. 30 août 2014, par Thorsten Strasas. Demotix.

Des récits courants, sans oublier des images vidéo [2], corroborent la présence en Ukraine de combattants du Nord-Caucase. Des régions comme la Tchétchénie et l'Ingouchie, où la Russia est indubitablement déjà en guerre, font désormais le lien entre Moscou et le récent conflit à Donetsk et Louhansk. Autrement dit, une des régions les plus violentes de la Russie contribue à présent au bain de sang de la toute nouvelle zone de guerre en Europe.

Des miliciens tchétchènes auraient rejoint les groupes séparatistes pro-Russes en Ukraine, plus précisément le bataillon Vostok, dont le nom recycle celui d'un bataillon [3] [anglais] qui a combattu les extrémistes islamistes en Tchétchénie entre 1999 et 2009. Il s'agit des “Kadyrovtsy,” une milice d'irréguliers bien entraînés, loyale au dirigeant actuel de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov.

Info opérationnelle. Il s'avère que les Tchétchènes installés à Slaviansk, Kramatorsk, et apparus à Marioupol sont [du] bataillon Vostok de Kadyrov.

Kadyrov dément [5] la présence en Ukraine de bataillons tchétchènes organisés, mais admet que des Tchétchènes sont sur le terrain et combattent de leur propre chef, en volontaires. Il y a quelques semaines, Kadyrov a reconnu [6] que 14 combattants tchétchènes avaient pu être tués au combat en Ukraine en mai dernier.

Alors que les preuves s'accumulent d'un nombre réel de combattants tchétchènes en Ukraine très certainement bien plus important, le paradoxe de Tchétchènes se battant pour la Russie n'a pas échappé aux internautes russes :

Les Tchétchènes venus dans le Donbass protéger les Russes des Ukrainiens. Même Dieu n'aurait pas cru possible une chose pareille. Un monde fou, fou, fou !

Les Tchétchènes ne sont pas les seuls Nord-Caucasiens vus participer aux combats : le président de l'Ingouchie, Younous-Bek Yevkourov a récemment admis [8] que certains des nouveaux combattants volontaires en Ukraine proviennent de son territoire, et on en signale [9]en provenance d'Ossétie du Nord.

Difficile de savoir si des branches locales des services de sécurité, en mal de quotas à remplir, ont contraint des militaires du Nord-Caucase à participer à la guerre d'Ukraine, ou si ces hommes y sont allés de leur propre initiative. Le portail web Kavkazcenter a publié un article [10] sur des centres de recrutement de volontaires qui ont ouvert à Grozny et fermé [11] subitement. En mars 2014, Oleg Leoussenko a publié [12] sur LiveJournal une lettre d'une Tchétchène prénommée Elmira, affirmant que les volontaires tchétchènes de Grozny sont menacés et intimidés s'ils refusent de se battre en Ukraine. Le Conseil russe des Droits de l'Homme indique aussi que des mercenaires [13] du Daghestan opèrent en Ukraine. Selon cet organisme, les miliciens sont payés 250.000 roubles, une somme coquette pour les habitants de la république la plus pauvre [14] de Russie. 

Ces dernières années, la Russie a augmenté les effectifs de la police et des services secrets locaux dans la région, les nouveaux arrivés en Ukraine ont donc probablement l'expérience du combat irrégulier. De force ou avec un salaire, la Russie a clairement hâte d'utiliser en Ukraine l'entraînement et l'habilité des Nord-Caucasiens au combat (et surtout au combat urbain [15] [en anglais], dont sont dépourvus la plupart des ex-appelés et des volontaires). Et les Nord-Caucasiens militairement entraînés aperçus à présent en Ukraine proviennent très probablement de ces formations irrégulières, puisque les rangs de l'armée officielle russe comptent étonnamment peu de membres de minorités ethniques.

Tous les Tchétchènes ne combattent pas pour autant contre Kiev. Il existe au moins un groupe : une brigade portant le nom du premier président de la république tchétchène d'Ichkérie, Djokhar Doudaev, composée de membres de la diaspora tchétchène en Europe revenus pour résister à la Russie, dit Mairbek Vatchagaev [16].

Beaucoup d'Ukrainiens ont déployé une remarquable capacité à distinguer entre les Tchétchènes comme nation et les “Kadyrovtsy” pro-russes qui sont apparus dans l'Est. Ainsi, sur Facebook [17], un utilisateur ukrainien a écrit du bataillon Doudaev :

Это настоящие чеченцы, а не кадыровцы. Это как украинцы и сепаратисты.

Ce sont des vrais Tchétchènes, pas des Kadyrovtsy. C'est comme [la différence entre] Ukrainiens et séparatistes.

Movladi Oudougov, un idéologue de l'Emirat du Caucase, a récemment redéfini [18] les Kadyrovtsy dans le contexte du conflit ukrainien, en affirmant que les hommes de Kadyrov n'étaient pas de vrais Tchétchènes : 

Что касается кадыровцев, то это не наемники, а путинские собаки, русские марионетки без рода, без племени. В Чечне русские оккупанты называют их “разовыми”, потому что их используют как расходный материал в боях против муджахидов. 

Concernant les Kadyrovtsy, ce ne sont pas des  mercenaires mais les chiens de Poutine, des marionettes russes sans attaches ni tradition. En Tchétchénie, les occupants russent les appellent les “aller-simple”, parce qu'ils les utilisent comme du matériel consommable dans leurs batailles avec les moudjahidines.

Oudougov n'a peut-être pas tort de parler du caractère “jetable” des Kadyrovtsy aux yeux de Moscou. Alors que le conflit s'éternise en Ukraine de l'Est, des témoignages épars [19] font état de Tchétchènes qui ont déserté les séparatistes à cause de mauvais traitements.

Dans le Nord-Caucase, l'insécurité permanente et les régimes répressifs locaux installés par le Kremlin sont un fardeau ancien pour la population. Hélas, la violence structurelle de cette région essaime désormais aussi en Ukraine.