L'armée internet de l’ “Etat Islamique”, après quelques revers en Occident, s'est tourné vers le réseau social russe VKontakte pour recruter et financer ses combattants, à en croire l'enquête d'un organe de média en Russie.
Dans un long article en une, Apparat, un site web russe d'informations sur l'Internet et les technologies, révèle les preuves selon lui d'une infiltration massive de l'EI dans l'espace “libre” et “confortable” des réseaux sociaux russes, après les pressions exercées sur leurs comptes Facebook et Twitter.
Selon l'article, il existe maintenant un large réseau clandestin de l'EI sur VKontakte, avec des comptes et des pages en arabe et en russe. Le réseau s'active à des actions de recrutement, de propagande et de collecte de fonds pour l'EI. Apparat indique que les premières pages ont éclos sur Vkontakte, quand Twitter et Facebook se sont mis à bloquer les comptes tenus par l'EI. Parmi les premières pages apparues sur VK de trouvent celles des branches de propagande de l’ “Etat Islamique” : en arabe, al-Itisam et en anglais, al-Hayat [à ne pas confondre avec le quotidien pan-arabe du même nom, NdT]. L'EI a également créé plusieurs clones des communautés sous la marque commune “Actualités de l'Etat Islamique”, fait ressortir l'enquête d'Apparat.
Apparat a découvert que VKontakte abrite aujourd'hui de nombreuses pages publiques de provinces du “califat”, ainsi que des comptes appartenant à des combattants et partisans de l'EI. Les journalistes relèvent que les “groupes de fans” de l'EI n'ont rien de nouveau sur VKontakte : la plus grande communauté russophone d'EI, ShamToday, est présente depuis l'automne 2013, et compte aujourd'hui plus de 12.000 abonnés.
Au cours d son enquête, Apparat dit avoir pu contacter des collecteurs et recruteurs de l'EI, à l'aide de la messagerie VKontakte et des numéros de téléphone publiés sur les communautés VK. Découvrir comment soutenir financièrement ou même rejoindre l'EI a été relativement aisé, disent les reporters d'Apparat. (Le site web prétend avoir parlé à des recrues habitant la Russie, qui disent que l'on peut atteindre l'Etat Islamique en passant par la Turquie).
Au début de ce mois, l'EI a publié une vidéo adressée au président russe Vladimir Poutine, affirmant qu'il se dirigeait vers le Nord-Caucase pour libérer la région russe et faire la guerre à la Russie. D'où la réaction du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, qui a déclaré sur Instagram que quiconque menace la Russie ou mentionne le nom de Poutine “sera détruit sur place”.
VKontakte, le plus grand réseau social russophone du monde, couvre de nombreux pays post-soviétiques, et beaucoup de ces recrues proviendraient du Kazakhstan et d'Ouzbékistan. Mais il y a aussi des Russes qui rejoignent l'EI, écrit Apparat, citant “un diplômé d'institut pédagogique à Oufa, un jeune père de Derbent, et un étudiant d'université de Kazan” parmi les profils trouvés sur VKontakte.
Apparat dit avoir sollicité pour commentaires le service de presse de VKontakte et Roskomnadzor, le chien de garde des communications russes. Ce dernier n'a pas répondu à la requête, tandis que VKontakte a décliné : “Nous regrettons de ne pas commenter cela”.
En Russie, l'EI et son chef Abou Bakr al-Baghdadi sont sur la liste des organisations et individus extrémistes et terroristes. D'après la législation anti-terroriste russe, toute page de ces entités sur Internet encourt un blocage ou retrait immédiats. Pourtant, Apparat a constaté que Vkontakte n'a bloqué que deux sur plusieurs centaines de pages liées à l'EI et coupables de publier des appels à la violence.
La découverte par Apparat d'un réseau massif de l'EI sur VKontakte, existant sans entraves sur un RuNet par ailleurs de plus en plus sujet à restrictions, ne laisse pas d'étonner, surtout si on se souvient des contenus plutôt anodins qui ont mis en branle les censeurs publics dans le passé. Il y a juste un mois, par exemple, les services du Procureur de Russie ont bloqué la page VK de la “Marche pour la fédéralisation de la Sibéria” sur des accusations de séparatisme. Et en avril de cette année, Roscomnadzor a bloqué un certain nombre de pages en rapport avec le mouvement ukrainien “Secteur de Droite”, taxé d'extrémiste.
En attendant que les autorités russes publient plus d'éléments sur leur politique envers les contenus en ligne en rapport avec l'EI, difficile de nier le deux poids, deux mesures du Kremlin, qui au mieux semble relever d'une ignorance délibérée.
Mise à jour du 11 septembre 2014 : Quelques heures après la publication de l'article d'Apparat, le directeur des relations publiques de VKontakte George Lobouchkine a exprimé la position officielle du réseau social au sujet des pages “Etat Islamique”. “Nous bloquons toutes les communautés EI connues (y compris celles évoquées par l'article) qui contiennent des appels au terrorisme”, a dit M. Lobouchkine.