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En Malaisie, critiquer le gouvernement peut toujours vous conduire derrière les barreaux

Catégories: Asie de l'Est, Malaisie, Droit, Droits humains, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Launching of people's movement calling for the repeal of the Sedition Act of 1948. Photo from Suaram.net [1]

Lancement du mouvement populaire demandant l'abrogation de la Loi sur la sédition de 1948. Photo de Suaram.net

Le Premier ministre malaisien, Najib Abdul Razak, a promis en 2012 [en vue des élections législatives l'année suivante] que son gouvernement abrogerait la Loi sur la sédition de 1948 [2], une loi de l'époque coloniale utilisée pour museler les opposants au gouvernement. Deux ans plus tard, la loi est toujours en vigueur et les autorités continuent d'y recourir contre l'opposition politique.

Au cours de ces dernières semaines, plusieurs dizaines de personnes ont été accusées d'enfreindre la Loi sur la sédition. Depuis le 19 août dernier, dix arrestations ont été faites dans un intervalle de 26 jours. Parmi ceux incriminés pour avoir exprimé une opinion critique, on compte des avocats, des journalistes, des prédicateurs et même des académiciens [3].

En juillet de cette même année, Ding Jo-Ann avait expliqué [4] dans The Nut Graph que par le passé, les dispositions générales et vagues de la Loi sur la sédition avaient fait l'objet d'un usage abusif pour faire pression sur les militants et les détracteurs du parti au pouvoir :

It is a crime to excite disaffection against the government, or the administration of justice, or even just to raise “discontent or disaffection” amongst the inhabitants of Malaysia. It contains broad offences such as promoting “feelings of ill will and hostility between different races or classes”.

The repeal of this Act is certainly desirable given its antiquated nature and perceived abuse in the selective prosecution of government critics.

Attiser le mécontentement envers le gouvernement ou à l'égard de l'administration de la justice, ou même juste provoquer ” le mécontentement ou la désaffection” parmi les habitants de la Malaisie, est un crime, qui comporte de vastes infractions comme la promotion ” des sentiments d'animosité et d'hostilité entre les différentes ethnies ou classes sociales”.

L'abrogation de cette loi est plus que souhaitable compte tenu de sa nature archaïque et de son usage perçu comme abusif dans les poursuites sélectives contre les critiques du gouvernement.

Inquiètes de cette augmentation soudaine des arrestations pour sédition, près de 128 organisations de la société civile se sont unies [5] pour demander l'abolition immédiate de cette loi “archaïque”. Elles ont publié une déclaration et une pétition en ligne [6] exigeant le retrait des accusations de sédition portées contre les individus qui exprimaient seulement leur opinion sur les politiques du gouvernement :

No one should be criminalized for expressing his or her opinion, no matter how his or her opinions may differ from the government's, as long as he or she is not advocating violence or religious or racial hatred.

Personne ne devrait être incriminé pour avoir exprimé son opinion, qu'elle soit ou non en accord avec celle du gouvernement, tant que cette personne ne se fait pas l'avocat de la violence ou de la haine raciale ou religieuse.

Quelque 300 universitaires ont signé [7] la déclaration en soutien à un confrère spécialiste en droit accusé de sédition pour avoir commenté [8] la crise politique qui a eu lieu en 2009. Le présumé commentaire ” subversif ” de l'universitaire avait été cité dans un article. ” N'est-il pas contraire à l'objet même de son travail et, de fait, de celui de milliers d'universitaires d'un système éducatif national, s'il doit être condamné sommairement pour ce qui relève clairement de sa responsabilité en tant que spécialiste ? “, peut-on lire dans la déclaration.

Les militants ont mis en place sur Twitter le hashtag  #MansuhAktaHasutan [9] (Abolir la Loi sur la sédition) pour adjoindre le peuple à chanter [10], danser et s'impliquer pour abroger la loi.

Bravo ! RT @KPUM79 Voici notre infographie sur les causes qui peuvent probablement vous faire inculper en vertu de la Loi sur la sédition. #MansuhAktaHasutan pic.twitter.com/PZJFQGPDIz

— Gayathry V (@gayathry) 13 septembre, 2014

Ramon Navaratnam, le président du Centre d'Études politiques publiques de l'Institut asiatique de stratégie et de leadership [ASLI en anglais], a rappelé au gouvernement que la Loi sur la sédition  n'aide pas [15] la Malaisie :

We have been urged to think out of the box, innovate and give feedback to the government and to help transform the economy and indeed our beloved country.

But how will this structural change be possible if honest dialogue is apparently stifled by the heavy handed use of the powerful Sedition Act?

On nous a exhortés à penser différemment, à innover, à donner notre avis au gouvernement et à contribuer à transformer l'économie ainsi que notre bien-aimé pays.

Mais comment ce changement structurel peut-il être possible si un dialogue honnête est apparemment étouffé par un recours abusif à la puissante Loi sur la sédition ?

C'est la “saison de la sédition” [16], a écrit K Kabilan en relevant les nombreuses arrestations faites par la police depuis août :

This is the season where one wrong word can land you in trouble, never mind if you had uttered your allegedly seditious words three years ago, or had only been putting your educated thoughts in writing. As long as it offends someone in power, you look certain to be in trouble.

C'est la saison où un mot politiquement incorrect peut vous causer bien des problèmes, qu'importe si vous avez prononcé ces prétendus mots séditieux il y a trois ans ou que vous les ayez mis par écrit. Si cela offense quelqu'un au pouvoir, vous pouvez être sûr de rencontrer des ennuis.

La section jeunesse du parti socialiste de Malaisie a accusé le Premier ministre Najib d'être un “roi de la sédition” [17]. Le groupe l'a également prévenu que la répression légale incitera le peuple à résister :

These people (who have been arrested or charged under the Sedition Act) are not thieves, robbers, nor murderers, they merely spoke up.

The government has forgotten that this is an old tactic to frighten the people, especially the youth and the students, (but) the more oppressive they get, the more people would come forward to speak up.

Ces personnes (qui ont été arrêtées ou inculpées en vertu de la Loi sur la sédition) ne sont ni des voleurs, ni des assassins. Ils ont simplement fait entendre leur voix.

Le gouvernement a oublié que c'est une ancienne tactique pour assujettir le peuple, en particulier les jeunes et les étudiants, (mais) plus on use de l'oppression, plus le peuple a tendance à vouloir se faire entendre

Mais qu'est-ce qui a poussé les autorités à cette vague d'arrestations durant ces dernières semaines ? Nathaniel Tan pense que c'est lié [18] au prochain congrès du parti au pouvoir : ” Je doute sincèrement que les niveaux de commentaires “séditieux” aient été plus importants depuis ces dernières semaines ou ces derniers mois. Mais plutôt que l'Assemblée Générale de l'Organisation nationale des Malais Unis [UMNO en anglais] se rapproche.”

L'UMNO, le plus grand parti politique du pays, n'a jamais perdu une élection en Malaisie. Certains partisans de la ligne dure du parti ont émis de vives critiques envers la gouvernance du Premier ministre et ils ont exprimé des réserves quant à la décision du gouvernement d'abolir la Loi sur la sédition.

En alternative [19] à la Loi sur la sédition, certains experts gouvernementaux ont proposé la promulgation d'un projet de loi sur l'Harmonie nationale, un sur l'Unité nationale [20] et un autre projet de loi sur la Commission de l'Unité nationale et de l'Intégration. Le gouvernement a promis [21] davantage de consultations à propos de ces propositions, [22] mais les groupes des droits de l'homme craignent que certaines de ces mesures ravivent surtout les dispositions “draconiennes” de la Loi sur la sédition.

Les Malaisiens célèbrent cette semaine leur fête nationale [le 16 septembre dernier] et le gouvernement profitera peut-être de cette occasion pour renouveler son engagement à promouvoir la démocratie et les droits de l'homme. Le Premier ministre Najib pourrait faire une déclaration forte en tenant sa promesse d'abolir la Loi sur la sédition.