- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Brésil : La candidate “alternative”, Marina Silva, ne sera pas au 2ème tour

Catégories: Amérique latine, Brésil, Élections, Médias citoyens, Politique
Woman votes at the electronic booth on Sunday, 5th of October. More than 100 million Brazilians took to the polls today. Image by Taisa Sganzerla.

Une électrice  en train de voter à l'urne électronique, dimanche 5 octobre. Plus de cent millions de Brésiliens se sont présentés dans les bureaux de vote. Photo de Taisa Sganzerla.

La course brésilienne à la présidence, l'une des plus disputées depuis 1989, s'approche de son dénouement et la titulaire du poste, Dilma Rousseff, du Parti des Travailleurs, trouvera sur sa route au deuxième tour Aécio Neves, du Parti Social-Démocrate. Les deux candidats s'y présentent avec respectivement, 42 % et 34 % des votes. [1]

Marina Silva, du Parti Socialiste Brésilien, invitée de dernière minute dans la campagne, avait réussi à se maintenir dans le peloton de tête des intentions de votes pendant plusieurs mois. Elle a finalement terminé à 21 %, ce qui la place d'office hors de la course. Les Brésiliens ont aussi choisi les gouverneurs des 27 Etats, un tiers des 81 sénateurs, ainsi que 513 députés de la chambre basse du Congrès, la chambre des députés.  

Candidat à la présidence pour la première fois de sa carrière, l'actuel gouverneur du deuxième Etat le plus peuplé du Brésil, le Minas Gerais, Aécio Neves a gagné des voix dans un secteur significatif de la société brésilienne, celui des déçus du gouvernement travailliste, au pouvoir depuis 2003. Historiquement, le Parti Socialiste Brésilien représente des groupes conservateurs issus des classes moyennes et supérieures, contrairement au Parti des Travailleurs, qui plonge ses racines dans les classes laborieuses. Mais récemment, Dilma Rousseff a été violemment critiquée par des secteurs plus progressistes de l'électorat, qui pensent que ses idéaux ont été “compromis” par les nombreuses alliances qu'elle a dû faire avec les conservateurs depuis 11 ans. 

People line up to justify their absence from the ballots. Unlike most democracies, voting in Brazil is mandatory, so whoever is not able to vote has to justify. Image by Taisa Sganzerla.

Les électeurs n'ayant pas voté font la queue pour justifier leur absence. Contrairement à la plupart des démocraties, au Brésil le vote est obligatoire, ceux qui n'ont pas pu voter doivent en justifier la raison.  Photo de Taisa Sganzerla.

Marina Silva s'est présentée comme une “alternative” à la vieille rivalité qui oppose les deux principaux partis et a su se maintenir à la deuxième place dans les sondages depuis qu'elle s'était imposée, de façon tout à fait  inattendue, comme la candidate du Parti Socialiste Brésilien (suite au décès accidentel de son candidat officiel, Eduardo Campos [2], dans un accident d'avion en août 2013), atteignant les 34 % des intentions de vote [3] (contre les 35 % de Rousseff) dans un sondage Datafolha en août dernier. Célèbre écologiste, [4] Marina Silva a commencé sa carrière politique aux côtés du leader activiste Chico Mendes, combattant l'exploitation de la région amazonienne, elle a ensuite occupé le fauteuil de ministre de l'écologie du parti de Dilma Rousseff de 2003 à 2008. 

Sa chute dans les sondages est attribuée, entre autres, à son incapacité à gérer toutes les contradictions de sa campagne. Son vice-président, le député Beto Albuquerque, entretenait, par exemple, des liens historiques avec l'agribusiness [5], ayant pris une part active, en 2004, à l'approbation d'une loi autorisant la plantation de soja génétiquement modifié au Brésil. Cela avait désappointé de nombreux écologistes soutenant Marina Silva. Parmi eux, le Syndicat des travailleurs ruraux de Xapuri, fondé par Chico Mendes, dans l'Etat de l'Acre, a fait paraître une note le 28 août, critiquant ses propositions environnementales. En voici un exemple [6] :

Os trabalhadores rurais da base territorial do Sindicato de Xapuri (Acre) não concordam com a atual política ambiental em curso no Brasil idealizada pela candidata Marina Silva enquanto ministra do Meio Ambiente, refém de um modelo santuarista e de grandes ONGs internacionais. Essa política prejudica a manutenção da cultura tradicional de manejo da floresta e a subsistência e favorece empresários que, devido ao alto grau de burocratização, conseguem legalmente devastar, enquanto os habitantes das florestas cometem crimes ambientais.

Les travailleurs ruraux de Xapuri (Acre) ne sont pas d'accord avec la politique environnementale actuellement en cours au Brésil, idéalisée par la candidate à la présidence Marina Silva lorsqu'elle était ministre de l'écologie, otage d'un modèle préservationniste et des grandes ONG internationales. Cette politique porte atteinte au maintien de la culture traditionnelle d'entretien de la forêt et à la subsistance et elle favorise les chefs d'entreprises qui, profitant d'une bureaucratisation toujours plus importante, parviennent à dévaster légalement les lieux tandis que les habitants de la forêt commettent des crimes écologiques.

De même, après avoir publié sur son site officiel des déclarations d'intentions progressistes, défendant par exemple l'égalité devant le mariage, attirant ainsi un certain nombre d'avocats des droits LGBT, Marina Silva a vite fait machine arrière sous la pression des leaders religieux. Car elle est aussi évangéliste et une partie significative de son électorat est liée à des groupes évangéliques. Sa nouvelle position sur le sujet a poussé l'acteur américain Mark Ruffalo, un activiste connu des droits LGBT, à lui retirer son soutien dans un billet qui s'est très vite propagé aux quatre coins de la toile  il y a quelques semaines [7]. Marina Silva a aussi été lourdement attaquée par la gauche, qui voyait en elle une “conservatrice maquillée en progressiste”. Comme la fameuse blogueuse de gauche Cynara Menezes le faisait remarquer début septembre [8] :

Obviamente, como pessoa de esquerda, me preocupa uma possível guinada neoliberal no governo com sua chegada ao poder assessorada por economistas que seguem esta cartilha. Existe, porém, uma razão mais forte que me impede de votar nela. O projeto de Brasil de Marina não é o meu, mas não voto nela principalmente porque não sinto confiança de que governará, sendo evangélica da Assembleia de Deus, a partir da concepção de um estado laico, como promete.

“En tant que personne de gauche, le probable virage néolibéral pris par le gouvernement à son arrivée au pouvoir, soutenue par des économistes qui suivent cette philosophie, me préoccupe un peu. J'ai, en dehors de ça, une raison encore meilleure de ne pas lui donner ma voix. Le projet du Brésil de Marina n'est pas le mien, mais principalement, je ne vote pas pour elle parce que je n'ai aucune confiance en sa faculté à gouverner, en tant qu'évangélique de l’Assemblée de Dieu [9], ayant pour base la conception d'un Etat laïque, comme elle le promet.

Av. Paulista, Sao Paulo's main avenue, on a unusual, busy Sunday -- typical of elections day.

Av. Paulista, l'avenue principale de Sao Paulo, par un dimanche inhabituellement agité, — typique d'un jour d'élections. Photo de Taisa Sganzerla.

Luciana Genro et Eduardo Jorge, respectivement issus du parti Socialisme et Liberté et du parti des Verts, ont été les seuls à soutenir ouvertement l'égalité devant le mariage ainsi que d'autres propositions progressistes (légalisation de la marijuana entre autres). Luciana Genro a remporté 1.47 %  des votes et Eduardo Jorge 0,62. 

De même pour Jean Willys, le premier membre du congrès ouvertement gay friendly et avocat des droits LGBT au Brésil, réélu pour un second mandat à la chambre des députés. Utilisateur actif des médias sociaux, ses pages Facebook et Twitter annoncent 1 million d'abonnés, il a donc remercié par ce biais les 145.000 personnes qui avaient voté pour lui :

Ça a marché, mes amours !! Réélu! La nouvelle ère commence maintenant. Merci aux ami(e)s réel(le)s et virtuel(le)s

Mais le média social a aussi réagi avec colère aux résultats de la présidentielle tout comme à celui des députés ayant obtenus les meilleurs scores. À Rio, l'homophobe notoire [12], Jair Bolsonaro a été réélu avec le plus grand nombre de voix de tous les députés fédéraux. À Sao Paulo, le Colonel Telhada, un chef de police au passé violent, est arrivé en deuxième position de ce classement. Le journaliste indépendant Bruno Torturra a tweeté sarcastiquement:

Essayez de voir ces résultats du bon côté. Et, si vous y arrivez, s'il-vous-plaît, dites-moi lequel c'est ? 

Toujours à Sao Paulo, le candidat du Parti Social-Démocrate, Geraldo Alckimin, a été réélu au premier tour avec quasiment 60 % des voix, en dépit de la crise majeure dans le service de l'eau que la région rencontre actuellement (SABESP, la compagnie responsable du service de l'eau à Sao Paulo est dirigée par l'Etat. La journaliste Mariele Góes a publié un billet sur sa page Facebook [14], faisant référence à une déclaration de haine devenue fameuse qui avait suivi le résultat des élection de 2010 [15] (NdT: le résultat de cette élection avait maintenu le PT au pouvoir, grâce aux votes des personnes originaires du Nordeste, plus pauvre, et qui avaient à l'occasion été accusées de ne pas savoir voter pour cause d'analphabétisme chronique.) 

Eu espero sinceramente que todo paulista que está falando que nordestino não sabe votar tome banho com suas próprias lágrimas quando a água da Cantareira acabar dia 27.

J'espère sincèrement que tout paulista (habitant de Sao Paulo) qui soutient que les gens du Nordeste ne savent pas voter, prenne une douche avec ses propres larmes le jour où l'eau du Cantareira s'arrêtera (NdT: le réservoir fournisseur d'une grande partie de l'agglomération, actuellement à 5 % de ses capacités. Ce jour-là est attendu le 27 octobre s'il ne pleut pas d'ici là.)  

À qui Marina Silva donnera-t-elle son soutien, entre Dilma Rousseff et Aécio Neves lors du second tour ? En 2010, après avoir perdu la course au premier tour, elle avait choisi de rester neutre.