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Pourquoi autant de césariennes au Mexique ?

Catégories: Amérique latine, Mexique, Femmes et genre, Médias citoyens, Santé
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Nombre de césariennes effectuées dans les cliniques privées (gauche) et dans les hôpitaux publics (droite).

Cet article a été écrit par Daniela Guazo pour l'organe de journalisme d'investigation Fundacion MEPI, et a été publié sur leur site le 4 septembre 2014.

Quand Gabriela Ramirez a appris qu'elle était enceinte de son premier enfant, elle a décidé d'accoucher par césarienne bien qu'elle n'en ait pas eu besoin. Elle avait entendu sa mère raconter des histoires horribles sur ses trois accouchements et ne voulait rien de tout cela. Comme elle, presque la moitié des femmes du Mexique, de toutes classes sociales, ont des césariennes.

Le pays est le quatrième au monde pour le nombre de césariennes opérées en l'absence d'urgence médicale, après la Chine, le Brésil et les États-Unis. Cette opération est conçue pour les accouchements à risque et consiste à enlever le bébé par une incision chirurgicale de l'abdomen et de l'utérus.

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne recommande cette méthode que dans un cas sur dix. En effet, effectuer une césarienne quand elle n'est pas nécessaire triple le risque de décès ou de maladie chez la mère et augmente le risque que l'enfant développe des problèmes respiratoires.

En revanche, au Mexique, cette pratique explose, à la fois à cause du manque d'information sur les options d'accouchement naturel et des intérêts des cliniques privées et de leurs médecins, qui gagnent beaucoup d'argent à provoquer la majorité des accouchements par césarienne. 

D'après les chiffres du Système National d'Information sur la santé (SINAIS), neuf naissances sur dix se font par césarienne dans les cliniques privées et quatre sur dix dans les hôpitaux publics.

“Ces chiffres ne sont pas justifiés”, dit le docteur Christian Bayron Mera, obstétricien et directeur de la Maternité et Hôpital pour enfants Vicente Guerrero, dans l'Etat de Mexico. “80 % des mères pourraient accoucher naturellement. Il y a également plus de risques de complications après une césarienne.”

Le premier enfant de Gabriela Ramirez est né en janvier 2010 par césarienne. Malgré ses attentes, la naissance s'est mal passée. Elle a été admise dans une clinique privée dans laquelle personne ne lui a expliqué la procédure. “Je me suis sentie comme une vache. Ils vous déshabillent entièrement, ils vous nettoient, et ils vous mettent mille choses à l'intérieur. Ensuite, quelqu'un a grimpé sur moi pour presser et extraire le bébé.” Elle en est sortie traumatisée, victime d'une dépression post-partum et incapable d'allaiter son bébé. Quand elle s'est plainte, les infirmières lui ont dit : “Rien à faire.”

“Le secteur de la santé ne s'est pas soucié de créer des campagnes d'information pour les mères sur les implications d'une césarienne”, affirme Xaviera Cabada de l'organisation civile “le Pouvoir du consommateur”.

Le facteur économique

Les raisons derrière l'augmentation du nombre de césariennes sont en grande partie économiques : les césariennes sont faciles à planifier et à réaliser. Les cliniques privées facturent jusqu'à 100 000 pesos (environ 5 900 euros) pour une césarienne, dont l'opération prend un maximum de deux heures au médecin. D'un autre côté, un accouchement naturel requiert en moyenne 18 heures de travail et coûte environ 20 000 pesos (environ 1 200 euros). Les cinq Etats avec le plus grand nombre de césariennes sont le Yucatan, Nuevo Leon, Distrito Federal, Sinaloa et Tlaxcala.  

2010-2013

Dans quel Etat y a-t-il le moins de naissances naturelles ? Entre 2010 et 2013, seul un enfant sur dix est né sans intervention chirurgicale dans ces Etats.

2013

Situation générale dans les cliniques privées du pays. Ces dernières années, 80 % des accouchements effectués dans les cliniques privées du Mexique l'ont été par césarienne.

Des raisons culturelles ont également contribué à étendre cette “épidémie” au Mexique. Des images très esthétiques de femmes enceintes, ainsi que des campagnes de publicité véhiculant une idée du corps de la femme après un accouchement, ont fait croire à beaucoup qu'une césarienne assurera aux femmes le même corps parfait que dans ces publicités.

“Hollywood nous apprend que donner naissance signifie qu'on perd les eaux, qu'on s'épuise, que l'apocalypse s'arrête et qu'on commence à pousser. Ce n'est pas ça, un accouchement,” affirme Jackie Filoteo, qui travaille au Mexique en tant que sage-femme et doula, c'est-à-dire une professionnelle qui a de l'expérience avec les accouchements et qui aide les parents pendant la naissance.

Et les hôpitaux publics ?

Le Ministère de la Santé a institué un maximum de 20 % de césariennes dans les institutions publiques. Malgré cela, 33 % des naissances dans les hôpitaux le sont par césarienne, et cette proportion augmente chaque année. Par exemple, à l'Institut de la Sécurité Sociale et des Services aux Fonctionnaires d'État (ISSSTE), sept enfants sur dix naissent par des procédés chirurgicaux.

SecretaríaSalud

Dans le SSA, trois naissances sur dix se font par césarienne, alors que sa propre norme fixe un maximum de 20 %.

La raison derrière ces chiffres élevés est différente pour les hôpitaux publics. Bien qu'il soit plus coûteux pour l'Etat de procéder à une césarienne qu'à une naissance vaginale, le facteur déterminant dans les institutions publiques est le manque de lits et de médecins : le déficit est estimé à 50 %. Pour s'occuper de l'ensemble de la population maternelle, les hôpitaux doivent procéder aux accouchements rapidement et le choix se porte toujours sur la césarienne.

Trois milliards de pesos (environ 176 millions d'euros) pourraient être économisés chaque année si l'Institut de Sécurité Sociale de Mexique (IMSS, s'occupant de trois mères sur dix se tournant vers le secteur public) réduisait à lui seul le nombre de césariennes pratiquées à une sur dix. D'après l'Étude Nationale Santé et Nutrition 2012, chaque césarienne coûte 21 600 pesos à l'Etat (environ 1 300 euros).

“Chaque femme a besoin d'une sage-femme, et certaines, d'un obstétricien.”

La Maternité et Hôpital pour enfants Vicente Guerrero de l'Etat de Mexico effectue 18 accouchements par jour, mais ne possède que cinq lits. Son infrastructure est saturée par l'importance de la population ayant besoin de ses services. Pour répondre à ces besoins, le Dr Christian a introduit un modèle qui utilise obstétriciens, sage-femmes, doulas et infirmières périnatales. Pour lui, l'intervention de ces professionnels est efficace pour les hôpitaux car ils gèrent les cas les moins compliqués, pendant que les obstétriciens-gynécoloques se concentrent sur les accouchements à risque.

Jackie Filoteo est l'une des doulas qui travaillent à l'hôpital Vicente Guerrero. Forte de six années d'expérience comme sage-femme et doula, elle explique qu'il y a plusieurs techniques pour améliorer les conditions de l'accouchement. Par exemple, mettre les mères dans différentes positions peut raccourcir la durée de l'accouchement.  

“Une sage-femme peut facilement s'occuper de tous les cas pour lesquels il n'y a aucun risque imminent”, dit-elle.

Gabriela a eu son second enfant il y a huit mois. Cette fois, elle a essayé un accouchement naturel. Sa doula était Jackie Filoteo. Malgré tout, sa situation est devenue délicate vers la fin : sa tension artérielle est montée et une césarienne est devenue nécessaire.

Jackie, sa doula, fut à ses côtés pendant toute la procédure. Elle lui a procuré des soins d'aromathérapie et a diffusé de la musique dans la salle d'opération, tout en lui expliquant chaque geste des médecins. “Ici, je me suis sentie humaine. Dans l'autre hôpital, je me suis sentie comme une vache,” dit la seconde-fois maman.