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Un mouvement étudiant ébranle le Bengale-Occidental après une enquête mal conduite sur une agression sexuelle

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Inde, Arts et Culture, Cyber-activisme, Education, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Jadavpur students protesting against police action at campus and demanding resignation of the vice chancellor. [1]

Des étudiants de Jadavpur protestant contre les forces de police sur le campus et demandant la démission du vice-chancelier. Photo de Reporter#47468. Copyright Demotix (20/9/2014)

[Billet d'origine publié le 10 octobre – Tous les liens renvoient à des pages en anglais]

L'Etat indien du Bengale-Occidental est témoin d'une petite révolution avec #Hokkolorob [2]. Le mouvement “Let There Be Noise” (Faites du Bruit), qui a commencé à l'Université de Jadavpur le mois dernier, s'est répandu comme une traînée de poudre à travers le pays. Chacun s'est mis à utiliser le terme “Hok Kolorob”, qui est le titre d'une chanson de 2006 [3] du chanteur bangladeshi Shayan Chowdhury (aussi connu sous le nom de Arnob [4]), comme hashtag sur Facebook, Twitter, et d'autres médias sociaux.

Screenshot of locations from where Twitter users mentioned the hashtag #hokkolorob via  tweetchup.com [5]

Capture d'écran des géolocalisations des utilisateurs de Twitter ayant mentionné le hashtag #hokkolorob, via tweetchup.com

Le 28 août, plusieurs résidents de l'auberge Old Boy ont agressé sexuellement [6] une étudiante en deuxième année de l’Université de Jadavpur [7] et ont battu son ami. Le père de la jeune fille a déposé une plainte le 2 septembre et envoyé une lettre aux autorités de l'université le 3 septembre, lançant une enquête interne.

Des soupçons à propos de l'investigation menée par l'université ont toutefois émergé, suite à la visite de deux enquêteurs venus interroger la victime à son domicile de Bidhannagar, qui ont refusé de donner leur noms. Ils l'ont questionnée sur son état d'ébriété et ce qu'elle portait le soir de l'agression, ce qui a poussé la famille à déposer une plainte au commissariat pour “harcèlement moral [8]“.

C'est à ce moment que les étudiants ont commencé leurs manifestations, exigeant de l'université le remplacement des enquêteurs ayant rendu visite à la victime et lui ayant posé de telles questions, ainsi que la formation d'une nouvelle commission, externe à l'école, pour enquêter sur les événements du 28 août.

Durant la soirée du 16 septembre, des étudiants ont bloqué l'accès [9] à certains bâtiments universitaires, confinant plusieurs représentants dans leurs bureaux, dont le vice-chancelier Abhijit Chakrabarti. Après que l'échec des discussions entre les étudiants et les administrateurs, le vice-chancelier a appelé la police. Aux premières heures du 17 septembre, les policiers sont intervenus contre les manifestants étudiants, blessant sérieusement plusieurs d'entre eux et en arrêtant trente-six autres. Beaucoup ont été hospitalisés. Il y a maintenant des allégations [10] que des militants du Trinamool Chhatra Parishad (la section étudiants du parti au pouvoir) ont prêté main-forte à la police.

Jadavpur University student organise a rally from Nandan to Raj Bhavan protesting against Police midnight action at Jadavpur campus and also demanding the resignation of Vice Chancellor Abijit Chakraborty. Image by Reporter #47468. Copyright Demotix (20/9/2014) [11]

Les étudiants de l'Université de Jadavpur organisent un défilé depuis Nandan jusqu'à Raj Bhavan, en protestation contre la police lors d'une action de minuit sur le campus de Jadavpur. Ils demandent aussi la démission du vice-chancelier Abijit Chakrabroty. Photo de Reporter #47468. Copyright Demotix (20/9/2014)

Des vidéos de la charge contre les étudiants ont filtré sur internet, et les médias ont déjà repris l'affaire. L'incident a engendré une réaction à l'échelle nationale, pendant que le hashtag #HokKolorob prennait d'assaut [12] les médias sociaux locaux.

La diffusion virale de ces manifestations et le succès des protestataires via les médias sociaux ont mobilisé les anciens étudiants de l'Université de Jadavpur dans la région. Des étudiants d'autres filières, tout comme des citoyens ordinaires ont monté une campagne soudaine et efficace pour exprimer leur colère face au scandale du traitement par les autorités de cette agression sexuelle.

Le 20 septembre, les étudiants ont organisé un défilé dans le centre de Calcutta, avec une participation estimée à 100.000 personnes [13]. Prasun a posté des photos de la manifestation sur son blog [14].

Rupam Islam, une rock star de Calcutta, a chanté [15] pour soutenir les manifestants, leur donnant ce qui est devenu l'hymne du mouvement. La chanson en loue la détermination avec les mots, “Andoloner Shuru Aacchey, Shesh Nei” (Ce mouvement a un début, il n'a pas de fin).

Les manifestants de Delhi (à JNU, Banga Bhavan et Jantar Mantar), aux Instituts Technologiques Indiens de Chennai, Mumbai et Kharagpur, ainsi qu'à Pondichéry, Hyderabad et Bangalore, se sont aussi unis pour manifester leur solidarité avec le mouvement #hokkolorob.

Le mouvement a pris une tournure surprenante quant, au 22 septembre, un rassemblement a été organisé par le Parti du Congrès de Trinamool au pouvoir contre les étudiants contestataires, qui ont été la cible de moqueries via slogans et affiches.

Julia Banerjee [16] écrit :

J'écris ceci en tant qu'étudiante de Jadavpur qui a vu ses amis vivre des choses inqualifiables, qui ne peut pas oublier ce qu'elle a vu, alors que des personnes qu'elle aime et auxquels elle tient on vécu l'enfer dans un endroit qu'elle aime de tout son être, son école, son université.

Shuddhabrata Sengupta [17] sur Kafilla.org écrit :

Pourquoi les étudiants de Jadavpur, et leurs amis d'ailleurs sont en colère ? […]

Si le vice-chancelier et l'université l'avaient voulu, ils auraient pu traiter ce problème rapidement, raisonnablement et avec intelligence. Au lieu de cela, pour plaire à leur maîtres politiques du parti du congrès de Trinamool, ils ont essayé de couvrir le véritable règne de violence qu'ils président dans le campus de l'université de Jadavpur. C'est le vice-chancelier, non pas les étudiants, qui a besoin de comprendre ce que ‘bienséance’ et ‘discipline’ veulent dire dans une université.

Agnivo Niyogi [18], un blogueur, pense toutefois que la campagne #hokkolorob ne représente rien de plus que de l'”activisme hashtag” :

Ce qui m'amuse le plus est le fait que ces étudiants “rebelles” ont relayé la brutalité d'État en live via Facebook et Twitter. Les médias basés à  Delhi, qui traitent les posts de Facebook comme paroles d'évangile ces jours-ci, se sont jetés dans la mêlée et se sont lancés dans une attaque contre le gouvernement du Bengale occidental.

La page Facebook [19] dédiée à la cause #hokkolorob, qui a joué un rôle majeur dans l'organisation du mouvement, possède plus de 54.000 abonnés aujourd'hui. La popularité du groupe a toutefois aussi attiré l'attention de la police, ainsi que de la victime des faits elle-même. Selon les rapports [20], la jeune fille a déposé une plainte à la police de Lalbazar le mois dernier contre des critiques sur Facebook la calomniant. Son père de plus, n'attend plus la démission du vice-chancelier Chakrabarti, et exhorte même les étudiants à retourner en classe.

Est-ce que #hokkolorob devient une cause perdue ? Avishek [21] écrit :

Il semble qu'il y ait beaucoup d'obstacles à surmonter. La question de savoir pourquoi exactement la police en est arrivée à charger brutalement des étudiants et malmener des jeunes filles, quand les #HokKolorob-eurs ont été arrêtés pour avoir peint des bannières, demeure sans réponse.

Calcutta s'en soucie peut-être. Elle ne s'en soucie peut-être pas, bien qu'elle ait connu 1905, 1946 et 1971. Elle sinue néanmoins voluptueusement de Laboni jusqu'à Maddox Sqaure et au-delà. Elle s'est époumonée quand #HokKolorob s'est retrouvé sur le devant de la scène le 20 septembre.

Un jour elle joindra la marche pour vaincre à son tour. Un jour elle répondra à #HokKolorob.