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Bonne nouvelle pour les Russes : le portail d'information ‘Meduza’ est enfin là !

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Lettonie, Russie, Economie et entreprises, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, RuNet Echo
Mosaic floor in a tepidarium of the Roman era. Museum of Sousse, Tunisia. Photo by Ad Meskens, CC 3.0. [1]

Sol en mosaïque d'un tepidarium de l'époque romaine. Musée de Sousse (Tunisie). Photo Ad Meskens, CC 3.0.

Croisement entre agrégateur d'actualités et information indépendante, Meduza [2] est ce qui est arrivé de mieux ces derniers temps dans le journalisme russe sur Internet. L'intérêt de ce site web vient aussi du fait qu'il n'est même pas situé en Russie : le siège de Meduza est à Riga, en Lettonie, où quelque 18 expatriés de Lenta.ru [3] se sont établis, après avoir rompu leurs amarres cosmopolites avec Moscou. Le projet est l'invention [4] de Galina Timchenko, l'ex-rédactrice en chef de Lenta.ru, réduite au chômage par l'article de trop sur les événements de Kiev vus du côté des nationalistes ukrainiens.

Le caractère hybride de Meduza, agrégateur et producteur fait que la méthodologie de ce site provoque la curiosité. La semaine dernière, le cofondateur de Meduza, Ivan Kolapkov, a expliqué à RuNet Echo comment Meduza produit son contenu.

«Медуза» будет агрегировать новости и лучшие тексты на русском языке из самых разных источников — от государственных информагентств и газет до сайтов некоммерческих организаций и блогов (мы будем производить и свой собственный контент). Понятно, что прямой агрегации твитов быть не может — их сложнее всего проверять, они не обладают достаточной полнотой, но не мониторить их нельзя. А вот посты из фейсбука и «Вконтакте» нам, конечно, очень интересны — сами по себе. В некоторых ситуациях это уже готовый продукт.

Статус источника для «Медузы» совершенно неважен. Важны качество и достоверность. В этом, собственно, идея — искать и находить в русском интернете must reads: новости и тексты, без которых нельзя понять, что происходит сегодня в стране и мире.

Meduza agrégera les informations et les meilleurs textes en russe à partir de toutes sortes de sources—depuis les agences d'information et journaux d'Etat jusqu'aux sites des organisations non-commerciales et des blogs (nous produirons aussi notre propre contenu). Naturallement, l'agrégation directe de tweets n'est pas possible : ils sont les plus difficiles à vérifier, ils manquent d'épaisseur et on ne peut pas les surveiller, mais on ne peut pas ne pas les suivre. Quant aux posts sur Facebook et Vkontakte eux-mêmes ils nous intéressent évidemment beaucoup. Dans certaines situations ils sont prêts à être republiés directement.

Le statut de la source n'a aucune importance pour Meduza. Ce qui compte, c'est la qualité et la validité. En somme, l'idée est de chercher et trouver sur l'internet russe les “must reads” [Ndt : en anglais dans le texte ; “à lire absolument”] : les informations et textes sans lesquels on ne peut pas comprendre ce qui se passe aujourd'hui en Russie et dans le monde.

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Ivan Kolpakov, Facebook.

Identifier ce qui est “à lire absolument” est plus un art qu'une science, et distingue Meduza de projets existants de RuNet comme MediaMetrics.ru [6] et le service d'agrégation de tweets [7] de TJournal.ru, qui sélectionnent à l'aide d'algorithmes automatisés les articles et tweets “les plus discutés et partagés” de l'internet russe. Kolapkov indique que la méthodologie de Meduza veut apporter aux lecteurs un “salaire vivant d'information” (une expression qu'il trouve plus heureuse en russe que traduite).

Это правда должны быть лучшие тексты — эксклюзивы, расследования, аналитика и репортажи, связанные с текущей повесткой; тексты-события, сами формирующие повестку; выдающаяся публицистика. Посмотрели «Медузу» — и знаете, о чем все говорят, и ничего не пропустили.

Il faut vraiment que ce soient les meilleurs textes : exclusivités, enquêtes, analyses et reportages liés à l'actualité ; les textes-événements saillants de ce qui se publie. Regardez Meduza et vous savez ce dont tout le monde parle sans rien laisser passer.

Le site est opérationnel depuis moins de 24 heures, mais Meduza a déjà son petit groupe de passionnés. L'entreprise et beaucoup de ses animateurs sont extrêmement actifs sur les réseaux sociaux, surtout Instagram [8], sur lequel ils publient des photos de leurs bureaux à Riga, peuplés par une troupe de jeunes journalistes intrépides. Début octobre, Sultan Suleimanov, l'un des sept rédacteurs en chef de contenu du site, a publié un photo-reportage [9] sur les nouvelles piaules de Meduza, où tous travaillent sur des Macs à peine sortis des cartons et où les bureaux sont séparés par des cloisons de verre poli.

“Nous essayons de construire ici un ‘petit Moscou’,” nous a dit Kolapkov. Et jusqu'à présent, ça marche. “L'équipe a bien accepté le déménagement à Riga”, dit-il. “S'il avait fallu nous délocaliser, disons en Ouzbékistan, je ne crois pas que ç'aurait été un problème insurmontable non plus”.

La Lettonie a beau être à plus de 700 kilomètres, les détracteurs moscovites de Meduza ont déjà commencé les propos infamants. Au début du mois, le site d'information ami du régime Ridus.ru a publié un article [10] attaquant le projet, insinuant qu'il est pro-nazi et financé par l'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkosvki (qui y a investi à ses débuts, puis s'est retiré, indique [11] Meduza). L'article de Ridus va jusqu'à recycler un jeu de mots [12] du blogueur pro-Kremlin Konstantin Rykov sur le nom “Meduza,” à la fois personnage de la mythologie grecque et animal, qui désignerait aussi en argot russe les parties intimes féminines, selon certains internautes.

Kolapkov dit son équipe prête à ce genre de tracasseries, qu'il voit comme le crachin avant la “tempête de merde”. A côté de son financement secret et de ses bureaux hors de Russie, Meduza possède une troisième arme contre le type de répression qui a brisé l'indépendance de Lenta.ru : il est taillé sur mesure pour les applis mobiles [13] sur iOS et Androïd.

Depuis deux ans, le Kremlin développe des moyens de plus en plus sophistiqués pour blacklister les sites internet considérés comme extrémistes ou illégaux pour d'autres raisons. Pour l'instant, la liste des sites d'information interdits reste brève, mais Meduza pourrait se trouver dans le collimateur des autorités pour peu qu'il devienne un grand succès ou sorte un scoop particulièrement ravageur.

Meduza.io, now up and running. [2]

Meduza.io est opérationnel.

Andreï Soldatov [14], un journaliste russe d'investigation et spécialiste des services de sécurité, a dit à RuNet Echo ne pas connaître les moyens techniques d'interdire des applis mobiles en Russie. “Le problème ne peut être résolu que par les ‘moyens administratifs,’” dit-il, “c'est-à-dire, la pression directe sur les compagnies comme Apple.”

Mais le Kremlin n'a pas besoin d'affronter directement la Silicon Valley, ajoute Soldatov. Meduza reste vulnérable à la censure par Deep packet inspection (DPI) [15] ou Inspection des paquets en profondeur [16], qui peut affecter les applis mobiles sans avoir à interagir avec les gestionnaires des magasins d'applis d'Apple ou Google. Intercepter les données de cette façon requiert cependant un équipement coûteux actuellement hors de portée de nombreux FAI russes. Et si les autorités russes forcent les fournisseurs d'accès internet à investir dans des capacités DPI, il existe des outils spéciaux, comme Psiphon, “développés spécifiquement pour les pays à régimes répressifs, pour rendre les applis mobiles, comme la BBC et Radio Free Europe, accessibles”, explique Soldatov.

Les efforts des censeurs russes pour contrôler l'accès à Meduza iront probablement de pair avec l'intérêt du public pour l'entreprise. Pour l'instant en tous cas, le site se porte bien, convivial pour les lecteurs, à l'abri des formes usuelles de censure, et prêt à faire des vagues.