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Memorial, le mouvement de défense des droits humains en Russie, visé par le ministère de la Justice

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Droit, Droits humains, Liberté d'expression, Médias citoyens, RuNet Echo
"Memorial" under pressure in Russia. Images edited by Kevin Rothrock.

“Memorial” sous pression en Russie. Montage d'images par Kevin Rothrock.

Memorial [1], une des organisations de défense des droits humains les plus anciennes et les plus respectées de Russie, est-il promis à la disparition ? Le 9 octobre 2014, le Ministère de la Justice a demandé à la Cour Suprême de la Fédération de Russie la liquidation partielle de Memorial, et les juges ont obligeamment fixé une audience au 13 novembre. Si, pour le moment, le Ministère de la Justice est resté discret sur ses griefs contre l'organisation de défense des droits, Memorial indique que la question de fond est que l'administration veut lui voir adopter une structure de fonctionnement plus centralisée.

Memorial a été enregistré en 1992 comme une coordination d'une soixantaine d'organismes distincts dans toute la Russie, dont beaucoup sont juridiquement indépendants les uns des autres. Le mouvement [2] dans son ensemble s'active à la défense des droits humains pour les victimes de l'Etat russe, passées et présentes, avec une attention particulière à celles du goulag et du Nord-Caucase.

Le recours du Ministère de la Justice faisait suite à une émission spéciale [3] de la télévision russe diffamant Memorial, accusé de complicité avec les “extrémistes et terroristes”.

Ecrivant sur Facebook, Pavel Andreev, directeur d'un bureau de Memorial dans la république des Komis [4], a écarté [5] la possibilité que le Kremlin force son mouvement à mettre la clé sous la porte. Les accusations, veut-il croire, ne sont qu'une difficulté de plus dans le paysage juridique instable de la Russie. Au fur et à mesure des modifications législatives depuis la fondation de Memorial, l'organisation est seulement dans la nécessité de passer de nouveaux accords avec ses filiales pour être en pleine conformité avec la réglementation fédérale.

Так что моя оценка на данный момент: значение новости преувеличено. Речь о какой-либо травле не идет, это юридическая ситуация, выход из которой найден и реализуется. «Мемориал» безусловно продолжит свою работу.

Dans mon évaluation pour le moment, l'importance de la nouvelle est exagérée. Il ne s'agit d'aucune persécution, c'est une situation juridique, une solution sera trouvée et mise en oeuvre. Memorial continuera absolument son travail.

Le lendemain 11 octobre, Memorial publiait sa propre déclaration [6], à la tonalité légèrement plus inquiète :

Претензии Минюста совершенно беспочвенны – не случайно в ответ на наше недоумение мы так и не смогли получить никаких ссылок на нормы закона. Нам представляется недопустимой сама ситуация, когда Минюст противозаконно пытается ограничивать конституционное право граждан на объединение.

Les griefs du Ministère sont totalement infondés, et ce n'est par hasard qu'en réponse à notre perplexité nous n'avons pu obtenir aucune référence aux règles légales. Cela nous paraît un état de fait inadmissible que le Ministère de la Justice essaye illégalement de restreindre le droit constitutionnel d'association des citoyens.

En 2009, Ramzan Kadyrov, l'homme fort de la Tchétchénie, avait assigné Memorial devant les tribunaux, sur des accusations [7] de diffamation, lorsque son président pour les droits humains Oleg Orlov avait évoqué la complicité de Kadyrov dans le meurtre de la militante de Memorial Natalia Estemirova. En 2011, l'organisation a été contrainte de cesser presque complètement ses activités à Naltchik, dans la république méridionale de Kabardino-Balkarie [8], après que deux de ses avocats travaillant dans la région ont reçu des menaces de mort [9].

Cette toute récente “menace de liquidation” n'est pas non plus la première rencontrée par Memorial. Une loi adoptée en 2012 impose [10] au mouvement de s'enregistrer auprès du Ministère de la Justice comme “agent étranger” car il accepte des financements extérieurs. A l'instar des autres ONG russes actives dans le domaine des droits humains, Memorial a refusé l'enregistrement officiel et a préféré assigner l'Etat en justice pour renverser la loi [11]. Memorial a également rejoint d'autres ONG [12] dans un procès contre le gouvernement russe devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Comme par le passé, Memorial peut très bien trouver une voie pour esquiver la destruction et survivre dans le futur. Il y a moins de deux semaines, le président du Conseil des Droits de l'Homme du Kremlin Valéri Fedotov a dit soutenir  [13]le travail de Memorial. Il a même proposé sa médiation dans les discussions entre le mouvement et le Ministère de la Justice :

А Минюст должен действовать по закону, если в уставе организации нарушения. Поэтому мы поможем им найти общий язык.

Le Ministère de la Justice doit agir selon la loi s'il y a violation des règles. C'est pourquoi nous les aiderons à trouver un langage commun.

Pas plus tard que cette semaine, le 21 octobre, le ministère russe de la Justice s'est déclaré [14] disposé à retirer sa requête de démantèlement de Memorial, si l'organisation est en mesure de se restructurer à la satisfaction des autorités lors d'une conférence prévue prochainement. Si le mouvement parvient à apaiser le pouvoir, ce ne sera que le dernier épisode en date de la longue série d'adaptations politiques de Memorial.